«Les cours sont souvent les plus attrayants où il y a moins de liquidités» - Robert Prince, cochef des investissements, Bridgewater Associates


Édition du 03 Décembre 2016

«Les cours sont souvent les plus attrayants où il y a moins de liquidités» - Robert Prince, cochef des investissements, Bridgewater Associates


Édition du 03 Décembre 2016

Par Dominique Beauchamp

Robert Prince. [Photo : Moca photo]

Robert Prince, cochef des investissements chez Bridgewater Associates, était récemment conférencier à l'association CFA Montréal, une soirée animée par Roland Lescure, chef des placements de la Caisse de dépôt et placement du Québec, une cliente du gestionnaire d'investissements alternatifs. Après l'événement, M. Prince a répondu aux questions de notre journaliste Dominique Beauchamp.

Les Affaires - Chez Bridgewater, les rouages de l'économie et des marchés sont fusionnels. Comment cette philosophie influence-t-elle vos placements ?

Robert Prince - Nous comparons l'économie et les marchés à une énorme machine de multiples liens de cause à effet. Au fil des années, nous avons inséré une quantité de variables dans nos systèmes d'aide à la prise de décision. Dans sa plus simple expression, lorsqu'un individu emprunte pour consommer, par exemple, il dépense en quelque sorte ses futurs revenus. Ce principe s'extrapole à un pays. En abaissant les taux à zéro et en imprimant de l'argent, la Réserve fédérale des États-Unis [Fed] a mis en suspens le processus de réduction des dettes qui survient habituellement à chaque cycle économique, afin d'éviter le scénario catastrophe de dépression-déflation. Cette politique a aussi gonflé la valeur marchande de nombreux actifs, mais les flux de trésorerie générés par ces actifs n'ont pas changé. C'est donc dire que, là aussi, nous avons tiré vers l'avant les rendements futurs. Comme le cycle économique débute avec une dette encore élevée et des taux faibles, les rendements futurs de la Bouse seront plus maigres qu'ils ne l'auraient été autrement, probablement de l'ordre de 5 % et moins par année.

L.A. - Cette logique s'étend-elle aux actifs tangibles tels que l'immobilier, les infrastructures et les fonds de capital privés dans lesquels nombre de fonds institutionnels sont investis ?

R.P. - Quand il y a beaucoup de liquidités en circulation, il est inévitable qu'une partie se rende jusqu'aux actifs tangibles qui ne se négocient pas en Bourses. Cependant, les investisseurs institutionnels se tournent vers ces actifs au moment où les rendements qu'on peut espérer sont moins élevés qu'avant. Nous approchons sans doute d'un point tournant pour ces actifs, puisque leurs prix sont élevés et que leurs rendements financiers courants (yield) sont déjà moins attrayants, alors que la Fed retire ses liquidités. Leurs bénéfices de diversification risquent donc d'être moins intéressants que ce que ces investisseurs avaient prévu.

L.A. - Comment l'élection de Donald Trump influe-t-elle sur votre stratégie aux États-Unis ?

R.P. - Je dirais que les présidents ont peu d'effet à long terme sur la trajectoire de l'économie et des marchés. C'est plutôt l'inverse. Les politiciens et les politiques réagissent aux changements de l'économie. La spirale des prix des années 1970 a mené au combat anti-inflation du président de la Fed d'alors, Paul Volcker. Le mauvais état de l'économie britannique a porté Margaret Thatcher au pouvoir en 1979. L'élection de Donald Trump est le produit des frustrations causées par la croissance inégale de l'économie américaine des dernières années. De nouvelles politiques peuvent toutefois avoir un impact favorable à court terme si elles réussissent à produire un taux de croissance nominal supérieur aux taux d'intérêt. Une expansion budgétaire (infrastructures et baisses d'impôts) et des mesures protectionnistes sont par définition inflationnistes. Un peu d'inflation est positif, car elle diminue le coût réel pour tous les emprunteurs des versements d'intérêt et du remboursement de capital de leur dette à l'échéance. Étant donné les forces en jeu, il y a plus de chances que l'économie s'accélère un peu que l'inflation ne grimpe. Sans révéler nos positions, ces conditions me paraissent plus favorables en ce qui concerne le dollar américain que la Bourse. Il n'est pas clair à ce stade quand et à quel point la hausse des taux et du dollar nuiront à la valeur des actifs américains.

