Entrevue n°290 : Estelle Métayer, vigiste, Competia


Édition du 21 Mai 2016

Entrevue n°290 : Estelle Métayer, vigiste, Competia


Édition du 21 Mai 2016

Par Diane Bérard

«Chaque information que vous recueillez doit vous servir à prendre des décisions» - Estelle Métayer, vigiste, Competia.

Estelle Métayer a mis en place le service de veille concurrentielle chez CAE. Depuis, elle accompagne les entreprises dans leurs efforts de vigie. Certaines organisations le font de manière sporadique. D'autres, comme Desjardins, en ont fait une fonction tactique et stratégique. La veille vient en complément au big data.

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Diane Bérard - Quelle est la différence entre la veille stratégique et le big data ?

Estelle Métayer - Le big data est constitué de données massives. Par exemple, pour le secteur des médias, ce sont les informations générales sur les téléspectateurs, les auditeurs ou les lecteurs. La veille se préoccupe des tendances. Elle nous apprend, par exemple, que les téléspectateurs aiment les émissions parlant de bien-être et de famille. En croisant le big data et les données de veille, vous pouvez élaborer une offre pour les annonceurs, entre autres.

D.B. - Vous aidez les entreprises à injecter du sens à leurs données. Pouvez-vous nous expliquer la pyramide de valeur qui va de l'information à l'intelligence, à la sagesse ?

E.M. - Toutes les entreprises ont besoin d'information. Alors elles emmagasinent des données, puis bâtissent un intranet et un logiciel pour partager ces informations avec leur personnel. Mais ce n'est que le premier palier de la pyramide. On ne crée aucune valeur en emmagasinant de l'information ni vérifiée ni analysée ni classée. Savoir qu'un marché vaut 50 millions de dollars n'apporte rien si vous ignorez les risques qui le menacent, par exemple. Il faut grimper au second palier, l'intelligence, et analyser les données. Puis, passer au dernier palier, la sagesse, c'est-à-dire la prise de décision. C'est le moment où l'on se demande : ce marché de 50 M$ est-il suffisant pour atteindre nos objectifs d'entreprise ? Faudra-t-il adapter notre structure pour en tirer profit ? A-t-on les bonnes personnes à bord ?

D.B. - Combien de temps les entreprises consacrent-elles à chaque étage de cette pyramide ? Quelles seraient les proportions idéales ?

E.M. - En moyenne, les gestionnaires consacrent 30 minutes ininterrompues toutes les trois semaines à la prise de décision. C'est le temps qu'ils passent à réfléchir à partir des données qu'on leur fournit. Évidemment, c'est trop peu. En fait, les entreprises consacrent 80 % de leur temps à recueillir de l'information, 18 % à l'analyser et à peine 2 % à l'incorporer à leur prise de décision. Il faudrait plutôt affecter 60 %, à parts égales, aux paliers un et deux, et 40 % au palier trois.

D.B. - Comment faire la différence entre l'information dont on croit avoir besoin et celle dont notre entreprise a vraiment besoin ?

E.M. - Imaginons que vous souhaitez nouer un partenariat avec une autre organisation. Vous allez probablement définir son marché et ses clients pour évaluer son potentiel. Mais songerez-vous à retracer d'anciens partenaires pour comprendre pourquoi et comment s'est terminée leur relation ? Et supposons que vous visez une acquisition. Songerez-vous à vérifier l'âge du propriétaire, son lieu de résidence, l'âge de ses enfants et l'endroit où ils se trouvent ? C'est pourtant essentiel. Si vous achetez un marché et un carnet de commandes, le patron de l'entreprise que vous achetez peut bien avoir un condo sur la lune et des enfants qui étudient en Chine. Vous n'avez plus besoin de lui. Mais si vous achetez les compétences et l'expertise de la direction, il faudra vous soucier du condo. En passant, les infos sur les enfants se valident relativement facilement sur Facebook.

