Lithium en territoire cri: une mine qui divise et ravive de vieilles blessures

Publié le 05/02/2023 à 10:30

Lithium en territoire cri: une mine qui divise et ravive de vieilles blessures

Publié le 05/02/2023 à 10:30

Par La Presse Canadienne

Installations de la mine Whabouchi (Nemaska Lithium), Baie James (Photo: La Presse Canadienne)

Un reportage de Stéphane Blais de La Presse Canadienne

Dans une communauté crie de la région Eeyou Istchee Baie-James au nord du Québec, une mine de lithium, dans laquelle le gouvernement du Québec a investi des sommes colossales, doit entrer en production en 2025. 

Mais à Nemaska, où les installations de la mine sont en chantier, le projet divise la communauté et selon deux anciens chefs, il n’a jamais reçu l’approbation de la population. 

Lorsqu’on écrit le mot «Nemaska» dans un moteur de recherche, la majorité des résultats réfèrent à l’entreprise Nemaska Lithium, qui s’est placée sous la protection de la loi de la faillite avant d’être en partie rachetée par Investissement Québec au terme d’une aventure qui aura fait perdre des économies importantes à des dizaines de milliers de petits investisseurs.  

Mais Nemaska, c’est avant tout une communauté crie qui s’est construit un village isolé au cœur de la forêt boréale, à plus de 1500 kilomètres de Montréal, et qui partage son territoire avec une riche variété d’espèces typiques des grandes forêts nordiques comme l’ours, le loup, l’orignal ou encore le lynx. 

Les forêts vierges qui entourent Nemaska, avec l’abondance du lichen qui y pousse, sont un endroit de prédilection pour les hardes de caribous qui font escale dans le secteur depuis toujours. 

Ces écosystèmes fragiles, qui abritent une multitude d’espèces menacées, devront bientôt cohabiter avec de nouveaux visiteurs: chaque jour, une quinzaine de camions lourds transporteront, à travers les territoires de chasse traditionnels, les milliers de tonnes de minerai que compte exploiter quotidiennement l’entreprise Nemaska Lithium à partir de 2025. 

Selon les promoteurs, la région possède l‘un des plus grands gisements de spodumène au monde, une roche à partir de laquelle est extrait le métal précieux pour la transition énergétique et l’électrification des transports. 

Nemaska Lithium se décrit comme une «société qui entend faciliter l’accès à l’énergie verte, au bénéfice de l’humanité». 

La fosse à ciel ouvert de la mine Whabouchi sera située à une trentaine de kilomètres du village de Nemaska, dans le bassin versant de la rivière Rupert, l’un des joyaux écologiques du Québec. 

«Si l’eau vient à être contaminée par la mine, je ne vois pas comment on peut limiter les dégâts dans la chaîne alimentaire», s’inquiète Thomas Jolly, chef de Nemaska de 2015 à 2019, en soulignant l’importance de la pêche pour sa communauté. 

Nemaska signifie «là où le poisson abonde» et c’est d’ailleurs en raison du garde-manger que représentent les immenses cours d’eau qui serpentent la région que les Cris ont choisi cet endroit, en 1979, pour y construire une communauté. 

«À l’époque, le ministère des Affaires indiennes voulait nous imposer un autre site (…) mais c’était partiellement un marécage, on a plutôt choisi de s’établir ici, au sec, dans un endroit où il y a tout ce qu’il faut pour chasser et pêcher. Qui voudrait vivre les pieds dans la boue?», demande Thomas Jolly en ricanant lorsque La Presse Canadienne le rencontre dans sa communauté, sur la rive du lac Champion. 

Le ton de l’ancien chef devient beaucoup plus sérieux lorsqu’il explique que si sa communauté a dû construire un nouveau village «à partir de rien», c’est parce qu’elle a été «forcée de s’enfuir», «de se séparer» et «d’abandonner», au prix de traumatismes, son village ancestral de Old Nemaska, au début des années 1970, sous la menace d’être inondé par le projet de barrages d’Hydro-Québec Nottaway-Broadback-Rupert.  

L’inondation de «Old Nemaska» ne s’est toutefois jamais produite, car après avoir étudié d’autres options, la société d’État a finalement choisi d’aménager des réservoirs dans un autre secteur. 

Mais différents projets d’Hydro-Québec comme le complexe hydroélectrique de La Grande Rivière dans les années 1980 ont entraîné une augmentation du mercure dans des lacs et rivières près de Nemaska, au point où il est recommandé par la santé publique que les gens ne consomment pas plus que deux poissons de certaines espèces par mois provenant de ces plans d’eau. 

L’un des cours d’eau où la teneur en mercure est la plus élevée, selon la santé publique, est la rivière Némiscau, l’endroit choisi par Nemaska Lithium comme effluent minier. 

C’est donc dans cette rivière que s’écoulera «le surplus d’eau de drainage du site minier». 

«Quel autre degré de contamination peuvent supporter ces cours d’eau?», s’interroge Thomas Jolly. 

Il explique qu’il se méfie des études de la compagnie minière concernant les impacts que peut représenter l’extraction du lithium sur l’environnement, particulièrement sur l’eau, de la même façon qu’il se méfiait à l’époque d’Hydro-Québec. 

«Hydro-Québec disait qu’elle ne savait pas que ça se produirait (la contamination au mercure). Voyons, comment ça elle ne savait pas?», se demande Thomas Jolly. 

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