L.A. - Il n'y a aucun risque inflationniste majeur sur votre écran radar ?

R.P. - Comme je l'ai expliqué, un niveau d'endettement encore élevé et une Fed qui retire des liquidités ne peuvent pas produire une nouvelle expansion du crédit qui mènerait à une croissance rapide et au retour en force de l'inflation. D'ailleurs, des conditions similaires existent presque partout dans le monde, sauf en Inde.

L.A. - Quelle lecture faites-vous de la Chine actuellement ?

R.P. - Le pays est très endetté. Sa décision en décembre 2015 de laisser flotter le yuan par rapport à un panier de monnaies est probablement le plus gros virage de la dernière année. Étrangement, il a reçu peu d'attention. Pourtant, ce changement majeur donne au pays une nouvelle marge de manoeuvre monétaire pour accompagner la transition de son marché vers une économie de consommation et de services. Comme la banque centrale a moins à défendre la valeur de sa propre monnaie par rapport à celle du dollar américain, cela libère des réserves qu'elle peut réinjecter dans son système bancaire. Des taux et une monnaie plus faibles soutiennent son économie. Actuellement, la production de biens représente 60 % de l'économie et baigne dans la déflation. La consommation et les services croissent de 8 % (avec une inflation de 4 %). D'ici quelques années, ce ratio 60 %-40 % se renversera.

L.A. - Étant donné l'importance des liquidités dans votre modèle, où voyez-vous des occasions ?

R.P. - Je ne veux pas dévoiler nos placements. De façon générale, les occasions proviennent de deux sources. Les prix ou les cours sont souvent les plus attrayants là où il y a moins de liquidités. C'est le cas actuellement dans les marchés émergents, bien qu'il ne faille plus voir ces marchés comme un tout. Le Brésil a bénéficié du retour des capitaux, mais ses problèmes de déficits sont sérieux. En Asie-Pacifique, par contre, le compte courant de plusieurs pays affiche des surplus. Les taux encore élevés de cette région peuvent également diminuer. L'autre source d'occasions vient du fait que les marchés intègrent davantage le passé récent que le futur. Par exemple, le peso et le Mexique reflètent déjà une bonne partie des craintes entourant la rhétorique anti libre-échange du nouveau gouvernement américain.

L.A. - Quel regard portez-vous sur le Canada ?

R.P. - Le pays vit les hauts et les bas du cycle des ressources. Si le huard plus faible et les taux bas compensent, l'endettement élevé est un boulet. Heureusement, le cycle des matières premières montre à nouveau signe de vie. Le déclin des investissements par les producteurs ces dernières années semble raffermir lentement les cours.

À propos de Robert Prince...

Robert B. Prince est cochef des investissements chez Bridgewater Associates, un rôle qu'il partage avec Ray Dalio, le fondateur, et Gregory Jensen, l'ex-copdg. Établi à Westport, au Connecticut, Bridgewater est non seulement le plus important gestionnaire de fonds alternatifs du monde - avec 154 milliards de dollars américains sous gestion et 350 clients institutionnels. Sa culture axée sur la méritocratie des idées et la transparence radicale lui valent une réputation mythique dans l'industrie des fonds de couverture. Son fonds principal, Pure Alpha, a procuré un rendement annuel moyen de 12 % depuis 1991, avec un taux de volatilité de 40 %. Arrivé en 1986, M. Prince est associé chez Bridgewater depuis 10 ans. Il est responsable des processus de systématisation du placement de la société et des efforts en recherche et développement. Fils d'enseignants, il est bachelier en comptabilité et en finance. Il a aussi effectué un MBA à l'Université de Tulsa, en Oklahoma. Avec son épouse Sharon et d'autres familles, M. Prince a aussi fondé en 2001 l'église Grace Community Church of New Canaan. Sharon dirige aujourd'hui la riche fondation Grace Farms.

À voir sur le Web

Le fondateur de Bridgewater Associates, Ray Dalio, explique dans une vidéo captivante de 30 minutes le fonctionnement de l'économie, le tout dans un langage simple et très accessible. On y accède sur le site economicprinciples.org

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