L'avenir est dans les nuages

Publié le 26/06/2010 à 00:00, mis à jour le 06/06/2011 à 10:38

L'avenir est dans les nuages

Publié le 26/06/2010 à 00:00, mis à jour le 06/06/2011 à 10:38

Par Alain McKenna

Bruce Ross, le nouveau pdg d'IBM Canada, est à l'image de son entreprise : il est discret mais il en impose. Il est le leader dont aura grandement besoin la multinationale américaine, qui mise son avenir sur l'informatique dans les nuages (cloud computing) et sur un ambitieux programme de fusions-acquisitions.

Nous l'avons rencontré en pleine fièvre des séries éliminatoires. D'emblée, il prend les choses en main : " Nerveux pour l'entrevue ? " lance-t-il. " Non. Mais pour le septième match de la série Montréal-Pittsburgh, oui ! "

Après avoir passé trois ans et demi en Angleterre, M. Ross est revenu au pays pour prendre la tête de l'entreprise, en janvier dernier. C'est en quelque sorte un retour à la maison pour cet Ontarien d'origine, qui est arrivé à Montréal à la fin des années 1960 avec ses parents.

C'est à cette époque qu'il est devenu un partisan des Canadiens, son club favori encore aujourd'hui, des années plus tard, au grand dam de ses collègues du septième étage des bureaux d'IBM Canada, à Mississauga, en banlieue de Toronto. Le beau chandail tout neuf des Maple Leafs offert par ses collègues est encore accroché dans son placard. Quand les séries commencent, c'est son vieux maillot des Canadiens, tout pelucheux, qu'il préfère arborer.

Pourtant, le passage de la famille Ross à Montréal n'a pas duré longtemps. Pour sa part, le jeune homme rentre en Ontario pour y étudier. Il devient ingénieur et est embauché par IBM en 1985.

C'est une époque faste pour Big Blue, qui domine le marché grâce à une imposante gamme d'ordinateurs personnels. C'est aussi le début d'une grande transformation pour l'entreprise, à laquelle M. Ross a assisté. Aujourd'hui, plus de 40 % du chiffre d'affaires d'IBM vient des services, une division fondée en 1991. Avec le secteur des logiciels, créé en 1985, cela représente près de 90 % des revenus de la société, la part du matériel informatique ayant fondu à moins de 7 %. Au premier trimestre 2010, IBM s'est même fait surpasser par Hewlett-Packard pour ce qui est des ventes de serveurs informatiques.

Pour répondre à cette concurrence, le géant déliera les cordons de sa bourse, lui qui possède une encaisse de plus de 80 milliards de dollars (G$). La haute direction vient de fixer des objectifs qui, d'ici 2015, la mèneront à accélérer ses acquisitions d'entreprises. Budget prévu : 20 G$. Cette stratégie plaît à Bruce Ross, qui estime que le Canada pourrait en profiter comme ce fut le cas à la suite de l'acquisition de Cognos, d'Ottawa.

C'est aux États-Unis qu'IBM vient de procéder à sa première acquisition. En échange de 1,4 G$ US, elle a mis la main sur Sterling Commerce, une filiale d'AT&T spécialisée dans les logiciels pour le secteur de la finance. Cet achat est stratégique, car la concurrence est vive au sud de la frontière entre les géants que sont IBM, Dell, HP, Oracle et Xerox. Alors que ses concurrents avaient déjà entamé une vague d'acquisitions, IBM était restée à peu près inactive en 2009.

Au moyen de ces acquisitions, IBM poursuit un autre objectif : relancer l'innovation dans des secteurs clés des nouvelles technologies, l'informatique dans les nuages et les réseaux sociaux. En ce moment, IBM a pris du retard dans ce secteur, au profit de rivales comme Microsoft, notent les analystes. Pour Forrester, la solution est simple : " IBM doit sur-innover ", affirmait récemment Rob Koplowitz, son analyste principal.

Bruce Ross le dit : ces technologies émergentes sont cruciales pour l'avenir d'IBM. " Elles sont déjà en train de transformer la façon dont on mène des affaires partout dans le monde. Pas seulement dans la façon dont les entreprises communiquent entre elles. Le lien avec les consommateurs changera aussi de façon très marquée et la gestion de l'information en est la clé. "

Smart Planet

En avril dernier, Bruce Ross est resté bloqué en Europe pendant une semaine, à cause de l'éruption soudaine du volcan islandais qui brouillait le ciel. Pour un gestionnaire qui peine à trouver une heure dans son horaire pour réaliser une entrevue, on peut imaginer ce que cela représente en temps perdu...

