Grèves en transport: le gouvernement fédéral davantage appelé à intervenir
La Presse Canadienne|Publié le 16 septembre 2024Les membres de la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada manifestent devant le siège social du CPKC à Calgary, en Alberta, le vendredi 23 août 2024. (Photo: La Presse Canadienne)
À une époque où les grèves et le pouvoir des syndicats sont en hausse, les experts du travail estiment qu’il n’est pas surprenant de voir davantage d’appels à l’intervention du gouvernement dans certains secteurs comme les transports.
Ce qui est nouveau, selon les experts, c’est que le gouvernement ne se précipite pas pour promulguer des lois de retour au travail.
Le professeur de droit du travail à l’Université Brock Larry Savage affirme que pendant des décennies, les entreprises des secteurs réglementés par le gouvernement fédéral, comme les compagnies aériennes, les chemins de fer et les ports, se sont essentiellement appuyées sur l’intervention du gouvernement par le biais de lois de retour au travail pour mettre fin ou éviter les arrêts de travail.
«Si cela a contribué à éviter les grèves prolongées, cela a également porté atteinte à la négociation collective libre et équitable. Cela a érodé la confiance entre la direction et le syndicat à long terme et a créé un profond ressentiment sur le lieu de travail», a-t-il soutenu.
Barry Eidlin qualifie cela de «tradition canadienne».
«Les gouvernements canadiens, tant fédéral que provinciaux, ont été parmi les plus prompts à réagir lorsqu’il s’agissait de lois de retour au travail», a affirmé Barry Eidlin, professeur agrégé de sociologie à l’Université McGill.
Larry Savage a relaté que le recours à des lois de retour au travail a atteint son apogée dans les années 1980, mais que son déclin était principalement dû au fait que les grèves devenaient moins courantes à mesure que le pouvoir de négociation des syndicats s’affaiblissait.
Mais depuis que le droit de grève a été inscrit dans la Charte canadienne des droits et libertés en 2015, Larry Savage affirme que le gouvernement semble plus réticent à recourir à des lois de retour au travail.
Barry Eidlin est d’accord.
«La barre pour enfreindre le droit de grève en adoptant une loi de retour au travail est devenue beaucoup plus haute», a-t-il souligné.
Une voie de contournement
Les experts affirment cependant que le gouvernement fédéral semble avoir trouvé une solution de contournement.
En août, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) et le Canadien Pacifique Kansas City (CPKC) ont mis en lock-out plus de 9000 travailleurs, mais le ministre fédéral du Travail, Steve MacKinnon, est rapidement intervenu, demandant au Conseil canadien des relations industrielles de leur ordonner de revenir et d’ordonner un arbitrage exécutoire, ce qu’il a fait.
La décision du gouvernement, qui se fonde sur l’article 107 du Code canadien du travail, est «très controversée», a indiqué Larry Savage.
L’article 107 du Code édicte que le ministre «peut prendre les mesures qu’il estime de nature à favoriser la bonne entente dans le monde du travail et à susciter des conditions favorables au règlement des désaccords ou différends qui y surgissent; à ces fins il peut déférer au Conseil toute question ou lui ordonner de prendre les mesures qu’il juge nécessaires».
«La raison pour laquelle cette solution de contournement est préoccupante est qu’il n’y a pas de débat parlementaire. Il n’y a pas de vote à la Chambre des communes», a soulevé Larry Savage.
Barry Eidlin craint que l’utilisation de l’article 107 par le gouvernement puisse créer un précédent similaire à ce que des décennies de lois de retour au travail ont fait: enlever à l’employeur l’incitation à conclure une entente dans le cadre de négociations.
«Cela a un effet corrosif sur la négociation collective», a-t-il souligné.
Une décision attendue du tribunal
Mais Barry Eidlin a noté que le syndicat des Teamsters, qui représente les cheminots, conteste la décision du gouvernement.
L’étendue du pouvoir du gouvernement en vertu de l’article 107 est «quelque chose que les tribunaux vont devoir décider».
Si les tribunaux statuent en faveur du gouvernement, on pourrait essentiellement revenir à ce qui se passait avant 2015, a déclaré Barry Eidlin.
Ce n’est pas la première fois de mémoire récente que le gouvernement fédéral utilise l’article 107 pour intervenir dans un conflit de travail.
Lorsque les travailleurs des ports de la Colombie-Britannique ont été en grève l’été dernier, le ministre fédéral du Travail de l’époque, Seamus O’Regan, avait utilisé l’article pour demander au conseil de déterminer si une résolution négociée était possible et, dans le cas contraire, d’imposer une nouvelle convention ou un arbitrage exécutoire final.
Plus récemment, le gouvernement a refusé une demande d’Air Canada d’intervenir dans ses négociations avec ses pilotes avant que les deux parties ne parviennent à un accord à la table de négociation au cours de la fin de semaine.
Les dernières années ont vraiment été un test décisif pour ce changement de 2015, a affirmé Barry Eidlin, car les travailleurs sont de moins en moins disposés à se contenter de conventions collectives inférieures à la moyenne et les employeurs «ont toujours ce réflexe de retour au travail».
Avec une récente augmentation des activités de grève, «bien sûr, il y aura plus d’intérêt pour l’intervention du gouvernement dans les conflits de travail en conséquence», a ajouté Larry Savage.