Le cirque au carré

Publié le 17/10/2011 à 11:58, mis à jour le 21/10/2011 à 13:31

Le cirque au carré

Publié le 17/10/2011 à 11:58, mis à jour le 21/10/2011 à 13:31

Par Marie-Claude Morin

Le Cirque Éloize passe en vitesse supérieure, multipliant les tournées à l'étranger et produisant lui-même ses spectacles. Pour réaliser cette ambition, il s'est trouvé un partenaire de taille : le Cirque du Soleil. Comment faire pour qu'un mariage de raison devienne heureux et fructueux.

À peine nous sommes-nous serré la main que Jeannot Painchaud nous entraîne dans les dédales de l'ancienne gare Dalhousie, dans le Vieux-Montréal. Les exploits passés du Cirque Éloize, les 420 villes visitées par sa troupe, la tournée actuelle du spectacle ID en Europe et le retour de Rain à Montréal peuvent attendre. Le PDG du cirque veut nous parler de ses projets. Tout en arpentant une salle au plafond d'une hauteur vertigineuse, d'où pendent une multitude de câbles, il décrit ce à quoi ressemblera le siège du deuxième plus grand cirque du Québec, une fois le projet de rénovations de 12 millions dollars terminé. Une salle de répétition format théâtre, des équipements de cirque à la fine pointe de la technologie, un salon pour les artistes, de nouveaux bureaux, un quai de chargement... le lieu qui a vu naître le cirque québécois - l'École de Cirque y était installée de 1986 à 2003 - doit évoluer au rythme endiablé d'Éloize.

Car pour l'ancien artiste du vélo, il n'y a pas de doute : le cirque qu'il a fondé en 1993 en compagnie d'autres Madelinots doit grandir. Encore. Une affirmation qui est tout sauf anodine, quand on sait qu'elle a causé le départ de deux associés en 2010 et amené Jeannot Painchaud à signer un partenariat inimaginable pour lui il y a cinq ans à peine. Pour racheter les parts de Daniel Cyr et de Julie Hamelin, qui souhaitaient que le Cirque Éloize garde une taille modeste, il a frappé chez celui dont il s'est tant défendu d'être le petit frère : le Cirque du Soleil.

"C'est le fruit d'une longue réflexion", dit celui qui a quitté la scène en 1998 pour se consacrer à plein temps à la gestion d'Éloize. Vêtu d'un t-shirt, de jeans et de souliers pointus, avec ses boucles et sa barbichette, il ne donne pas ses 45 ans. Si son style décontracté rappelle celui de Guy Laliberté, Jeannot Painchaud a dès le départ choisi pour son cirque un créneau différent de celui de l'ancien échassier.

Dans les spectacles d'Éloize, présentés en salle plutôt que sous le chapiteau, les artistes doivent jongler, non seulement avec des balles, mais aussi avec le chant, la danse et le théâtre. "Éloize, ce n'est ni une copie, ni un cirque en réaction au Cirque du Soleil. Éloize, c'est Éloize", observe Stéphane Lavoie, directeur général de la Tohu et du festival Montréal Complètement Cirque.

 

La nécessité de grandir

Après plus de quinze ans et sept productions originales, le cirque était devenu à la fois trop gros et trop petit. Comptant une centaine d'employés permanents et quelque 300 surnuméraires, la troupe ne pouvait plus se contenter de revenus de moins de 10 millions de dollars générés par les festivals et les séries privées, où des producteurs achètent quelques semaines de représentations. "Quand tes dépenses augmentent, et que tu continues de vendre avec une faible marge, ça ne fonctionne pas", explique Jeannot Painchaud, que ses collaborateurs décrivent comme un homme simple et terre-à-terre.

Pour accroître la profitabilité, Jeannot Painchaud a choisi de miser sur l'autoproduction, du moins en partie, et les projets de plus grande envergure. Une stratégie plus risquée, puisqu'Éloize devra remplir les salles qu'elle aura louées, mais qui dégagera des marges de profits plus élevées. Le cirque, déjà bien présent en Europe, veut également accroître le nombre de spectacles présentés simultanément, ainsi que la durée de chacune de ces tournées. "J'ai toujours été ambitieux", reconnaît celui qui, jeune, rêvait de faire le tour du monde en voilier.

Pour réaliser cette ambition, le Cirque Éloize a besoin d'un partenaire qui dispose de ressources considérables et de relations partout dans le monde. Pendant des semaines, Jeannot Painchaud part à sa recherche et parcourt l'Europe et les États-Unis à la rencontre de producteurs, de propriétaires d'entreprises de divertissement, de dirigeants de chaînes de télévision. Il met alors froidement sur papier les caractéristiques du partenaire idéal. Il se rend compte qu'il est de l'autre côté de la rue : le Cirque du Soleil. "Il y a cinq ou six ans, je m'y serais opposé farouchement ! Il faut croire que la maturité a joué", dit Jeannot Painchaud.

