Préserver son ADN

Offert par Les Affaires


Édition du 31 Mai 2014

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Édition du 31 Mai 2014

Par Marie-Claude Morin

Monique Leroux et Daniel Lamarre dans les bureaux du Cirque du Soleil [Photo: Guillaume Simoneau]

Desjardins et le Cirque du Soleil laissent peu de gens indifférents au Québec. « Nous avons une chose en commun avec le Canadien : nous générons de l’émotion ! » dit en riant Monique Leroux. Pas question, dans ce contexte, d’effectuer de virage à 180 degrés. Comme toute entreprise, toutefois, le mouvement coopératif et la multinationale du cirque doivent évoluer pour croître. Comment se transformer tout en préservant son ADN ? LesAffaires a réuni Monique Leroux et Daniel Lamarre dans les bureaux du Cirque du Soleil pour en discuter.

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Les Affaires À quel point vos organisations sont-elles en train de se transformer ?

Monique Leroux - Le monde en soi se transforme. C’est une évolution continue, mais la rapidité actuelle des changements est à mon avis fascinante. Prenons les téléphones intelligents : ils n’existaient pas il y a 25 ans, mais nous sommes aujourd’hui connectés 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avec un tout petit bidule que nous avons toujours avec nous! Ça transforme complètement la manière de rejoindre nos membres. Ma fille, par exemple, rejoint Desjardins d’abord avec son téléphone intelligent, et non à la caisse. Cela s’ajoute à la globalisation du monde, elle aussi en accélération. Ces changements nous obligent à rester ce que nous sommes – proches, engagés, près des communautés et des personnes –, mais d’une manière et avec des outils qui, eux, doivent continuer à évoluer. Nous devons nous adapter et innover, tout en gardant notre personnalité et nos racines. Quand Alphonse Desjardins a créé le Mouvement Desjardins, il a innové complètement! Comment pouvons-nous bâtir là-dessus et utiliser les grandes tendances et les nouveaux moyens pour continuer à croître et actualiser notre identité ?

L.A. Partir de quelque chose d’innovateur et le réinventer, c’est un peu ce que vous vivez, M. Lamarre. Dans quelle mesure le Cirque du Soleil se transforme-t-il en ce moment ?

Daniel Lamarre - Il se transforme de façon extrêmement importante. Prenons les nouvelles technologies, par exemple. Jusqu’à récemment, l’entreprise de billetterie dont nous sommes copropriétaires avait une importance relative à l’intérieur de notre portfolio. Aujourd’hui, elle devient immensément importante pour nous. Non seulement elle nous permet de contrôler nos ventes de billets, mais elle amène des revenus autres que le spectacle et nous offre une croissance mondiale en partenariat avec AEG, la plus grande firme de divertissement du monde. Surtout, c’est un outil de marketing incroyable: en ayant accès à toute l’information de nos consommateurs, nous pouvons leur offrir des services additionnels, qui sont plus lucratifs pour nous.

L’autre chose que nous avons apprise avec le temps, c’est que nous avons une marque mondiale globale, ce qui est unique dans notre domaine, mais que nous n’avons pas su pleinement la développer parce que nous ne sommes pas des experts dans tous les domaines. Aujourd’hui, nous avons compris qu’il valait mieux s’allier à des partenaires experts dans des domaines très spécifiques, par exemple l’hôtellerie et les spectacles sur Broadway. Et ça, c’est exceptionnel !

M.L. -  Regardez comme c’est intéressant, cette idée des partenariats ! Nous avons annoncé ce printemps un partenariat avec le Crédit Mutuel, troisième groupe coopératif européen, et State Farm, plus grande mutuelle d’assurance des États-Unis. Nous avons acheté State Farm Canada ensemble, tout en restant ce que nous sommes – aucun groupe ne prend le contrôle de l’autre. Nous avons décidé de nous associer afin de faire quelque chose que, probablement, nous n’aurions pas fait seuls. Ce qui est fantastique aussi, c’est que nous avons mis sur pied une équipe d’innovation conjointe, qui se penchera sur des préoccupations communes, comme la relation avec le membre, les moyens de paiement, l’innovation, etc. Ça nous amènera beaucoup plus loin, tout en conservant l’identité de chacun de nos groupes. Clairement, la dimension des partenariats nous aidera à garder très actives nos valeurs, tout en faisant croître l’organisation. Les jeunes aussi nous aident pour ça. Nous voulons d’ailleurs attirer davantage de jeunes dirigeants et leur laisser de la place pour s’exprimer.

