Ce qui a changé après la commission Charbonneau

Offert par Les Affaires


Édition du 17 Juin 2017

Ce qui a changé après la commission Charbonneau

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Édition du 17 Juin 2017

Par Claudine Hébert

La commission ­Charbonneau a permis de resserrer certains mécanismes d’intégrité au sein d’entreprises liées au monde de la construction.

Plus de 18 mois après le dépôt du rapport de la commissaire France Charbonneau, qu'est-ce qu'auront finalement donné les 261 journées d'audience, le passage des 292 témoins, ainsi que les 151 mémoires présentés lors de la Commission d'enquête sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction (CEIC) ?

«On attend toujours un message fort de la part du gouvernement. Un message pour indiquer à la population et au monde entier que le ménage a été fait et que l'on a enfin assaini l'industrie de la construction au Québec», lance d'emblée Gérard Mounier, conseiller stratégique au sein de l'équipe de droit des affaires et coresponsable du groupe Infrastructure au cabinet Lavery, à Montréal.

Le grand coup se fait toujours attendre, poursuit cet expert-observateur. Et le temps, dans une telle situation, n'est pas un ami. «Après tous les efforts déployés, cette commission devrait favoriser une meilleure perception d'éthique et de déontologie. C'est dommage, on ne la sent toujours pas», indique M. Mounier.

Un avis que partagent plusieurs intervenants liés aux infrastructures, dont André Rainville, PDG de l'Association des firmes de génie-conseil du Québec (AFG). «Nous venons de terminer un exercice rigoureux dont très peu de régions dans le monde peuvent se targuer. Pourtant, les connaissances et les expertises que l'on a acquises en matière d'intégrité ne sont toujours pas mises à l'avant-plan par nos deux gouvernements. Ce qui retarde le regain de confiance de la part du public pour notre industrie», déplore M. Rainville, dont l'association regroupe plus de 45 firmes de génie-conseil québécoises.

Perte de contrats

En attendant, dit-il, les firmes de génie-conseil doivent continuer de composer avec une réputation qui a été entachée par les gestes posés dans le passé par certains des leurs. Ce qui nuit à leur rayonnement international. «Au moins cinq firmes de génie-conseil québécoises se sont vues écartées, voire interdites de soumissionner pour des appels d'offres à l'extérieur de la frontière», soutient M. Rainville, qui préfère ne pas donner de noms.

Le président et chef de direction de SNC-Lavalin, Neil Bruce, a justement fait état de cette situation lors de la dernière assemblée générale annuelle de l'entreprise au début du mois de mai. Il soutient que son entreprise a perdu d'importants contrats à l'étranger en 2016 en raison des accusations criminelles qui pèsent contre elle. Des accusations que réfute SNC-Lavalin. M. Bruce n'a pas voulu quantifier l'impact financier de ces contrats perdus. La valeur du carnet de commandes de 10,7 milliards de dollars pour l'année 2016 accusait néanmoins une perte de 11 % en comparaison de celle de 2015.

Des projets et des directives

Remarquez, la CEIC a tout de même produit 8 projets de loi et 13 directives déposés par différents ministres afin de mettre en place des recommandations en matière de transparence et d'intégrité.

Il y a notamment le projet de loi 87, qui facilite la divulgation d'actes répréhensibles dans les organismes publics ; le projet de loi 101, qui donne suite aux recommandations de la CEIC en matière de financement politique ; et le projet de loi 108, qui favorise la surveillance des contrats des organismes publics et qui a institué l'Autorité des marchés publics (AMP), une des mesures phares du rapport.

«Cette commission a donné lieu à plusieurs mesures et à plusieurs réglementations qui sont beaucoup mieux qu'avant, mais ça manque de mordant», concède Marie Cossette, avocate associée responsable des secteurs Intégrité d'entreprise et Droit administratif du bureau de Québec chez Lavery. Mme Cossette a plusieurs commissions d'enquête à son actif (Gomery, Poitras, Chamberland).