 

Le partenaire idéal

Avec assurance, il rencontre une première fois l'équipe du Cirque du Soleil. Il est calme, bien qu'il s'apprête à discuter de la vente de la moitié de son entreprise au cirque contemporain le plus important du monde. "Je n'avais pas peur, se rappelle-t-il, mais ce n'était pas le cas des membres de mon équipe."

Car Jeannot Painchaud a eu la bonne idée de s'entourer de collaborateurs "plus rationnels", qui complémentent sa personnalité plus artistique, pour "éviter des catastrophes". C'est que l'acrobate écoute d'abord son instinct. Les moments les plus déterminants de sa carrière sont ceux où il a plongé, sans être certain de ce qu'il allait trouver en bas. Par exemple, quand il a quitté l'école pour s'entraîner à ses acrobaties, après avoir découvert par hasard l'existence de l'École du Cirque, au début des années 1980. Ou encore, quand il a réuni quelques amis pour fonder sa propre troupe, après quelques années passées à travailler pour les autres. "Si j'avais décidé de rester sur le bord, j'aurais peut-être une vie intéressante, mais pas autant que celle que j'ai aujourd'hui", dit cet adepte de yoga.

Il reste qu'il ressentait une grande appréhension au moment de s'allier au Cirque du Soleil, celle de perdre le contrôle artistique d'Éloize. D'emblée, il met les choses au clair : la direction artistique, pas touche ! Quand ses vis-à-vis, Daniel Lamarre, PDG du Cirque du Soleil, et Gilles Ste-Croix, vice-président principal au contenu créatif, l'ont assuré que ce n'était pas du tout leur intention, les dernières barrières sont tombées.

Jeannot Painchaud quitte cette première rencontre agréablement surpris. "Il y a tout de suite eu un fit, quelque chose d'évident", dit le volubile PDG. C'est vrai que tout concorde. En plus de sa cote d'amour auprès du public et de son expertise artistique unique, Éloize a un atout important : il se produit exclusivement dans des salles de théâtre, une chose à laquelle le Cirque du Soleil n'est pas parvenu. On n'a qu'à penser à l'échec de Banana Shpeel, aux États-Unis, en 2009. Et pour le Cirque du Soleil, c'est une façon de contrer les quelques troupes qui émergent, notamment aux États-Unis, et qui copient son style dans des représentations en salle.

"Jeannot a été astucieux. Au lieu de se mettre en concurrence avec nous, il a choisi un marché où nous n'étions pas", dit Daniel Lamarre en entrevue. Sollicité de toutes parts, c'est la première fois que le Cirque du Soleil signe un partenariat avec une compagnie artistique.

Le fait qu'Éloize soit une troupe québécoise n'a pas nui non plus, au contraire. "Plutôt que de voir une entreprise étrangère conclure un partenariat avec Éloize, nous avons préféré le faire nous-mêmes", explique Daniel Lamarre. Une belle occasion pour le Cirque du Soleil d'encourager un entrepreneur d'ici et de le faire profiter de ses relations. "Éloize a un potentiel international énorme", poursuit le bras droit de Guy Laliberté.

Jeannot Painchaud n'aurait pas signé sans rencontrer le grand patron. Une fois de plus, pour se fier à son instinct. "Je devais savoir s'il avait vraiment le désir de s'associer." Cette fois encore, le courant a passé.

Pour Louis Hébert, professeur de management à HEC Montréal, la réussite d'un partenariat passe inévitablement par la compatibilité entre les dirigeants, en plus de la complémentarité des compétences. L'union des deux cirques répond à ces deux critères. "Il y a toujours des compromis à faire, l'idée, c'est de connaître ceux avec lesquels on vivra le mieux."

Le Cirque Éloize a cédé la moitié de son capital-actions au Cirque du Soleil. Entendre Guy Laliberté et Daniel Lamarre dire que les deux cirques sont "condamnés à s'entendre" a rassuré Jeannot Painchaud. "Je suis à l'aise avec ça puisque je sais où je vais, et je n'aurai pas de mal à les convaincre."

Dans les faits, l'acrobate reste seul maître à bord, assure Daniel Lamarre. Par-dessus tout, le grand cirque ne veut pas étouffer le sens artistique et entrepreneurial du plus petit. "De toute façon, nous ne manquons pas d'ouvrage !" dit-il dans un éclat de rire.

Depuis l'acquisition du capital, le Cirque du Soleil a bien délégué son PDG et son chef des finances au conseil d'administration d'Éloize, mais tous parlent beaucoup plus des réunions informelles convoquées au besoin par Jeannot Painchaud. Relations dans les réseaux de diffusion, stratégie marketing, planification financière des tournées : les experts concernés se rassemblent afin de déterminer comment le cirque, qui fêtera ses 20 ans en 2013, accroîtra son rayonnement et sa rentabilité.