D.L. -  La notion de relève est hyper importante. Traditionnellement, lorsque nous formions des partenariats, c’était Guy, moi ou Robert Blain, notre chef des finances, qui siégions au conseil d’administration de ces entités. Nous sommes en train de changer ça pour permettre, justement, à des plus jeunes dans l’organisation de vivre cette expérience, afin qu’ils puissent grandir au sein de notre entreprise.

L’autre point de Monique qui m’inspire, c’est que la naissance de partenariats repose sur votre capacité à étendre votre réseau de contacts. Guy Laliberté et moi passons une énorme partie de notre temps à voyager et à rencontrer des gens. Parce qu’on ne sait jamais de qui viendront les occasions d’affaires. Le partenariat que nous venons de conclure sur Broadway, par exemple, est avec un vétéran de ce secteur [Scott Zeiger], qui était devenu un de nos amis. Nous étions donc tout de suite en terrain de confiance lorsque nous avons créé la division.

Je cherche aussi à faire voyager les entreprises du Québec avec nous. Comme notre partenaire Solotech [une entreprise de location d’équipements]. C’est déjà un de nos gros fournisseurs, mais François Ménard (le pdg de Solotech) et moi nous nous sommes dit que ça ne suffisait pas. Nous avons cherché à créer quelque chose ensemble et ça a donné une nouvelle entreprise, 4U2C, où nous produirons de nouveaux contenus multimédias. Soudainement, une autre entreprise s’accroche à la locomotive du Cirque du Soleil et voyage avec nous. Ça, c’est important !

M.L. - Durant mon premier mandat, comme je suis arrivée en pleine crise financière, j’ai passé énormément de temps à faire des choses à l’interne, à rebâtir nos marges de manœuvre. Nous avons aussi réorganisé un peu le groupe, pour le simplifier et l’aligner. Là, mon deuxième mandat est très orienté sur les rencontres à l’externe. C’est l’idée du Sommet international des coopératives, que nous avons créé à Québec. Il existe 300 grandes entreprises coopératives dans le monde. C’est énorme! Nous avons toujours été ouverts à l’international chez Desjardins, mais dans une optique d’aide. Là, nous réalisons que dans un monde global, ce réseau-là peut nous permettre d’apprendre de nouvelles choses et de développer de nouvelles plateformes de collaboration. Nous sommes en train d’entrer dans une autre game. Nous ne sommes plus seulement un acteur important au Québec: nous nous dotons d’une plateforme internationale. Et ça, ça nous oblige à évoluer.

L.A. - Le Mouvement Desjardins doit-il absolument croître ?

M.L. - Il ne s’agit pas de viser la croissance à tout prix, sans développement durable ni rentabilité. Sauf que lorsqu’une entreprise n’a plus de croissance et reste dans le statu quo, parce qu’elle a peur d’innover ou de prendre des risques, l’air de rien, elle est en train de reculer. Parce que pendant ce temps, d’autres prennent sa place. La croissance a donc cet avantage de nous forcer à nous adapter et nous réinventer, afin d’être encore plus pertinents dans le futur. Mon travail, comme gestionnaire d’entreprise, n’est pas seulement de regarder demain. C’est de voir comment nous pourrons encore être là dans cinq, dix, quinze ans d’ici.

L.A. -  Pour le Cirque du Soleil, est-ce encore possible de croître ?

D.L. -  Clairement ! Mais notre situation est différente. Nous avons gagné une présence mondiale très importante, en très peu de temps. Vingt ans de vie d’une entreprise, ce n’est pas beaucoup. Cette croissance-là a freiné avant même que nous ayons compris que nous avions couvert une grande partie de la planète. Il nous reste encore de la croissance géographique, mais elle est quand même plus limitée qu’avant. Ça nous oblige à nous réinventer, et c’est ce que nous faisons en ce moment.

