Comment Montréal doit devenir championne en intelligence artificielle

Offert par Les Affaires


Édition du 30 Septembre 2017

Comment Montréal doit devenir championne en intelligence artificielle

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Édition du 30 Septembre 2017

Par Denis Lalonde

DOSSIER INTELLIGENCE ARTIFICIELLE - Dans 10 ans, parlera-t-on du Québec comme d'une référence mondiale en recherche fondamentale ou comme d'un exportateur d'intelligence artificielle ?

«On pourrait se contenter d'être de bons chercheurs, d'écrire des articles et de vendre nos brevets aux Américains. Toutefois, si on veut créer une industrie et être des champions, il faut retenir les chercheurs de renom et bien les entourer en attirant le talent requis», insiste Pierre Boivin, nommé coprésident du comité d'orientation pour la création de la grappe québécoise en intelligence artificielle (IA) en mai.

Pierre Boivin, président et chef de la direction de Claridge et ancien président du Canadien de Montréal, note qu'il faut que le Québec se donne les moyens non seulement de développer une très grande compétence en recherche fondamentale, mais également de mettre en place une chaîne complète de création de valeur allant de l'idée à la commercialisation.

L'autre coprésident est le recteur de l'Université de Montréal, Guy Breton. Il abonde dans le même sens, en précisant qu'il serait néfaste de tarir la recherche fondamentale et de tout miser sur la recherche appliquée. «Pour être capables, dans 10 ans, de trouver des solutions aux problèmes qui nous serons présentés, il faudra que des gens continuent à faire de la recherche fondamentale. On lui ajoute la recherche appliquée, qui répond à des besoins d'affaires actuels», dit-il. Il se donne comme mission de créer de nombreuses passerelles entre l'univers pédagogique et le monde des affaires. Il insiste sur le fait que les passerelles devront être à la fois culturelles, linguistiques et géographiques pour que l'initiative soit couronnée de succès.

Selon lui, le volet culturel vise à conscientiser les étudiants et les chercheurs non pas au volet théorique de leurs recherches, mais bien à leur applicabilité en entreprise. Le volet linguistique vise à créer un nouveau modèle pédagogique où l'on pourra asseoir des étudiants et des chercheurs avec des développeurs et des gens d'affaires. De cette manière, «les étudiants en intelligence artificielle parleront le même langage que les employeurs très tôt dans leur carrière», dit-il.

M. Breton ajoute que la passerelle géographique devra permettre de regrouper en un même lieu tous les chercheurs, les étudiants et les développeurs pour certaines périodes. «Ça va fonctionner de la même manière pour les PME et les grandes entreprises. Les entreprises viendront nous expliquer leurs problèmes, et les étudiants et les chercheurs tenteront de trouver comment l'intelligence artificielle, les données volumineuses [big data] ou une autre technologie pourraient le résoudre», explique-t-il, ajoutant que ce lieu commun devra pouvoir exposer tout le potentiel et tous les besoins à l'ensemble des acteurs qui se joindront à la grappe, d'où qu'ils viennent.

Guy Breton

Plus d'un million de dollars de financement

Chose certaine, les gouvernements semblent avoir compris que l'IA constitue un pôle économique prometteur. Québec a alloué 100 millions de dollars (M$) sur cinq ans pour la création et le développement de la grappe en intelligence artificielle. De son côté, le gouvernement fédéral a annoncé le 24 mai un financement de 950 M$ destiné aux «supergrappes» qui contribuent à «accélérer l'innovation dans des secteurs à forte croissance» au pays.

«L'intelligence artificielle se positionne très bien pour obtenir une partie du financement, et on a mis en place une collaboration très étroite entre trois instituts à Edmonton (Alberta Machine Intelligence Institute, ou Amii), à Toronto (Vector Institute) et à Montréal (Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal, ou MILA)», dit Pierre Boivin.