D.B. - Quelles questions aident à encadrer la veille concurrentielle ?

E.M. - Il y en a plusieurs, elles partent toutes du même point : quelles décisions aurez-vous à prendre au cours des prochains mois et quelles informations vous manquent pour décider ? Ensuite, demandez-vous quelles informations vous aimeriez le moins que vos concurrents aient sur votre entreprise. Ce sont probablement celles que vous désirez avoir sur eux. Enfin, quelles sont les premières informations qui vous importent lorsque vous revenez de vacances ? La réponse détermine ce qui est stratégique pour votre entreprise. Si vous vous informez des contrats signés, votre veille devrait être plutôt de nature commerciale. Si vous vous souciez de vos chiffres, une veille financière serait plus pertinente.

D.B. - Mes concurrents sont des sociétés à capital fermé. Comment puis-je obtenir de l'information sur eux ?

E.M. - On trouve de nombreux renseignements financiers sur les entreprises privées. En Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, celles-ci doivent publier leurs données financières. Quand je travaillais chez CAE, j'avais accès à tous les chiffres de notre concurrent Thompson, bien qu'il ne soit pas en Bourse, sur le site www.gov.uk/government/organizations/companies-house.

D.B. - Je veux me tenir au courant des tendances qui influeront sur mon secteur. Que me conseillez-vous ?

E.M. - C'est le type de veille le plus complexe, parce que c'est le plus diffus. Vous avez un choix à faire : vous cherchez vous-même ou vous trouvez des personnes dont c'est le métier de traquer les tendances. Le bon «vigiste» choisit la seconde voie. Par exemple, vous cherchez les trois experts mondiaux d'une question. Pour les trouver, vous regardez quels ont été les conférenciers au cours de la dernière année. Vous pouvez entrer en contact avec eux, les suivre sur les médias sociaux, lire leurs écrits, etc. Je vous conseille, entre autres, de jeter un coup d'oeil au site de la Singularity University (singularityu.org) ; vous y découvrirez une foule d'experts.

D.B. - Et si je cherche des informations sur un individu ?

E.M. - Vous pouvez consulter egosurf.com. Et puis relsci.com, une sorte de LinkedIn à la puissance 2000 ! On peut y découvrir les relations que les gens entretiennent entre eux, les CA auxquels ils siègent. Cela vous permet de déterminer le degré de séparation entre les gens que vous connaissez et les entreprises avec lesquelles vous faites des affaires.

D.B. - Que peuvent nous apprendre les cartes satellites ?

E.M. - Bien des choses... Imaginons que vous avez des visées d'acquisition sur une entreprise. Vous pouvez chercher si celle-ci a bien des immeubles là où elle le prétend. Vous pouvez aussi évaluer la capacité de production en vérifiant à plusieurs heures du jour le nombre de véhicules dans le stationnement et le nombre de camions de livraison. Y a-t-il un troisième quart de travail ou pas ?

D.B. - Peut-on faire de la veille avec Google ?

E.M. - Bien sûr, Google peut servir à un certain type de veille. Retracer les nouvelles sur une entreprise ou repérer un expert, par exemple. Google retrace aussi ce qui se dit sur les réseaux sociaux.

D.B. - Revenons au risque de surinformation. Comment peut-on le combattre ?

E.M. - En revenant toujours aux décisions que vous aurez à prendre. La décision détermine l'information.

D.B. - Quelle est la cause de dérive la plus fréquente ?

E.M. - Le manque de précision de la demande venant de la direction. A-t-on regardé ce que l'on sait déjà avant de réclamer des recherches ? A-t-on délimité l'ampleur de la requête : le Québec ? Le Canada ? L'Amérique du Nord ?

D.B. - Le CA a-t-il une influence sur la veille stratégique d'une entreprise ?

E.M. - Oui. Le vigiste doit se tenir au courant de tout ce qui se dit au CA. Lorsque j'étais chez CAE, je lisais tous les procès-verbaux.

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