Le manque de relève menace 10000 entreprises

Offert par Les Affaires


Édition du 22 Avril 2017

Le manque de relève menace 10000 entreprises

Offert par Les Affaires


Édition du 22 Avril 2017

Monsef Derraji, PDG du ­Regroupement des jeunes chambres de commerce du ­Québec

Le Québec pourrait perdre jusqu'à 10000 entreprises d'ici 2024, en raison d'une incapacité à les transmettre à la génération suivante. Un risque qui découle moins d'un manque de relève que d'une absence de planification.

Avec 70 employés et un chiffre d'affaires qui a triplé depuis 2013, Ultraspec Finition est une PME pleine de potentiel. Elle est pourtant passée à un cheveu de fermer, faute de repreneur. La PME, spécialisée dans le traitement de surface pour l'industrie aérospatiale, de défense et de transports, a été fondée en 1985. En 2013, les deux propriétaires, âgés de plus de 80 ans, ont cédé une de leurs deux entreprises à leur fils, mais n'ont pas de relève pour Ultraspec. Ils n'ont aucun plan de transfert en place.

C'est alors que Nicolas Nassr se pointe. Il découvre une entreprise d'une vingtaine d'employés, un peu négligée depuis quelques années, mais pleine de promesses. Il décide de la reprendre pour la redresser. «Nous avons effectué plusieurs changements structurels et de nombreux investissements en équipements, en systèmes informatiques, en formation des employés, tout en ajoutant plusieurs certifications nécessaires dans le secteur aéronautique, explique M. Nassr. Nous avons été récompensés par une hausse appréciable du chiffre d'affaires, hausse qui nous a amenés à plus que tripler le nombre d'employés.»

Perdre 134000 emplois

Malheureusement, l'histoire ne se termine pas toujours aussi bien. Dans une étude publiée en 2014, la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) estimait que 30% des propriétaires de PME fermeront leur entreprise d'ici 2024, sans essayer de la vendre. Selon la CCMM, entre 5 700 et 10 000 entreprises québécoises pourraient fermer durant cette période, entraînant la disparition de 79 000 à 139 000 emplois.

«On parle beaucoup de création de nouvelles entreprises depuis quelques années au Québec, et c'est bien, mais les PME déjà établies sont souvent plus solides que les start-up et génèrent plus d'emplois de qualité, notamment en région, avance Joëlle Noreau, économiste principale au Mouvement Desjardins. Elles ont un potentiel de croissance.»

Lisez notre dossier L'enjeu vital du transfert d'entreprise

D'autant plus que, lorsqu'un entrepreneur approche de la fin de sa carrière sans qu'il y ait de relève, l'entreprise ne devient qu'un actif à rentabiliser. «L'entrepreneur devient plus intéressé à réduire son endettement et à augmenter ses liquidités et la valeur de l'entreprise en vue d'une vente qu'à y faire des investissements productifs, poursuit l'économiste. Si elle s'étend à plusieurs entreprises, cette dynamique de sous-investissement risque d'entraver la croissance économique et la productivité du Québec.»

Soutenir le transfert d'entreprises

C'est un sujet dont on ne parle pas encore assez, selon Martine Hébert, vice-présidente principale et porte-parole nationale à la Fédération canadienne des entreprises indépendantes (FCEI). «C'est plus sexy d'investir dans des programmes ou des mesures de création d'entreprises, lance-t-elle. On peut se demander s'il est logique de soutenir autant la création d'entreprises, mais aussi peu la croissance et le transfert de celles qui existent déjà. À tout le moins, les gouvernements fédéral et provincial devraient s'assurer que l'environnement fiscal et réglementaire ne nuit pas au transfert d'entreprises.»

Elle salue l'annonce faite en février dernier par le gouvernement québécois d'un allègement fiscal pour le transfert des entreprises familiales. Depuis plusieurs années, les entrepreneurs déploraient le fait qu'il était plus avantageux financièrement de vendre l'entreprise à un étranger plutôt qu'à des membres de la famille. Au Québec, 90% des PME sont familiales, selon la CCMM. Seulement 30 % d'entre elles passent le cap de la deuxième génération, et 10%, celui de la troisième.

Repreneur cherche cédant

Reste à savoir d'où vient le problème. D'un manque de relève ? Monsef Derraji, PDG du Regroupement des jeunes chambres de commerce du Québec (RJCCQ), admet qu'il peut être plus ardu de nos jours pour les entrepreneurs de trouver un repreneur au sein de leurs propres familles, ces dernières étant moins grandes qu'à une certaine époque. «Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de repreneurs au Québec, mais plutôt qu'il est difficile de faire la jonction entre les cédants et les repreneurs», précise-t-il.

Une récente étude réalisée par le RJCCQ révélait que plus de 65% des jeunes entrepreneurs et professionnels souhaitent reprendre une entreprise dans 5 à 10 ans. Et environ 80% d'entre eux piaffent d'impatience, jugeant la génération dirigeante trop réticente à céder sa place. L'enquête dévoilait aussi une étonnante différence dans les perceptions : les cédants voient une pénurie de relève là où cette dernière déplore plutôt une pénurie de cédants. «Les repreneurs sont plus difficiles à identifier s'ils ne sont pas de la famille de l'entrepreneur, et les cédants hésitent à s'afficher publiquement», explique Monsef Derraji.

Pour Joëlle Noreau, peu de données fiables permettent d'affirmer qu'il y aura une pénurie de repreneurs. Les baby-boomers arrivent massivement à la retraite, mais l'allongement de la vie active pourrait faire en sorte que certains restent aux commandes de leur entreprise bien plus longtemps que prévu. Par contre, les propriétaires de PME vieillissants sont fort nombreux à ne pas avoir de plan de relève. «C'est là-dessus qu'il faut agir, croit-elle. Il faut sensibiliser les entrepreneurs à l'importance de se doter d'un tel plan plusieurs années à l'avance et les accompagner dans ce processus.»

Dans une récente note sur le sujet, Desjardins citait l'exemple de l'épargne-retraite cession proposée par le ministère français de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique. Cette mesure incitative laisserait un entrepreneur investir le produit de la vente de son entreprise dans un contrat d'épargne bénéficiant d'un traitement fiscal avantageux, à condition d'avoir planifié à l'avance et de manière structurée la transmission de l'entreprise.

Monsef Derraji réclame, pour sa part, une réelle politique du repreneuriat au Québec, articulée autour de trois axes : le financement, notamment sur le plan du fardeau fiscal et de l'aide financière aux repreneurs ; la formation, aussi bien des repreneurs que des cédants ; et la création de réseaux, pour partager l'information et mettre en contact les cédants et les repreneurs.

«Il faut surtout changer la perception de la culture entrepreneuriale, juge-t-il. Trop souvent, on croit que, pour être entrepreneur, il faut lancer sa propre entreprise basée sur sa propre idée. Cependant, reprendre une entreprise, c'est aussi devenir un entrepreneur.»

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