Des solutions contractuelles pour pallier la pénurie de main-d’œuvre dans le secteur manufacturier
BCF Avocats d'affaires|Mis à jour le 12 juin 2024Rares sont les journées où l’on n’entend pas parler de la pénurie de main-d’œuvre. Cette situation est particulièrement criante dans le secteur manufacturier, qui, selon l’organisme Manufacturiers et Exportateurs du Québec, déplore notamment un manque d’opérateurs, de soudeurs, de machinistes, d’assembleurs, de mécaniciens et d’ingénieurs.
Selon une étude de la BDC, le secteur manufacturier serait le deuxième secteur le plus affecté par la pénurie, ex aequo avec le secteur du commerce de détail et de gros. Cette situation entraîne notamment des limites à la croissance, des pertes de contrats, des pénalités de retard et une diminution de la production des entreprises.
Pour les employeurs, la réponse usuelle à cette pénurie de main-d’œuvre est d’intensifier leurs efforts pour séduire les travailleurs disponibles en améliorant les conditions de travail. Cette approche a toutefois des limites, car la concurrence est forte. On cherche donc à élargir le bassin de recrutement en demandant de retarder l’âge de la retraite et en favorisant l’immigration, ou encore en embauchant des employés à l’étranger. On cherche aussi à automatiser certains processus, ce qui peut être long et coûteux.
Une solution parfois méconnue ou mal utilisée par les entreprises est la solution contractuelle. En effet, les entreprises – manufacturières ou autres – sont souvent familières avec certains modèles contractuels, mais ne sont pas toujours au fait de toutes les options qui s’offrent à elles pour les aider à minimiser les impacts de la pénurie de main-d’œuvre et, qui sait, pour se démarquer par la même occasion. Il existe en effet plusieurs modèles contractuels, autres que le contrat d’emploi classique, qui peuvent être utilisés afin d’avoir accès à des ressources. Ces autres modèles offrent une flexibilité accrue, mais offrent surtout des options aux entreprises manufacturières à la recherche de solutions. Afin d’atteindre les objectifs recherchés, cependant, il est important de bien en comprendre les particularités.
Les contrats de service : une solution flexible
Un contrat semblable, mais pourtant très différent du contrat d’emploi, est le contrat de consultation ou de service. Il lie généralement une entreprise et un individu (ou une compagnie de gestion détenue par cet individu). La différence principale entre un contrat de service et un contrat d’emploi est le lien de subordination (obligatoire dans le cas d’un contrat de travail).
Le contrat de service offre plus de flexibilité et certains avantages fiscaux au travailleur autonome, en plus d’éviter à l’entreprise de supporter les charges sociales liées à l’embauche. Cependant, il faut s’assurer que ce contrat ne soit pas un contrat d’emploi « déguisé », car le travailleur pourrait alors invoquer les protections offertes par le droit du travail, notamment en cas de congédiement injustifié ou d’accident de travail. De plus, il faut garder en tête que les obligations de confidentialité et de loyauté de la part d’un fournisseur de services ne sont pas les mêmes que pour un employé, et que la propriété intellectuelle développée par le fournisseur de services appartient, par défaut, au fournisseur (et non à son client!). Le contrat doit donc être bien rédigé pour tenir compte de ces éléments.
Une autre option consiste à faire affaire avec une autre entreprise qui, elle, a accès à des ressources, localement ou à l’étranger. On met alors en place un contrat de service, pouvant être intitulé contrat de sous-traitance ou d’impartition. Les variantes d’un tel contrat sont multiples.
L’une des variantes principales est de savoir si le fournisseur de services offre l’accès à des ressources, à des taux horaires déterminés, ou s’il est responsable de fournir un résultat prédéfini. Dans le premier cas, le client reste généralement responsable de gérer les ressources et, conséquemment, demeure davantage en contrôle des processus et conserve les connaissances liées à l’exécution. En revanche, il conserve aussi le risque d’exécution et est tributaire des roulements de personnel. Dans le second cas, le fournisseur de services assume la responsabilité liée à l’exécution et garantit un résultat, ce qui comporte des avantages évidents. Cependant, le client doit accepter de perdre le contrôle et le savoir-faire lié à certains processus.