Notre force, c’est notre processus créatif très rigoureux et notre capacité à attirer les meilleurs créateurs du monde. Pour l’utiliser de façon beaucoup plus importante, il nous faut de nouvelles plateformes. Ce ne sont plus uniquement des spectacles traditionnels du Cirque du Soleil, ce sont aussi d’autres genres de contenus, dans d’autres secteurs. Ces nouvelles plateformes de création offrent une expansion beaucoup plus grande, mais elles viennent nous transformer, puisqu’il faut inviter d’autres types de créateurs et ouvrir nos horizons.

Malheureusement, il faut se transformer avec une rapidité exponentielle. Nous n’avons pas encore vingt ans devant nous pour nous réinventer. Les technologies vont trop vite pour ça.

L.A. -  De quelle façon les technologies ont-elles un impact sur le Cirque?

D.L. -  Elles changent la nature de ce que nous faisons. Nous passons un temps fou, présentement, à aller voir partout dans le monde ce qui se passe dans notre secteur, au sens large du terme. Je dois, par exemple, être conscient qu’un jour, plus tôt que plus tard, la technologie 3D sera une partie prenante essentielle de nos contenus. Je n’ai pas le temps de la développer, mais je peux m’asseoir avec James Cameron et voir ce qu’il fait avec sa technologie 3D. Je pourrais donner 10 ou 15 autres exemples, dont l’interactivité. Il faut être à l’affût et aller chercher l’expertise pour être prêts à intégrer les technologies rapidement.

Nous n’avons plus le luxe du temps. Si une nouvelle technologie est intégrée aujourd’hui dans un spectacle en Chine, à Dubai ou à Londres, et que je ne le sais pas, j’ai un énorme problème. Ça voudrait dire qu’une autre entreprise est à l’avant-garde dans notre domaine. Et ça, c’est inacceptable pour nous. Nous sommes condamnés à être à l’avant-garde si nous voulons nous réinventer, nous transformer. C’est un changement d’attitude important pour l’ensemble des employés du Cirque.

L.A. - Quel est votre rôle à titre de pdg de votre organisation ?

M.L. - C’est bien sûr d’amener la vision, mais surtout de créer un environnement où les jeunes comme les plus expérimentés sentent que c’est possible d’innover, d’aller plus loin. Un peu comme un jardin: plus l’entreprise a de l’histoire, plus le jardin est grand et plein de plantes et d’arbres; mais si on ne s’en occupe pas, qu’on ne replante pas de plantes vivaces, par exemple, il s’étiolera. Mon rôle est de m’assurer d’avoir des conditions favorables pour que le jardin continue d’être encore plus beau que quand j’y suis arrivée.

D.L. - Pour moi, il s’agit de faire arriver les choses, de permettre à nos employés, particulièrement nos créateurs, de réaliser leurs projets. C’est également de créer de petites unités d’affaires. Si nous voulons continuer de croître, il faut recréer de l’entrepreneuriat à l’intérieur de l’organisation. Et ça, je ne crois pas que ça se fasse dans une grosse boîte. Il faut que ce soit de petites unités. C’est ce qui a motivé les modifications récentes, dont nous voyons d’ailleurs déjà les bénéfices. À l’intérieur de leur cellule de création ou leur unité d’affaires, les gens recréent le même dynamisme qui existait il y a 30 ans quand Guy était avec sa petite gang de créateurs.

L.A. - Vous avez tous deux été critiqués ces dernières années, qu’on pense à la philosophie coopérative de Desjardins ou aux mises à pied du Cirque. Vous arrive-t-il de douter ?

D.L. - Lorsque des circonstances comme celles que vous décrivez surviennent, il est important d’être humble et de bien comprendre la situation dans laquelle on se trouve, afin de s’en sortir. Il ne faut donc pas être arrogant et se croire invincible. Par contre, il ne faut pas non plus craindre l’obstacle et se laisser paralyser. On doit avoir l’humilité et la lucidité de reconnaître qu’on est dans une situation X, puis se demander comment corriger la situation rapidement. Le mot « rapide » est hyper important: nous avons agi très rapidement, ce qui nous permet aujourd’hui d’être plus sereins et de retrouver notre capacité à nous réinventer.

