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Tesla: les leçons d’une stratégie à haut risque

Yannick Clérouin et Pierre-Olivier Langevin|Édition de la mi‑novembre 2024

Tesla: les leçons d’une stratégie à haut risque

(Photo: Adobe Stock)

EXPERTS INVITÉS. Faire passer son portefeuille de 88 000 $ à plus de 400 M $ en deux ans, pour ensuite voir sa fortune retomber à zéro… Voici l’histoire d’un investisseur qui offre de nombreuses leçons, que vous investissiez de façon autonome ou que vous soyez accompagné par un professionnel.

Cette histoire est détaillée dans une poursuite déposée à la Cour suprême de la Colombie-Britannique au début d’octobre.

Le plaignant, un charpentier dans la vingtaine, commence à investir de manière autonome par l’entremise d’un compte de courtage d’une grande institution financière à l’automne 2019. Il place l’intégralité de son portefeuille dans des actions et des produits dérivés de Tesla (TSLA, 258,24 $ US).

Son portefeuille s’apprécie de manière fulgurante. À la mi-2020, il souhaite acheter une maison et demande à une banque un prêt hypothécaire garanti par son portefeuille. La valeur du portefeuille frise alors les 50 millions de dollars (M $).

Au lieu de lui recommander de diversifier ses placements, le conseiller lui propose le service de gestion de portefeuille de l’institution financière et l’encourage fortement à rencontrer le comptable de l’équipe de professionnels qu’il a réunis afin de mettre en place une stratégie de planification fiscale.

Le fiscaliste qu’il rencontre lui conseille de restructurer son portefeuille et de modifier sa façon de gérer ses transactions, principalement pour minimiser la facture d’impôt associée à ses activités de négociation. En bref, le spécialiste lui propose de créer une société et d’y transférer tous ses titres par l’entremise d’un roulement sans incidence fiscale, puis à effectuer désormais ses transactions au sein de cette société. L’objectif ? Accumuler le plus de titres de Tesla possible et de les conserver longtemps, afin que l’Agence du revenu du Canada considère les activités de négociation de la société comme un investissement passif et non comme du revenu d’entreprise, lequel est nettement plus imposé qu’un gain en capital.

La stratégie de l’investisseur, qui repose sur une concentration extrême dans Tesla et sur l’effet de levier, continue de faire grimper la valeur de son portefeuille à vitesse grand V, jusqu’à atteindre un sommet de 415 M $ en novembre 2021.

C’est à ce moment que la démarche à haut risque de l’investisseur s’effondre. Tesla chute de façon importante en Bourse dans les mois qui suivent, l’obligeant à vendre ses titres pour rembourser ses emprunts. La baisse continue de l’action de Tesla entraîne des appels de marge successifs et se conclut par une perte totale de la fortune de l’investisseur en octobre 2022.

Ce cas est hors du commun, mais il offre des leçons précieuses aux investisseurs.

Concentration excessive = bombe à retardement

Concentrer la totalité de ses avoirs dans un seul titre représente une véritable bombe à retardement pour un portefeuille. Aucune entreprise ne mérite qu’on y investisse 100 % de ses avoirs, aussi exceptionnelle soit-elle. Il s’avère essentiel de diversifier son portefeuille dans plusieurs titres afin de limiter les risques. Dans le cas présent, l’investisseur a non seulement concentré tout son argent dans une seule entreprise, mais celle-ci s’exposait à des risques importants. Lorsqu’il a commencé à investir dans Tesla en 2019, le constructeur automobile était en effet toujours déficitaire et passablement endetté.

Effet de levier = pertes potentielles amplifiées

Utiliser des produits dérivés et emprunter pour spéculer sur un même titre expose à des pertes qui peuvent être considérablement amplifiées. L’utilisation du levier peut se révéler une stratégie fort dangereuse, surtout lorsque l’investisseur ne possède pas les connaissances nécessaires pour en maîtriser les conséquences.

Confondre richesse et expertise

Ce cas illustre avec éloquence qu’un enrichissement rapide réalisé grâce à la spéculation ou à la chance ne signifie pas pour autant que l’investisseur a une compréhension approfondie des marchés financiers. Malgré ses succès initiaux, l’investisseur méconnaissait vraisemblablement l’ampleur des risques auxquels sa stratégie l’exposait.

Mal établir les besoins du client

Lorsqu’il a approché une institution financière, l’investisseur souhaitait avant tout obtenir un prêt hypothécaire. Au lieu de répondre à ce besoin, les conseillers de la banque lui auraient offert leur service de gestion de portefeuille et l’auraient incité à appliquer une stratégie fiscale inadaptée à sa situation.

Le plaignant soutient que différents intervenants de l’institution financière ont fait preuve de plusieurs manquements, dont : ne pas avoir correctement défini ses besoins et ses objectifs financiers et ne pas avoir bien évalué ses connaissances des stratégies d’investissement et de planification fiscale.

Faire passer la fiscalité avant d’autres considérations

Faire primer les aspects fiscaux au détriment d’autres considérations essentielles, comme la gestion des risques associés à une stratégie de placement, peut se révéler fort dommageable. L’investisseur affirme s’être fait recommander une stratégie dont l’objectif premier était de minimiser l’impôt et non d’assurer la pérennité de son portefeuille.

Des cas de concentration aussi extrêmes sont rares, mais il nous arrive parfois d’être témoins de situations préoccupantes lorsque nous réalisons des analyses de portefeuille pour des clients potentiels. Il y a quelques années, nous avons découvert avec stupéfaction que le portefeuille d’un épargnant qui nous avait contactés pour un deuxième avis était composé à plus de 30 % d’une petite société minière qui n’avait pas franchi le stade de la commercialisation et qui exposait l’ensemble du portefeuille à un risque d’échec élevé.

Cette analyse avait mis en relief la pratique troublante du conseiller de l’épargnant. Heureusement, cette histoire s’est mieux terminée que celle de l’investisseur de Tesla, puisque nous avons vendu ce titre dès que l’épargnant est devenu client, tout juste avant la déconfiture de l’entreprise.