Dans certains cas, les entreprises n’ont pas d’entente formelle en place, et émettent plutôt des bons de commande pour les services requis. Dans la situation actuelle de pénurie de main-d’œuvre et de fragilité des chaines d’approvisionnement, cette approche est cependant risquée. En effet, un sous-traitant qui n’est pas lié par un contrat-cadre plus formel n’a pas l’obligation de continuer de livrer les produits et services et ce, même si la relation perdure depuis longtemps. Il pourrait ainsi refuser d’accepter un bon de commande. De plus, rien n’empêche le fournisseur d’augmenter ses prix ou de modifier les caractéristiques de ses biens et services. C’est pourquoi une entreprise dont les activités reposent en grande partie sur des sous-traitants doit porter une attention particulière à la mise en place de contrats à long terme solides.
Ces contrats à long terme devront clairement identifier les services, les livrables, l’échéancier, le prix et les modalités de livraison et de paiement. Si une telle entente est mise en place avec une entreprise étrangère, il faut bien identifier les lois qui s’appliqueront en cas de désaccord et le tribunal qui pourra statuer en cas de litige. Bien que le contrat puisse prévoir que le droit du Québec s’appliquera, il y a souvent des règles d’ordre public ou des normes locales qui s’appliqueront de facto à la relation. Les enjeux de confidentialité, d’exclusivité et de propriété intellectuelle devront aussi être gérés par le contrat, qui devient en quelque sorte la loi des parties.
Le contrat de société : forger une relation à long terme
Une troisième option contractuelle pour pallier la rareté de la main-d’œuvre, plus engageante et plus complexe, mais qui offre de grandes possibilités, consiste à mettre en commun des biens, des connaissances ou des activités avec une autre entreprise et de s’entendre avec elle pour un partage des profits découlant des activités communes. On parle alors de contrat de société.
Il existe plusieurs types de sociétés, dont la plus connue est la société par actions. On entend aussi parfois parler de partenariat, de consortium ou de joint venture. Cette avenue peut être intéressante, par exemple, si une entreprise détenant une technologie ou un bassin de clientèle intéressants souhaite établir une relation à long terme avec une autre entreprise qui, elle, a accès à des ressources qualifiées, que ce soit localement ou à l’étranger. Nul besoin de mentionner que les ententes pour la mise en place d’une société doivent être soigneusement rédigées et font l’objet de négociations soutenues.
L’acquisition d’entreprise : une avenue définitive
Finalement, une entreprise qui souhaite avoir accès aux ressources (humaines et autres) d’une autre entité sur une base permanente peut en faire l’acquisition, soit au moyen d’un achat d’actifs ou d’un achat d’actions. Elle devra d’abord faire une bonne vérification des actifs et passifs de l’entreprise qu’elle acquiert et garder en tête qu’elle acquiert les contrats de travail tels quels, étant ainsi liée par les modalités de ceux-ci, ce qui implique notamment qu’elle devra respecter l’ancienneté des employés et leurs conditions d’emploi. Cette solution est adoptée par plusieurs en ce moment, ce qui explique sans doute en partie la hausse marquée des transactions de fusions et acquisitions au cours des dernières années et la consolidation du secteur manufacturier.
En bref, les options contractuelles disponibles sont multiples et peuvent être modulées selon les objectifs et la situation des entreprises. Il serait bien dommage de ne pas profiter du potentiel de collaboration immense disponible, ici et à l’étranger. Bien sûr, il y a des risques à considérer et ces décisions requièrent une analyse rigoureuse et une bonne planification, mais le jeu en vaut la chandelle. Comme dans toute crise, on peut trouver dans la pénurie de main-d’œuvre actuelle une occasion de croissance et d’amélioration.
Pour toute question concernant les différents contrats ou ententes commerciales disponibles pour vous aider à pallier la pénurie de main-d’œuvre, n’hésitez pas à communiquer avec Dominique Babin, associée en droit commercial chez BCF.