M.L.- Je suis tout à fait d’accord. Avoir une capacité d’écoute et une bonne dose d’humilité, ce sont probablement deux des qualités les plus importantes à la direction d’une entreprise. Par contre, à un moment donné, vous devez avoir le courage de prendre des décisions difficiles, celles qui assureront la pérennité de votre organisation. Même notre cher ami Alphonse a créé plusieurs caisses, mais il en a aussi fermées. Pourquoi ? Parce qu’il était fondamentalement convaincu qu’on doit prendre les meilleures décisions pour l’entreprise afin qu’elle soit résiliente, qu’elle s’adapte et qu’elle soit là pour le long terme.

L.A. - Quelle latitude avez-vous quand vient le moment de prendre des décisions difficiles ?

M.L. - Par définition, le Mouvement Desjardins est un modèle complètement décentralisé. Nous devons nous unir autour d’une vision et de valeurs communes, mais après ça... En fait, il faut qu’il y ait un plan de match unique – sinon on s’éparpille –, mais son exécution à Saguenay, à Ottawa ou à Gaspé relève de la créativité et de l’émotion de nos gens sur le terrain.

Nous débattons beaucoup (rires) et le processus est beaucoup plus long qu’ailleurs, mais quand nous nous décidons, ça marche !

D.L. - Moi, je suis très chanceux : j’ai accès à Guy quotidiennement. Nous évoluons ensemble, en fait. Et même s’il participe davantage à l’aspect artistique, c’est clair que, comme propriétaire, il participe aussi aux décisions d’affaires. À partir du moment, toutefois, où nous nous entendons sur un plan de match, c’est à moi de le concrétiser. C’est assez unique, en fait, cette chance que le propriétaire s’implique autant dans l’entreprise.

L.A. - Est-ce toujours une chance ?

D.L. - Oui, tout à fait. Ce qui est bien avec Guy, c’est qu’il favorise les débats. Il aime beaucoup entendre l’opinion des autres et être défié sur ses points de vue. Ça crée des discussions très intéressantes, et pas uniquement entre lui et moi, mais entre tous les membres de la direction et lui. C’est extraordinaire, même si c’est exigeant ! Parce que si Guy accepte d’être remis en cause, je dois moi aussi accepter de l’être, tout comme les autres membres de l’équipe.

Par ailleurs, comme Guy a créé l’entreprise en fonction de valeurs très précises, il en est pour nous le protecteur, tant en terme de contenu artistique que d’engagement social. En fait, je trouve que nous avons le meilleur des deux mondes : un fondateur qui protège la marque et les valeurs du Cirque, et une gang de jeunes créateurs qui nous défient au quotidien afin que nous développions de nouveaux genres de contenus.

L.A. - Une fois votre stratégie établie, comment vous assurez-vous qu’elle est comprise par tous les employés ?

D.L. - J’ai une relation de proximité avec les employés, mais je ne peux malheureusement pas aller voir chacun d’eux. Je les rencontre une fois par an et tous peuvent me poser des questions par courriel, auxquelles je réponds personnellement. Mais c’est malheureusement le mieux que je puisse faire. L’important pour moi est donc d’expliquer la stratégie aux 200 gestionnaires de l’organisation et de les convaincre de faire faire le cheminement. Parce qu’au Cirque du Soleil, on ne vend pas : on doit faire adhérer les gens à une décision. C’est plus compliqué et ça demande du temps, mais ça en vaut la peine. Si nos gestionnaires adhèrent à notre vision plutôt que de se la faire imposer, ils la communiqueront bien mieux à leurs employés.

M.L. - C’est un peu différent chez nous, mais c’est le même principe : l’adhésion. Cela passe d’abord par une bonne compréhension de l’enjeu et du plan de match, puis par le sentiment de pouvoir y contribuer. Il y a deux volets chez nous. D’abord, les 5 000 dirigeants de caisse, sur lesquels je n’ai aucune relation d’autorité. Au contraire : c’est eux qui m’ont élue ! Il y a toute une dynamique avec ces gens, que je rencontre et qui peuvent m’écrire n’importe quand. C’est la vie démocratique, une différence du modèle coopératif.