Plutôt que d'être perçues comme une menace, ces rencontres à l'extérieur du conseil soulagent les administrateurs. Alors qu'auparavant, ils étaient très impliqués dans les questions financières et qu'ils se réunissaient mensuellement, ils peuvent maintenant se concentrer sur le développement de l'entreprise et se rencontrer une fois par trimestre. "Nous jouons maintenant le rôle traditionnel d'un conseil d'administration", dit Jean-Pierre Desrosiers. L'enthousiaste président du conseil souligne l'importance pour le Cirque Éloize d'avoir des administrateurs externes et indépendants des deux cirques, qui amènent une vision non conflictuelle de ce qui se passe dans le marché.

Pour Jeannot Painchaud, "le fun commence !" Après une année 2010 mouvementée - en plus de s'allier au Cirque du Soleil, il a signé la mise en scène d'ID et est devenu papa d'une petite fille, son troisième enfant -, il peut enfin réfléchir aux futurs spectacles d'Éloize et à ses projets.

Où jailliront les idées ? Dans l'avion, au retour d'une première où il aura amené ses fils de 12 et 16 ans découvrir une nouvelle ville ? Au côté de sa conjointe, flûtiste classique ? À moins que ce ne soit au large des îles de la Madeleine, lorsqu'il aura tant nagé qu'il n'y aura plus que l'horizon pour lui souffler que tout est possible.

 

IL RÊVAIT D'ÊTRE UN ARTISTE... ENTREPRENEUR

Il ne grimpe plus sur scène avec son vélo acrobatique comme à ses débuts, il y a 25 ans, mais a signé la mise en scène de ID, qui est en tournée aux États-Unis et en Europe depuis sa création en Corée du Sud il y a deux ans. Ce spectacle aux accents urbains, Jeannot Painchaud l'a conçu et dirigé alors qu'il signait des partenariats, concluait des ententes de diffusion et embauchait des collaborateurs. Le tout, en gérant le Cirque Éloize, une entreprise qui emploie un total de 400 personnes.

Alors, nous lui posons la question qui tue : artiste ou entrepreneur ? "Je ne suis pas capable de dissocier les deux", dit sur le ton de l'évidence ce père de trois enfants, qui a un pincement au coeur à l'idée que son fils de 12 ans ne l'a pas connu quand il était amuseur public, et ne le voit que comme un dirigeant d'entreprise. 

Surtout que son bagage artistique est celui qui lui sert le plus en tant qu'entrepreneur. En oeuvrant dans le milieu des arts, il n'a pas eu le choix d'apprendre à travailler avec les sensibilités de chacun, ce qui s'avère bien utile dans la négociation d'ententes et la gestion d'employés. Sa nature artistique l'aide aussi à sortir des sentiers battus. "En création, on se défend de bloquer les idées, même celles dont on sait qu'elles sont irréalisables. On fera le ménage plus tard."

Sans vouloir généraliser, Julie Carignan, associée à la Société Pierre-Boucher, une firme spécialisée en psychologie organisationnelle, observe que les artistes entrepreneurs réussissent généralement mieux que les autres à inspirer leurs collaborateurs. "Ils ne sont pas en affaires simplement pour être en affaires, mais parce qu'ils ont un projet, ce qui donne un sens au travail." Ils font aussi preuve d'une sensibilité particulière qui les aide à prendre le pouls de leur entourage et de leur environnement. De plus, puisque dans le milieu artistique, rien n'est tout noir ou tout blanc, ils ont l'habitude de naviguer dans l'ambiguïté et la tourmente, ajoute la psychologue.

Devenir entrepreneur comporte toutefois son lot de défis pour les artistes, nuance Julie Carignan. Par manque de formation, ils peinent souvent avec la comptabilité, et délèguent l'aspect financier à un comptable qu'ils n'osent pas critiquer. Ils font de même avec la gestion plus générale, par exemple l'approvisionnement, l'assurance de la qualité et la négociation des contrats. Leur rapport au temps est aussi différent. "Comme le processus créatif n'est pas linéaire et qu'il implique des pauses, la ponctualité et le respect des échéances représentent un défi."

Pour Jeannot Painchaud, il est évident qu'il confiera un jour la gestion à une personne de confiance et qu'il se consacrera entièrement aux destinées artistiques d'Éloize. Comme le cirque aspire à présenter un plus grand nombre de spectacles, il faudra l'alimenter de projets artistiques. "C'est là que je suis le plus utile, et c'est ce qui assure le développement de l'entreprise." Quand ? Après réflexion, le PDG esquisse un sourire. Dans deux ans, Éloize soufflera ses 20 bougies. Jeannot Painchaud vient de penser à une idée de cadeau.

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