Manque de vision stratégique face aux TI : un frein pour les PME québécoises

Publié le 03/08/2011 à 10:34, mis à jour le 10/09/2012 à 14:00

Manque de vision stratégique face aux TI : un frein pour les PME québécoises

Publié le 03/08/2011 à 10:34, mis à jour le 10/09/2012 à 14:00

Par lesaffaires.com

Entrevue avec Benoit Aubert

En collaboration avec des chercheurs de l’Université Victoria en Nouvelle-Zélande, Benoit Aubert, professeur spécialisé en gouvernance et technologies de l'information (TI) à HEC Montréal mène actuellement des recherches sur l’apport des TI dans la productivité des organisations. Il nous a accordé une entrevue sur les résultats observés à ce jour.

Par Liette D’Amours

L. D’Amours : Dans un premier temps, pourquoi avoir effectué un partenariat de recherche avec la Nouvelle-Zélande?

B. Aubert : Il faut d’abord préciser que je n’en suis pas à ma première collaboration avec l’Université Victoria. J’y suis professeur invité depuis l’an 2000. Tout comme le Canada, la Nouvelle-Zélande souffre depuis un certain temps d’un déficit de productivité, ce qui préoccupe grandement leurs gouvernements respectifs. Les organisations néo-zélandaises tant publiques que privées accusent un véritable retard sur leurs voisines australiennes comme les nôtres face aux américaines. Ainsi, puisque nous partageons sensiblement les mêmes réalités, nous tentons de comprendre ensembles les raisons de ce déficit. Cette analogie nous permet également de mener des enquêtes dans nos deux pays respectifs et d’en tirer des résultats qui profitent à tous.

L. D’Amours : Où en êtes-vous rendus avec cette recherche?

B. Aubert : Entre juin et septembre 2010, nous avons procédé à la collecte de données dans chacun de nos pays. Nous analysons actuellement cette information. Nous avons notamment constaté que peu importe le pays où elles se trouvent, les caractéristiques des infrastructures TI que les organisations mettent en place pour obtenir des gains de productivité sont les mêmes. Autrement dit : nous n’avons trouvé, à ce chapitre, aucune différence entre les entreprises canadiennes et les néo-zélandaises.

L. D’Amours : En quoi consiste exactement cette étude?

B. Aubert : Nous cherchons à mieux comprendre ce qu’est l’infrastructure technologique. Ainsi, nous tentons de faire la distinction entre ce qui relève de la «pensée magique» et ce qui s’avère de véritables conditions pour améliorer la productivité des entreprises. Je m’explique : dans le discours public, on croit par exemple que l’accès à la haute vitesse va régler les problèmes de productivité des entreprises. Or, nos résultats démontrent que seul l’accès à la haute vitesse ne suffit pas. C’est l’ensemble de l’infrastructure qu’il faut considérer et non pas juste le branchement. Il faut également prendre en compte la qualité des données dont les entreprises disposent; la qualité de leurs processus et de leur personnel; la compatibilité de leurs équipements, etc. La productivité dépend d’un ensemble de facteurs et non pas seulement de la haute vitesse.

Ce constat soulève des questions de fond car étendre de la fibre optique partout, cela coûte peut-être cher mais l’opération peut se réaliser assez facilement. Toutefois, améliorer l’infrastructure technologique des entreprises s’avère un tout autre défi.

L. D’Amours : Des premiers résultats?

B. Aubert : Nous avons aujourd’hui une bonne idée du rôle de l’infrastructure dans l’amélioration de la performance des entreprises. En l’occurrence, nous savons que la qualité de l’infrastructure technologique à une influence aussi importante que la formation des employés ou que les compétences en TI de l’ensemble du personnel. L’étape suivante consistera à identifier quel est le processus qui permettra d’améliorer la performance. Par quoi doit-on commencer pour viser la meilleure amélioration? Comment doit-on s’y prendre pour changer les choses?

L. D’Amours : Selon vous, quel est le plus grand frein à l’implantation des TI dans les entreprises?

B. Aubert : Le manque de vision stratégique face aux TI. Si nous n’avons pas une vision claire de ce que nous pouvons faire avec les technologies, il est inutile d’investir dans de nouveaux outils. Nous dépenserons notre argent pour rien. Cette recherche nous apprend notamment que les petites et moyennes entreprises qui ont une vision du rôle des TI et qui arrivent à définir la gouvernance correctement, ont de bien meilleures infrastructures technologiques que les autres.