Pour ce qui est des employés, j’ai une communication directe avec eux, par l’intermédiaire de mon blogue, mais je suis tout à fait d’accord avec Daniel : le levier, ce sont nos directeurs généraux et nos gestionnaires. Ces gens-là donnent le relais à l’ensemble des équipes. J’ajoute à cela des rencontres sur le terrain, mais toujours en étant accompagnée des gestionnaires locaux. Parce qu’au fond, nous sommes une équipe.

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Les Affaires À quel point vos organisations sont-elles en train de se transformer ?

Monique Leroux Le monde en soi se transforme. C’est une évolution continue, mais la rapidité actuelle des changements est à mon avis fascinante. Prenons les téléphones intelligents : ils n’existaient pas il y a 25 ans, mais nous sommes aujourd’hui connectés 24 heures sur 24, sept jours sur sept, avec un tout petit bidule que nous avons toujours avec nous! Ça transforme complètement la manière de rejoindre nos membres. Ma fille, par exemple, rejoint Desjardins d’abord avec son téléphone intelligent, et non à la caisse. Cela s’ajoute à la globalisation du monde, elle aussi en accélération. Ces changements nous obligent à rester ce que nous sommes – proches, engagés, près des communautés et des personnes –, mais d’une manière et avec des outils qui, eux, doivent continuer à évoluer. Nous devons nous adapter et innover, tout en gardant notre personnalité et nos racines. Quand Alphonse Desjardins a créé le Mouvement Desjardins, il a innové complètement! Comment pouvons-nous bâtir là-dessus et utiliser les grandes tendances et les nouveaux moyens pour continuer à croître et actualiser notre identité ?

L.A. Partir de quelque chose d’innovateur et le réinventer, c’est un peu ce que vous vivez, M. Lamarre. Dans quelle mesure le Cirque du Soleil se transforme-t-il en ce moment ?

Daniel Lamarre Il se transforme de façon extrêmement importante. Prenons les nouvelles technologies, par exemple. Jusqu’à récemment, l’entreprise de billetterie dont nous sommes copropriétaires avait une importance relative à l’intérieur de notre portfolio. Aujourd’hui, elle devient immensément importante pour nous. Non seulement elle nous permet de contrôler nos ventes de billets, mais elle amène des revenus autres que le spectacle et nous offre une croissance mondiale en partenariat avec AEG, la plus grande firme de divertissement du monde. Surtout, c’est un outil de marketing incroyable: en ayant accès à toute l’information de nos consommateurs, nous pouvons leur offrir des services additionnels, qui sont plus lucratifs pour nous.

L’autre chose que nous avons apprise avec le temps, c’est que nous avons une marque mondiale globale, ce qui est unique dans notre domaine, mais que nous n’avons pas su pleinement la développer parce que nous ne sommes pas des experts dans tous les domaines. Aujourd’hui, nous avons compris qu’il valait mieux s’allier à des partenaires experts dans des domaines très spécifiques, par exemple l’hôtellerie et les spectacles sur Broadway. Et ça, c’est exceptionnel !

M.L. Regardez comme c’est intéressant, cette idée des partenariats ! Nous avons annoncé ce printemps un partenariat avec le Crédit Mutuel, troisième groupe coopératif européen, et State Farm, plus grande mutuelle d’assurance des États-Unis. Nous avons acheté State Farm Canada ensemble, tout en restant ce que nous sommes – aucun groupe ne prend le contrôle de l’autre. Nous avons décidé de nous associer afin de faire quelque chose que, probablement, nous n’aurions pas fait seuls. Ce qui est fantastique aussi, c’est que nous avons mis sur pied une équipe d’innovation conjointe, qui se penchera sur des préoccupations communes, comme la relation avec le membre, les moyens de paiement, l’innovation, etc. Ça nous amènera beaucoup plus loin, tout en conservant l’identité de chacun de nos groupes. Clairement, la dimension des partenariats nous aidera à garder très actives nos valeurs, tout en faisant croître l’organisation. Les jeunes aussi nous aident pour ça. Nous voulons d’ailleurs attirer davantage de jeunes dirigeants et leur laisser de la place pour s’exprimer.

