Doux succès

Publié le 27/10/2017 à 05:00

Doux succès

Publié le 27/10/2017 à 05:00

Leontino Balbo Junior est vice-président exécutif de Native (ex-Grupo Balbo)

ÉCONOMIE CIRCULAIRE - Dans une ferme brésilienne, un petit-fils met au point de nouvelles machines et méthodes qui rendent la culture du sucre de canne plus écologique – et rentable – que jamais.

Par Andrea Vialli, Valor Economico

Le sucre coule dans les veines de Leontino Balbo Junior. Ce cinquantenaire est vice-président exécutif de Native (ex-Grupo Balbo), le plus grand producteur de canne à sucre bio du Brésil. Fondé en 1946 par son grand-père, la petite entreprise familiale des débuts est devenue l’un des leaders mondiaux du segment bio de ce marché.

Représentant 23 % du PNB et plus de 30 % des emplois, l’agro-industrie est une pierre angulaire de l’économie brésilienne. Le pays produit plus de sucre que tout autre au monde et exporte près de 28 millions de tonnes par an. Mais la production de sucre peut avoir un arrière-goût amer : les engrais et autres substances agrochimiques érodent les sols et polluent l’eau, nuisent à la santé humaine et à celle des animaux sauvages. Deux fois par an, le nettoyage des moulins à canne à sucre déverse d’énormes quantités d’eau toxique dans l’environnement.

C’est en 1986 que, jeune diplômé en agronomie de l’Université de São Paulo, Leontino Balbo Junior commence à réfléchir à des méthodes plus écologiques pour cultiver la canne à sucre. Son objectif est de doper la productivité, accroître la résistance aux nuisibles et réduire les ressources prélevées. Très vite, il a un plan, qu’il nomme « agriculture de revitalisation de l’écosystème » (ARE). Il est convaincu qu’il fera repartir à la fois les cultures affaiblies et la fertilité des sols.

Tenant à prouver au monde l’efficacité de la démarche ARE, Leontino Balbo Junior décide de travailler sur les plants défaillants du SP84-2025. Autrefois très productive, cette variété de canne à sucre est devenue vulnérable au virus de la feuille jaune à la fin des années 1990, et a été abandonnée par les producteurs de São Paulo.

L‘approche de Leontino Balbo Junior s’ancre dans un profond respect pour les sols. Il est convaincu que l’agriculture moderne les dégrade de trois manières : les machines agricoles les compressent et réduisent ainsi leur capacité à retenir l’eau ; les engrais défont leur équilibre chimique naturel ; et la monoculture réduit la biodiversité. Or un sol en bonne santé est indispensable à la bonne santé des plantes qui y poussent. « Tellement de terres agricoles sont mortes », déplore-t-il. « Nous devons les revitaliser pour restaurer l’énergie de tout l’écosystème ».

Pour y parvenir, Leontino Balbo Junior crée un laboratoire de test de 16 000 hectares sur la plantation familiale, et y déploie peu à peu ses méthodes. Tout d’abord, il met fin à l’ancienne technique de brûlis, selon laquelle la canne à sucre à maturité devrait être brûlée avant d’être récoltée afin de les débarrasser des feuilles et des pédoncules, qui représentent presque le quart de la plante. L’opération permet de ne pas augmenter les frais de transport et de traitement, tout en éliminant les nuisibles et les serpents. Mais elle comporte aussi des inconvénients : « Une fois brûlée, la canne dégage une matière sirupeuse comme le miel, qui coule au sol. Quand les moissonneuses la collectent avec le reste, elle est pleine de poussière », explique Leontino Balbo Junior. Il faut plus de trois millions de litres d’eau par heure pour les nettoyer – un énorme gaspillage.

Leontino Balbo Junior passe cinq ans, de 1988 à 1993, à développer une nouvelle moissonneuse mécanique capable de couper la canne encore verte, avec toutes ses feuilles. La machine comporte un dispositif dans lequel des courants d’air contraires enlèvent les feuilles et les éparpillent sur le sol. Selon Leontino Balbo Junior, ce procédé redistribue plus de 20 tonnes de déchets agricoles par hectare par an, redonnant au sol des nutriments, dont du nitrogène, et formant une pellicule protectrice qui contribue à réduire les mauvaises herbes.

Pour limiter la compression des sols, Leontino Balbo Junior modifie les pneus. « L’équipement agricole est lourd », dit-il. « Où que vous conduisiez, vous comprimez le sol, changez sa structure géométrique et réduisez sa capacité à retenir l’eau ». Pour un impact moindre, il est passé aux pneus ultralégers et partiellement dégonflés avant d’aller dans les champs.

Au cœur de l’approche et des techniques de Leontino Balbo Junior se trouve la conviction que, s’il parvient à restaurer l’état des sols à celui d’une forêt, la nature fera le reste. Mais Mère Nature travaille lentement et, de 1992 à 2000, l’agriculteur remarque bien des plants stressés. « Nous n’obtenions pas de bons rendements. Les résultats environnementaux ont mis du temps à se faire sentir ». Pendant ce temps, les nuisibles prolifèrent. « Je ne comprenais pas bien d’où venait le problème : des pneus, des déchets ? Dans l’environnement, il est difficile de savoir ce qui cause quoi ». Mais après cinq années consécutives à nourrir le sol de couches de déchets végétaux, la diversité de la micro et macrofaune s’est amplifiée, et les cannes à sucre se sont mises à pousser avec plus de vigueur.

Aujourd’hui, Leontino Balbo Junior peut s’assoir à son bureau et laisser porter son regard sur le paysage luxuriant de São Paulo, la région de ses souvenirs d’enfance, avec la satisfaction d’avoir remporté son pari. Ses terres accueillent désormais des centaines d’animaux sauvages : renards, chevreuils, cabiais, tatous, moult espèces d’oiseaux et quatre types de grands chats. D’un point de vue entrepreneurial, les gains ont été considérables : Native produit 87 000 tonnes de sucre bio par an, soit 34 % de la production mondiale. La liste de ses clients internationaux est également devenue impressionnante : The Body Shop, Green & Blacks et Yeo Valley, pour n’en citer que quelques-uns.

Pour Laura Santos Prada, agronome de l’organisation environnementale Imaflora, Leontino Balbo Junior a réussi à prouver qu’il est possible d’obtenir une agriculture hautement productive et régénérante à échelle industrielle. Imaflora estime que moins de 1% de l’agriculture brésilienne est certifiée en matière d’environnement. « Il est de plus en plus nécessaire que les systèmes de production conventionnels deviennent écologiques et que les systèmes d’agroforesterie combinent la culture de plantes agricoles avec la maintenance de parcelles de forêt naturelle », déclare Laura Santos Prada.

La motivation de Leontino Balbo Junior est simple : « J’aime tellement ce que je fais. J’ai la chance merveilleuse d’aider les gens à manger des produits sains tout en préservant l’environnement ». Si seulement tous les agriculteurs pouvaient en dire autant.

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