Mais ce qui aurait pu n'être qu'anecdotique aux yeux de plusieurs prend la forme d'un cas d'espèce pour le nouveau président d'IBM Canada, qui voit là exactement le genre de problèmes auxquels son entreprise doit s'attaquer à court terme. " Notre monde est déjà très instrumentalisé. La question qu'on se pose, c'est : où se trouve l'intelligence dans tout ça ? "

Prenons seulement les conséquences de cette éruption sur l'industrie du transport, continue-t-il. Les aéroports européens étant fermés, et la liaison entre l'Europe et une bonne partie du monde étant coupée, des tonnes de biens périssables sont restées immobilisées pendant plusieurs jours, causant des pertes de plusieurs millions de dollars, explique-t-il.

L'entreprise capable de déterminer précisément les denrées mises en attente à l'aéroport pourrait les rediriger vers des commerces locaux, ce qui aurait pour effet de diminuer les pertes. " C'est le genre de créativité d'entreprise qui émerge quand on possède des informations très précises. "

Cette nouvelle façon d'utiliser l'information devrait propulser le monde des affaires dans ce qui sera l'étape qui suivra celle de l'informatique dans les nuages, selon M. Ross. Un monde interconnecté, où différents systèmes informatiques peuvent dialoguer entre eux sans intervention humaine directe. C'est ce qu'on appelle la planète intelligente, ou Smart Planet.

Le géant de l'informatique estime que les différents systèmes d'information du monde seront bientôt interconnectés. Ses ingénieurs planchent déjà sur des solutions intelligentes qui exploiteront cette information. Les logiciels analytiques de Cognos, une société spécialisée dans les logiciels de gestion et de performance d'affaires qu'IBM a acquise en 2007, sont précisément ce qui sera en demande à ce moment-là, prévoit M. Ross.

L'avenir appartient à ceux qui s'attaqueront aux grands enjeux mondiaux de l'avenir, selon lui : crise mondiale alimentaire, gestion de l'urbanisation des pays en développement, etc. " Nous mettons nos ingénieurs au défi de trouver quelle sera, non pas la prochaine grande révolution à l'échelle mondiale, mais la suivante, ou même celle d'après. "

Lorsqu'il a été nommé à la tête d'IBM Canada, M. Ross était directeur général de la division des services d'affaires mondiaux pour la Grande-Bretagne, l'Irlande et l'Afrique du Sud. Il a conservé de son séjour l'accent londonien et les références au très british Open de Wimbledon. IBM est d'ailleurs un important commanditaire de l'ATP, l'Association internationale de tennis professionnel.

Londres est aussi une métropole proactive en matière de sécurité publique. Elle possède le plus important réseau de caméras vidéo en circuit fermé du monde. C'est le genre de technologie qui plaît à cet ex-londonien, puisqu'elle s'inscrit dans cette volonté de rendre la planète plus intelligente.

Pourtant, le nouveau pdg d'IBM Canada est plutôt réservé lorsque vient le moment d'aborder un des grands enjeux de la prochaine décennie : le respect de la vie privée. Alors que les dirigeants de sociétés comme Google et Facebook ont déclaré très ouvertement que la vie privée, dans cette ère post-Internet, était pratiquement inexistante, Bruce Ross élude la question. " On s'assure de bien gérer l'information ", répond-il, laconique.

On sent que ce n'est pas ce qu'il retient de son séjour en Europe. L'expérience à l'étranger, la rencontre d'une autre culture, semblent avoir laissé une empreinte plus indélébile que l'un ou l'autre des grands défis des TI du moment.

Ça tombe bien pour cet ingénieur, car c'est ce que la direction d'IBM souhaite entendre de ses dirigeants. Dans sa volonté d'innover constamment, Big Blue a créé un programme de développement interne du leadership qui met l'accent sur une vision du monde et qui passent par la compréhension et l'ouverture à ses diverses cultures.

Il ne s'agit pas d'un voeu pieux : IBM consacre 700 M$ US par an à ces programmes de développement du leadership. L'an dernier, le prestigieux magazine américain Fortune lui décernait la première place de son palmarès des entreprises qui réussissaient le mieux à dénicher de bons leaders. M. Ross en est un excellent exemple.

700 M$ US par an

Le Canada n'est pas le plus important marché pour IBM, mais c'est certainement un de ses plus anciens. Le premier bureau canadien d'IBM a ouvert ses portes en 1917, six ans après l'incorporation d'International Business Machines, dans l'État de New York. comptant 20 000 employés, IBM Canada représente à peine 5 % des quelque 400 000 travailleurs que le géant emploie dans 152 pays.

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