D.L. La notion de relève est hyper importante. Traditionnellement, lorsque nous formions des partenariats, c’était Guy, moi ou Robert Blain, notre chef des finances, qui siégions au conseil d’administration de ces entités. Nous sommes en train de changer ça pour permettre, justement, à des plus jeunes dans l’organisation de vivre cette expérience, afin qu’ils puissent grandir au sein de notre entreprise.

L’autre point de Monique qui m’inspire, c’est que la naissance de partenariats repose sur votre capacité à étendre votre réseau de contacts. Guy Laliberté et moi passons une énorme partie de notre temps à voyager et à rencontrer des gens. Parce qu’on ne sait jamais de qui viendront les occasions d’affaires. Le partenariat que nous venons de conclure sur Broadway, par exemple, est avec un vétéran de ce secteur [Scott Zeiger], qui était devenu un de nos amis. Nous étions donc tout de suite en terrain de confiance lorsque nous avons créé la division.

Je cherche aussi à faire voyager les entreprises du Québec avec nous. Comme notre partenaire Solotech [une entreprise de location d’équipements]. C’est déjà un de nos gros fournisseurs, mais François Ménard (le pdg de Solotech) et moi nous nous sommes dit que ça ne suffisait pas. Nous avons cherché à créer quelque chose ensemble et ça a donné une nouvelle entreprise, 4U2C, où nous produirons de nouveaux contenus multimédias. Soudainement, une autre entreprise s’accroche à la locomotive du Cirque du Soleil et voyage avec nous. Ça, c’est important !

M.L. Durant mon premier mandat, comme je suis arrivée en pleine crise financière, j’ai passé énormément de temps à faire des choses à l’interne, à rebâtir nos marges de manœuvre. Nous avons aussi réorganisé un peu le groupe, pour le simplifier et l’aligner. Là, mon deuxième mandat est très orienté sur les rencontres à l’externe. C’est l’idée du Sommet international des coopératives, que nous avons créé à Québec. Il existe 300 grandes entreprises coopératives dans le monde. C’est énorme! Nous avons toujours été ouverts à l’international chez Desjardins, mais dans une optique d’aide. Là, nous réalisons que dans un monde global, ce réseau-là peut nous permettre d’apprendre de nouvelles choses et de développer de nouvelles plateformes de collaboration. Nous sommes en train d’entrer dans une autre game. Nous ne sommes plus seulement un acteur important au Québec: nous nous dotons d’une plateforme internationale. Et ça, ça nous oblige à évoluer.

L.A. Le Mouvement Desjardins doit-il absolument croître ? M.L. Il ne s’agit pas de viser la croissance à tout prix, sans développement durable ni rentabilité. Sauf que lorsqu’une entreprise n’a plus de croissance et reste dans le statu quo, parce qu’elle a peur d’innover ou de prendre des risques, l’air de rien, elle est en train de reculer. Parce que pendant ce temps, d’autres prennent sa place. La croissance a donc cet avantage de nous forcer à nous adapter et nous réinventer, afin d’être encore plus pertinents dans le futur. Mon travail, comme gestionnaire d’entreprise, n’est pas seulement de regarder demain. C’est de voir comment nous pourrons encore être là dans cinq, dix, quinze ans d’ici.

L.A. Pour le Cirque du Soleil, est-ce encore possible de croître ? D.L. Clairement ! Mais notre situation est différente. Nous avons gagné une présence mondiale très importante, en très peu de temps. Vingt ans de vie d’une entreprise, ce n’est pas beaucoup. Cette croissance-là a freiné avant même que nous ayons compris que nous avions couvert une grande partie de la planète. Il nous reste encore de la croissance géographique, mais elle est quand même plus limitée qu’avant. Ça nous oblige à nous réinventer, et c’est ce que nous faisons en ce moment.

Notre force, c’est notre processus créatif très rigoureux et notre capacité à attirer les meilleurs créateurs du monde. Pour l’utiliser de façon beaucoup plus importante, il nous faut de nouvelles plateformes. Ce ne sont plus uniquement des spectacles traditionnels du Cirque du Soleil, ce sont aussi d’autres genres de contenus, dans d’autres secteurs. Ces nouvelles plateformes de création offrent une expansion beaucoup plus grande, mais elles viennent nous transformer, puisqu’il faut inviter d’autres types de créateurs et ouvrir nos horizons.