Cette initiative fédérale financera jusqu'à cinq supergrappes dans des industries comme la fabrication de pointe, l'agroalimentaire, les technologies propres, les technologies numériques, la santé et les biosciences, les ressources propres, l'infrastructure et les transports. Les soumissionnaires avaient jusqu'au 21 juillet pour remettre leur lettre d'intention. On attend encore la réponse du fédéral dans ce dossier.

En mars, au moment de déposer son budget, Ottawa annonçait également un financement de 125 M$ en intelligence artificielle pour les pôles de Montréal, de Toronto-Waterloo et d'Edmonton. Ces fonds seront gérés par l'Institut canadien de recherches avancées (ICRA).

De plus, en septembre 2016, le Fonds d'excellence en recherche Apogée Canada octroyait 93,6 M$ à l'Institut de valorisation des données (IVADO), qui chapeaute quatre initiatives de recherche universitaire, dont le MILA.

Le directeur général d'IVADO, Gilles Savard, explique que l'organisation est un institut universitaire qui travaille en collaboration avec des «membres industriels». «IVADO, c'est 1 000 scientifiques, dont plus de 100 professeurs, 600 étudiants à la maîtrise, au doctorat et au post-doctorat, en plus de 300 professionnels de la recherche. Nous sommes en lien avec plus de 70 partenaires industriels, institutionnels et gouvernementaux», dit-il.

M. Savard affirme que l'Institut est victime de son succès en ce moment : «Nous avons une liste d'attente d'industriels qui veulent devenir membres d'IVADO. Nous devons gérer cette situation avec prudence. Quand les entreprises deviennent membres, elles s'attendent à des services, et nous devons nous assurer de pouvoir répondre à leurs attentes avec l'équipe en place.»

Chaque dollar compte

Pierre Boivin insiste sur le fait que chaque dollar compte, puisque des pays comme les États-Unis et la Chine investissent massivement pour attirer les cerveaux de l'IA chez eux, sans oublier les Google, Facebook et Microsoft de ce monde. La concurrence est donc féroce.

«Ce qui est clair aujourd'hui, c'est que les deux niveaux de gouvernements comprennent pleinement que le Canada, et Montréal en particulier, sont parmi les leaders dans le secteur de l'intelligence artificielle. Si on demandait une liste de 10 grands experts mondiaux dans le domaine, on aurait 5 ou 6 noms canadiens en ce moment», soutient M. Boivin. Du nombre, il cite trois chercheurs qui se démarquent, dont Yoshua Bengio du MILA, Joëlle Pineau de McGill et Geoffrey Hinton du Vector Institute.

«Comme dans toute nouvelle science, les spécialistes en recherche fondamentale sont généralement en amont de tout ce qui se développe. Je ne me souviens pas de la dernière fois où le Canada et le Québec ont eu la pôle position dans un secteur aussi prometteur et aussi bouleversant que l'IA», dit-il.

Des chercheurs par centaines

Selon M. Boivin, le premier grand défi à l'agenda du comité d'orientation pour la création de la grappe québécoise en IA est de faire grimper le nombre de chercheurs, surtout en recherche appliquée : «On ne parle pas de dizaines, mais de centaines de chercheurs qu'on souhaite attirer au Québec d'ici deux ans.»

«Quand on regarde la chaîne de création, on constate que la recherche fondamentale génère souvent l'idée. Pour que celle-ci devienne un produit commercial, soit une solution pour Bombardier ou Couche-Tard, il faut que ça passe ensuite par la recherche appliquée. Il n'y a pas de produit révolutionnaire qui passe directement de la recherche fondamentale à la ligne de production. Il y a une étape très importante au milieu, celle de la recherche appliquée, et c'est là que nous devons nous renforcer», explique-t-il.

À la fin de l'exercice, le comité devra veiller à ce que les «trois roues» de la recherche fondamentale, de la recherche appliquée et de la commercialisation soient bien imbriquées. Cela passe par l'engagement des gouvernements, mais aussi de la grande entreprise en proximité directe avec les instituts en IA.

