Clauses de non-concurrence et pénurie de main-d’œuvre : une adaptation est-elle requise?
Robinson Sheppard Shapiro|Mis à jour le 12 juin 2024Il faut être bien distrait pour ne pas avoir vu dans l’actualité des derniers mois un cri d’alarme généralisé relatif à la pénurie de main-d’œuvre. Selon une étude récente de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, le manque de travailleurs menacerait la croissance d’une PME québécoise sur deux.
La surenchère entre employeurs devient donc un enjeu réel et pourrait inciter certains employés à sauter sur les offres d’emploi de concurrents directs. Ce phénomène amène plusieurs questions qui vont au-delà des considérations juridiques.
Un employeur bénéficiant d’une clause de non-concurrence doit-il adapter sa réaction en fonction d’un marché du travail transformé? Certes, comme l’explique Eliab Taïrou, avocat au sein du groupe de Droit du travail et de l’emploi chez Robinson Sheppard Shapiro, un employeur peut tenter de contrer les déplacements latéraux en menaçant d’exercer la clause. Les tribunaux pourraient se montrer sympathiques à sa cause du fait que le marché qu’il cherche à protéger a sans doute été fragilisé par la pandémie. En revanche, l’employeur trop enclin à bloquer la mobilité de ses employés enverrait un signal négatif au sein de son entreprise, ce qui nuirait au climat de travail.
Plus que jamais, un employeur doit se livrer à un calcul stratégique. La surenchère entre employeurs à l’égard des conditions de travail fait désormais, et pour un bon moment encore, partie des réalités des affaires. L’employeur ne peut l’ignorer. Alors, est-il plus efficace et plus rentable pour lui de chercher à garder ses employés par la contrainte ou d’améliorer les conditions de travail de ses employés, en assurant leur formation, par exemple?
Comme le rappelle Me Taïrou, une clause de non-concurrence est un outil légitime, qui doit cependant être utilisé avec finesse et subtilité. La protection des intérêts légitimes de l’employeur est certes un objectif valable, mais la restriction forcée de la mobilité des travailleurs n’est peut-être pas la meilleure stratégie. La protection des intérêts d’une entreprise pourrait également être assurée par des mesures visant sa propriété intellectuelle, ses listes de clients par exemple, ou par des clauses de non-sollicitation, à l’égard desquelles les tribunaux sont généralement moins réticents.
Les employeurs ne bénéficiant pas de clauses de non-concurrence devraient-ils chercher à garder leurs employés en instaurant de telles clauses? On se heurte ici à une règle purement juridique : la modification unilatérale à un contrat d’emploi exige une contrepartie. Selon Pierre E. Moreau, associé au sein du groupe de Droit du travail et de l’emploi, il ne s’agit pas d’un amendement mineur : un employeur ne peut simplement pas décider unilatéralement d’imposer un changement à un aspect si essentiel de l’entente qui le lie à ses employés. Il doit en retour offrir une promotion, une augmentation salariale, une amélioration du régime de vacances ou une autre contrepartie. En raison des coûts potentiels, il y aurait lieu de restreindre cette mesure aux employés exerçant une fonction stratégique dans l’entreprise. Il ne faudrait donc pas voir la clause de non-concurrence comme un remède à appliquer à toute une entreprise.
Les avocats qui représentent les employeurs doivent donc eux aussi être au fait de cette nouvelle réalité et apprendre à s’adapter à un marché de l’emploi en constante évolution.
Robinson Sheppard Shapiro offre des services juridiques et des conseils stratégiques en droit des affaires, en litige civil, en droit des assurances, en droit du travail et de l’emploi, en droit des transports, en successions, testaments et fiducies ainsi qu’en droit de la famille. Le cabinet propose une approche personnalisée rencontrant les diverses réalités d’affaires.