Malheureusement, il faut se transformer avec une rapidité exponentielle. Nous n’avons pas encore vingt ans devant nous pour nous réinventer. Les technologies vont trop vite pour ça.

L.A. De quelle façon les technologies ont-elles un impact sur le Cirque?

D.L. Elles changent la nature de ce que nous faisons. Nous passons un temps fou, présentement, à aller voir partout dans le monde ce qui se passe dans notre secteur, au sens large du terme. Je dois, par exemple, être conscient qu’un jour, plus tôt que plus tard, la technologie 3D sera une partie prenante essentielle de nos contenus. Je n’ai pas le temps de la développer, mais je peux m’asseoir avec James Cameron et voir ce qu’il fait avec sa technologie 3D. Je pourrais donner 10 ou 15 autres exemples, dont l’interactivité. Il faut être à l’affût et aller chercher l’expertise pour être prêts à intégrer les technologies rapidement.

Nous n’avons plus le luxe du temps. Si une nouvelle technologie est intégrée aujourd’hui dans un spectacle en Chine, à Dubai ou à Londres, et que je ne le sais pas, j’ai un énorme problème. Ça voudrait dire qu’une autre entreprise est à l’avant-garde dans notre domaine. Et ça, c’est inacceptable pour nous. Nous sommes condamnés à être à l’avant-garde si nous voulons nous réinventer, nous transformer. C’est un changement d’attitude important pour l’ensemble des employés du Cirque.

L.A. Quel est votre rôle à titre de pdg de votre organisation ?

M.L. C’est bien sûr d’amener la vision, mais surtout de créer un environnement où les jeunes comme les plus expérimentés sentent que c’est possible d’innover, d’aller plus loin. Un peu comme un jardin: plus l’entreprise a de l’histoire, plus le jardin est grand et plein de plantes et d’arbres; mais si on ne s’en occupe pas, qu’on ne replante pas de plantes vivaces, par exemple, il s’étiolera. Mon rôle est de m’assurer d’avoir des conditions favorables pour que le jardin continue d’être encore plus beau que quand j’y suis arrivée.

D.L. - Pour moi, il s’agit de faire arriver les choses, de permettre à nos employés, particulièrement nos créateurs, de réaliser leurs projets. C’est également de créer de petites unités d’affaires. Si nous voulons continuer de croître, il faut recréer de l’entrepreneuriat à l’intérieur de l’organisation. Et ça, je ne crois pas que ça se fasse dans une grosse boîte. Il faut que ce soit de petites unités. C’est ce qui a motivé les modifications récentes, dont nous voyons d’ailleurs déjà les bénéfices. À l’intérieur de leur cellule de création ou leur unité d’affaires, les gens recréent le même dynamisme qui existait il y a 30 ans quand Guy était avec sa petite gang de créateurs.

L.A. - Vous avez tous deux été critiqués ces dernières années, qu’on pense à la philosophie coopérative de Desjardins ou aux mises à pied du Cirque. Vous arrive-t-il de douter ?

D.L. - Lorsque des circonstances comme celles que vous décrivez surviennent, il est important d’être humble et de bien comprendre la situation dans laquelle on se trouve, afin de s’en sortir. Il ne faut donc pas être arrogant et se croire invincible. Par contre, il ne faut pas non plus craindre l’obstacle et se laisser paralyser. On doit avoir l’humilité et la lucidité de reconnaître qu’on est dans une situation X, puis se demander comment corriger la situation rapidement. Le mot « rapide » est hyper important: nous avons agi très rapidement, ce qui nous permet aujourd’hui d’être plus sereins et de retrouver notre capacité à nous réinventer.

M.L. Je suis tout à fait d’accord. Avoir une capacité d’écoute et une bonne dose d’humilité, ce sont probablement deux des qualités les plus importantes à la direction d’une entreprise. Par contre, à un moment donné, vous devez avoir le courage de prendre des décisions difficiles, celles qui assureront la pérennité de votre organisation. Même notre cher ami Alphonse a créé plusieurs caisses, mais il en a aussi fermées. Pourquoi ? Parce qu’il était fondamentalement convaincu qu’on doit prendre les meilleures décisions pour l’entreprise afin qu’elle soit résiliente, qu’elle s’adapte et qu’elle soit là pour le long terme.