Des mécanismes d'intégrité dans plusieurs associations

L'avocate reconnaît que cette commission a apporté des améliorations. On assiste à un meilleur resserrement au sein des entreprises et des associations liées au monde de la construction. Plusieurs associations, dit-elle, se sont dotées de mécanismes d'intégrité. On peut penser à l'Association de la construction du Québec (ACQ), qui a mis en place un programme d'intégrité.

Quant à l'Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), il a adopté de nombreuses mesures pour enrayer les trois C (collusion, corruption et contributions). L'introduction d'une formation sur le professionnalisme, que les 62 000 membres ont été tenus de suivre, en fait partie. Cette mesure a été instaurée en 2012, soit bien avant le dépôt du rapport, signale Kathy Baig, présidente de l'Ordre des ingénieurs.

L'OIQ dispose également d'une ligne 1 877 ÉTHIQUE pour les ingénieurs ayant des questions à cet égard. Lancée dès l'annonce de la commission Charbonneau en 2011, cette ligne reçoit en moyenne 1 000 appels par année, indique Mme Baig.

L'organisme a aussi fait l'annonce récemment d'un plan stratégique ING 2020 pour assurer la protection du public. Ce plan inclut notamment l'instauration d'un nouveau programme d'inspection professionnelle auprès des ingénieurs de différents secteurs d’activités. Plus de 1 500 visites sont prévues d'ici mars 2018. Le plan stratégique prévoit en outre une révision de l'intégration des jeunes ingénieurs dans le métier.

Une surveillance déficiente

Là où le bilan des actions semble moins reluisant, c'est dans le projet de loi 108 en matière de surveillance, dénoncent les firmes d'ingénieurs et d'architectes.

Ce projet de création de l'AMP, qui surveillera l'octroi de contrats provenant des ministères et des organismes publics, est salué par l'ensemble des joueurs de l'industrie. Le hic : l'AMP est, pour le moment, limitée à un rôle de recommandation et non d'intervention pour les projets issus des municipalités. «L'autonomie accordée à certains organismes publics, notamment les municipalités, était pourtant au coeur des vulnérabilités soulevées lors de la commission Charbonneau», rappelle André Rainville.

«Pour nous, c'est un rendez-vous manqué, ajoute Lyne Parent, directrice générale de l'Association des architectes en pratique privée du Québec, qui représente près de 400 firmes d'architectes. On croit que l'AMP devrait assumer un rôle de surveillance et s'assurer que tout se passe bien dans les municipalités de la province. Sur les quelque 1 110 municipalités du Québec, peu disposent actuellement de moyens pour bien évaluer les besoins initiaux du projet et ensuite bien analyser les soumissions qu'elles reçoivent. Ce n'est pas normal, dit Mme Parent, que l'AMP ne soit pas mandatée pour tenir un rôle d'accompagnateur auprès des municipalités après tout ce qui s'est dit à la commission Charbonneau.» Les discussions à cet effet se poursuivent avec le gouvernement.

Des économies pour les municipalités

Les municipalités sont, pour leur part, assez satisfaites des retombées de la commission Charbonneau. «Lorsqu'on voit diverses associations s'inquiéter de l'autonomie qu'on réclame, on se demande si elles s'inquiètent pour leurs membres ou pour les contribuables», soulève Alexandre Cusson, premier vice- président de l'Union des municipalités du Québec (UMQ).

M. Cusson, maire de Drummondville, souligne que l'après-commission Charbonneau donne beaucoup plus de flexibilité aux municipalités. Résultat : plusieurs municipalités qui n'ont pas été touchées par les scandales ont déjà noté des réductions significatives de leurs frais professionnels auprès des firmes de génie-conseil, signale-t-il.

À Drummondville, on parle d'une réduction de 10 à 15 %. À Beauceville, ces frais ont fondu de 25 %, indique Félix Nunez, directeur général de la ville.

«À la suite de la commission Charbonneau, les firmes ont ajusté leur tarification pour regagner la confiance des villes. Les municipalités peuvent maintenant faire des travaux d'aussi bonne qualité à bien meilleur coût», conclut Alexandre Cusson.

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