«Nous devrons trouver rapidement des solutions aux enjeux des manufacturiers et des autres grandes entreprises, que ce soit en hydro-électricité, en transport, en aéronautique, en commerce de détail, en santé ou dans le domaine financier», raconte M. Boivin, ajoutant que l'écosystème devra aussi être propice au lancement de start-up.

Selon lui, pour que des start-up émergent de l'écosystème, il faut qu'elles puissent compter sur des capitaux en quantité suffisante. Le monde québécois du capital de risque, tout comme dans les autres provinces canadiennes, doit s'interroger sur la possibilité de créer un fonds qui serait consacré à l'intelligence artificielle. «De cette manière, une entreprise prometteuse en IA n'aurait pas à rivaliser avec d'autres secteurs liés aux nouvelles technologies au moment de demander un appui financier», raconte-t-il, rêvant de voir deux ou trois entreprises québécoises émerger du lot et devenir des géants mondiaux de l'intelligence artificielle d'ici 5 à 10 ans.

Un succès qui se mesurera dans 10 ans

M. Boivin soutient que le succès du comité d'orientation pour la création de la grappe québécoise en intelligence artificielle se mesurera dans 10 ans, quand on parlera encore de Montréal comme d'un des pôles d'excellence en intelligence artificielle dans le monde, «pas seulement en recherche fondamentale comme c'est le cas aujourd'hui, mais aussi en création d'entreprises et d'emplois, de même qu'en augmentation de la contribution au PIB de la province».

Le CRIM poursuit ses travaux dans l'ombre

Une autre organisation évolue dans le monde de l'IA depuis 32 ans. «Le Centre informatique de Montréal [CRIM] faisait de l'intelligence artificielle même quand ce n'était pas populaire», blague le directeur général de l'organisme, Françoys Labonté.

Le CRIM, qui regroupe 55 personnes, dont 35 du côté de la recherche et du développement, effectue principalement des travaux en analytique audio, en biométrie vocale et en reconnaissance de la parole. La société SOVO Technologies, qui offre des services de sous-titrage d'événements télédiffusés en direct, est dérivée de l'organisation.

«On travaille encore régulièrement avec SOVO pour améliorer sa technologie. Cette entreprise a un créneau très particulier : elle doit fournir le sous-titrage en moins de cinq secondes entre la capture de la conversation et la ligne qui apparaît au bas de l'écran de télévision où le texte défile», dit M. Labonté. Selon ce dernier, le CRIM est un pôle qui fait le lien entre les mondes de la recherche et de l'industrie, en misant particulièrement sur des partenariats avec les PME.

Le mandat du comité d'orientation stratégique

1. Voir à la mise en place de l'Institut québécois en intelligence artificielle.

2. Élaborer pour le gouvernement une stratégie quinquennale qui partira de Montréal, mais qui sera panquébécoise.

3. Jouer un rôle de leader sur le plan de l'initiative canadienne des «supergrappes» pour que le Québec tire son épingle du jeu s'il y a des fonds additionnels qui sont octroyés par le gouvernement fédéral.

4. Se pencher sur les impacts sociaux qui découleront de l'avancement de l'intelligence artificielle.

 

PETIT LEXIQUE DE L'INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Apprentissage profond :

Technique d'apprentissage automatique qui fait appel à des réseaux de neurones artificiels pour permettre aux ordinateurs de reconnaître le contenu d'une image ou de comprendre la voix. (OQLF)

Apprentissage automatique :

Processus par lequel un ordinateur acquiert de nouvelles connaissances et améliore son mode de fonctionnement en tenant compte des résultats obtenus lors de traitements antérieurs. (OQLF)

Apprentissage par renforcement :

Technique d'apprentissage automatique. Vise à récompenser les bonnes réponses et à pénaliser les mauvaises réponses. Les algorithmes doivent découvrir grâce à des essais et erreurs quelle réponse offre la plus grande récompense. (CIBC)

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