L. D’Amours : Que conseillez-vous aux organisations?

B. Aubert : Elles doivent se préoccuper des TI au même titre que leurs finances ou leur infrastructure générale (immobilier). Lorsqu’elles construisent une nouvelle usine, elles réfléchissent à son organisation et à la façon dont celle-ci évoluera dans le temps. Eh bien, elles doivent faire exactement la même chose avec les TI. Pour chaque acquisition, elles doivent planifier l’intégration avec les technologies existantes et sa capacité d’évolution.

Combien d’organisations nous ont avoué que si elles avaient su ce que permettait de faire leur système ERP avant de l’implanter, elles ne l’auraient pas déployé de cette façon. Après, il est malheureusement, trop tard pour corriger la situation : la technologie est déjà intégrée et le budget est souvent dépassé. Elles devront vivre cinq à dix ans avec un système mal installé dont elles ne tireront jamais les bénéfices.

L. D’Amours : À quoi attribuez-vous ce problème ?

B. Aubert : Il y a plusieurs facteurs. On peut mentionner le manque de formation de certains gestionnaires canadiens et québécois. À ce chapitre, une récente étude montre que ces derniers sont moins scolarisés que leurs pairs américains1. Au Québec, nous avons de sérieux problèmes de décrochage et de formation de la main d’œuvre. En outre, comme nous avons moins investi dans les technologies, nous avons aussi moins développé d’expertise dans le domaine au sein des entreprises utilisatrices.

L. D’Amours : Des recommandations à faire aux décideurs pour corriger cette situation?

B. Aubert : Qu’un décideur ne possède pas ces connaissances, ce n’est pas dramatique mais qu’il ne reconnaisse pas la nécessité que son entreprise doive les détenir, c’est pas mal plus grave. Pour palier cette lacune, les gestionnaires doivent s’allier des professionnels qui maîtrisent cette expertise. Il peut s’agir d’un consultant ou d’un employé. Dans les deux cas, il faudra le choisir avec soin car comme il sera impliqué dans les éléments de gouvernance, vaut donc mieux qu’il soit en poste assez longtemps. Même si de prime abord, ces honoraires peuvent sembler superflus pour les décideurs, ils doivent comprendre qu’il est bien plus payant d’investir dès le départ dans cette intelligence. Si la réflexion initiale est menée correctement, cette expertise leur permettra de non seulement faire les bons choix technologiques mais de sauver au bout du compte de l’argent.

L. D’Amours : Et quelle est la réalité observée au Québec?

B. Aubert : Les Québécois travaillent presqu’autant d’heures que les Américains mais par heure travaillée, ils produisent beaucoup moins. Ce qui s’avère dramatique! Il faut donc mieux outiller nos travailleurs afin de rattraper ce manque en productivité. Or, plusieurs dirigeants de PME québécoises ne réalisent pas qu’investir moins en TI que ses concurrents constitue un réel problème. Pourquoi? Parce qu’ils ne réfléchissent pas systématiquement aux façons dont les technologies pourraient améliorer leur productivité. Et ce manque de productivité se traduit inévitablement en pertes de clients, en fermetures d’usines, etc.

L. D’Amours : Un dernier constat a dévoilé en terminant?

B. Aubert : L’analyse de données nous a aussi appris que les entreprises qui possèdent de meilleures infrastructures technologiques impliquent leurs experts TI dans leur stratégie. Quand les gestionnaires TI font partie de la direction, l’infrastructure technologique est non seulement meilleure mais sa contribution à la productivité aussi. Chaque fois qu’une entreprise réfléchit aux TI, elle doit être en mesure de se projeter, de s’imaginer ce qu’elle pourra réaliser en adoptant ces nouvelles technologies.

Pour en savoir plus :

1) Management matters, Working Paper (2009), The Institute for Competitiveness & Prosperity (Ontario), p. 39.

 

Benoit A. Aubert est professeur titulaire à HEC Montréal où il détient le professorship gouvernance et technologies de l’information. Il est également professeur invité à l’Université Victoria de Wellington (Nouvelle Zélande). Benoit Aubert est Fellow au CIRANO (Centre inter-universitaire de recherche en analyse des organisations) et éditeur senior de la revue Database. À HEC Montréal, il est membre du Groupe de recherche en systèmes d’information et du Centre sur la productivité et la prospérité.


La diffusion de ces résultats de recherche est rendue possible par une subvention octroyée par le Fonds de recherche sur la société et la culture (FQRSC) à Benoit Aubert (HEC Montréal), Bouchaib Bahli (Université de Rennes), François Bergeron (Télé-Université), Anne-Marie Croteau (Université Concordia) et Suzanne Rivard (HEC Montréal) dans le cadre d'un programme de recherche sur la Gestion stratégique des technologies de l'information.

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