L.A. Quelle latitude avez-vous quand vient le moment de prendre des décisions difficiles ?

M.L. Par définition, le Mouvement Desjardins est un modèle complètement décentralisé. Nous devons nous unir autour d’une vision et de valeurs communes, mais après ça... En fait, il faut qu’il y ait un plan de match unique – sinon on s’éparpille –, mais son exécution à Saguenay, à Ottawa ou à Gaspé relève de la créativité et de l’émotion de nos gens sur le terrain.

Nous débattons beaucoup (rires) et le processus est beaucoup plus long qu’ailleurs, mais quand nous nous décidons, ça marche !

D.L. Moi, je suis très chanceux : j’ai accès à Guy quotidiennement. Nous évoluons ensemble, en fait. Et même s’il participe davantage à l’aspect artistique, c’est clair que, comme propriétaire, il participe aussi aux décisions d’affaires. À partir du moment, toutefois, où nous nous entendons sur un plan de match, c’est à moi de le concrétiser. C’est assez unique, en fait, cette chance que le propriétaire s’implique autant dans l’entreprise.

L.A. - Est-ce toujours une chance ?

D.L. - Oui, tout à fait. Ce qui est bien avec Guy, c’est qu’il favorise les débats. Il aime beaucoup entendre l’opinion des autres et être défié sur ses points de vue. Ça crée des discussions très intéressantes, et pas uniquement entre lui et moi, mais entre tous les membres de la direction et lui. C’est extraordinaire, même si c’est exigeant ! Parce que si Guy accepte d’être remis en cause, je dois moi aussi accepter de l’être, tout comme les autres membres de l’équipe.

Par ailleurs, comme Guy a créé l’entreprise en fonction de valeurs très précises, il en est pour nous le protecteur, tant en terme de contenu artistique que d’engagement social. En fait, je trouve que nous avons le meilleur des deux mondes : un fondateur qui protège la marque et les valeurs du Cirque, et une gang de jeunes créateurs qui nous défient au quotidien afin que nous développions de nouveaux genres de contenus.

L.A. - Une fois votre stratégie établie, comment vous assurez-vous qu’elle est comprise par tous les employés ?

D.L. - J’ai une relation de proximité avec les employés, mais je ne peux malheureusement pas aller voir chacun d’eux. Je les rencontre une fois par an et tous peuvent me poser des questions par courriel, auxquelles je réponds personnellement. Mais c’est malheureusement le mieux que je puisse faire. L’important pour moi est donc d’expliquer la stratégie aux 200 gestionnaires de l’organisation et de les convaincre de faire faire le cheminement. Parce qu’au Cirque du Soleil, on ne vend pas : on doit faire adhérer les gens à une décision. C’est plus compliqué et ça demande du temps, mais ça en vaut la peine. Si nos gestionnaires adhèrent à notre vision plutôt que de se la faire imposer, ils la communiqueront bien mieux à leurs employés.

M.L. - C’est un peu différent chez nous, mais c’est le même principe : l’adhésion. Cela passe d’abord par une bonne compréhension de l’enjeu et du plan de match, puis par le sentiment de pouvoir y contribuer. Il y a deux volets chez nous. D’abord, les 5 000 dirigeants de caisse, sur lesquels je n’ai aucune relation d’autorité. Au contraire : c’est eux qui m’ont élue ! Il y a toute une dynamique avec ces gens, que je rencontre et qui peuvent m’écrire n’importe quand. C’est la vie démocratique, une différence du modèle coopératif.

Pour ce qui est des employés, j’ai une communication directe avec eux, par l’intermédiaire de mon blogue, mais je suis tout à fait d’accord avec Daniel : le levier, ce sont nos directeurs généraux et nos gestionnaires. Ces gens-là donnent le relais à l’ensemble des équipes. J’ajoute à cela des rencontres sur le terrain, mais toujours en étant accompagnée des gestionnaires locaux. Parce qu’au fond, nous sommes une équipe.

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