Suncor remporte le prix du meilleur rapport de DD dans la catégorie pétrole et gaz. De l'ESG UQAM, les juges Justine Dugré-Lavoie, Chloé Raulet et Elin Aakrann, et Eric Westrum, conseiler DD, Suncor (Crédit: Wonder Photography)

Cascades, CN, Canfor, Restaurant Brands International, Gildan, Suncor, Goldcorp, Teck, Bell, Capital Power, TD, Financière Sun Life

Le 14 février dernier, chacune de ces entreprises s’est méritée la première place de son secteur pour la qualité de sa reddition de comptes en développement durable (DD). Voici le lien vers ces rapports. Ce concours annuel, organisé par l’Initiative pour la finance durable de Finance Montréal, en est à sa 6e édition. Toutes les entreprises composant l’indice S&P/TSX sont automatiquement admissibles.

La particularité de ce concours

Le jury est composé d’étudiants universitaires. Chaque équipe est encadrée par un enseignant, un diplômé ou un professionnel de l’industrie. Ils reçoivent une formation de quelques heures sur les concepts d’investissement responsable, de développement durable et de critères ESG, ainsi qu’une mise à jour sur les tendances en DD. Voici les universités qui ont participé cette année : Concordia, HEC Montréal, McGill, Polytechnique Montréal, Université de Sherbrooke, UQAM et Waterloo.

Au 4e trimestre de 2017, la moitié des dirigeants du S&P 500 ont mentionné les enjeux de développement durable dans leur appel-conférence avec les analystes. Pour fins de comparaison, il faut savoir qu’entre 2010 et 2015, les mentions liées au DD lors des appels trimestriels ont augmenté de 25%. Et, entre 2015 et 2017, elles ont grimpé de 44%.

La direction des entreprises canadiennes cotées en bourse parle donc de DD. Mais, son discours comble-t-il les attentes du public-cible? Voyons ce que les juges de ce concours en ont pensé.

«La reddition de compte en développement durable est handicapée par son historique, souligne Maxime Lakat, coprésident du Réseau en développement durable de l’université McGill et membre du jury de McGill pour ce concours. Le développement durable s’est développé en parallèle de la stratégie de l’entreprise. On n’a pas fait le lien entre la performance DD et la performance financière de l’organisation. Les entreprises n’ont pas cherché à prouver que grâce à leurs initiatives en développement durable, elles seront plus profitables et se démarqueront de la concurrence. C'est une lacune de  la majorité des rapports que nous avons évalués.»

Cette observation tous les juges de toutes les universités l’ont répétée au micro avant de remettre les prix. Ils ont cherché en vain une affirmation claire du lien entre DD et profitabilité. Est-ce faute de moyens ou faute de convictions de la part des entreprises? Les indicateurs extrafinanciers sont encore peu nombreux et on manque de standards, certes. Mais il faut aussi admettre que nombre d’entreprises mènent encore la stratégie DD en marge de leur «vraie» stratégie. Rares sont celles qui en font une stratégie transversale.

Pour arrêter leur choix, les juges ont travaillé avec grille dont 80% des critères étaient les mêmes pour tous. L’autre 20% était laissé à la discrétion de chaque équipe. Pour atteindre 100%, ils pouvaient surpondérer certains critères de la grille ou ajouter les leurs. Chaque équipe a choisi d’ajouter ses propres critères, en fonction de ce qui leur tenait à cœur. Une précision: on a demandé aux juges d’évaluer les rapports en se glissant dans la peau d’un investisseur. Trouve-t-il les informations nécessaires pour prendre une décision d’investissement éclairée?

Voici les critères de sélection personnalisés ajoutés par chaque équipe de juges

Université Concordia (Secteur minier-or; gagnant, Goldcorp)

-La création et le maintien d’un milieu de travail sain et sécuritaire;

-Le souci de création d’emploi local, incluant la formation de la main-d’œuvre pour lui permettre de profiter des occasions d’emploi;

-Le respect de la propriété du territoire, incluant la collaboration avec les autorités locales;

-Les services à la communauté: construction, ou contribution à la construction, d’écoles, d’hôpitaux, d’infrastructures.

École Polytechnique (Secteur minier-autre; gagnant, Teck)

-La prise en compte de l’analyse cycle de vie du produit ou du service.

UQAM (Pétrole et gaz; gagnant, Suncor)

-La prise en compte de la transition énergétique;

-La santé et la sécurité;

-La prise en compte des communautés riveraines.

Université de Waterloo (Secteur des technologies et des communications; gagnant, BCE. Secteur des services; gagnant Restaurant Brands International)

-La pertinence du contenu: présence d'indicateurs standardisés permettant des comparaisons intersectorielles, présence d’information utile;

-Divulgation de la structure organisationnelle liée au développement durable;

-Lien avec les objectifs de développement durable des Nations-Unies;

-Approche scientifique.

Université de Sherbrooke (Secteur bancaire; gagnant, TD)

-Description des enjeux ESG;

-Intégration des critères ESG dans les facteurs d’investissement et de crédit.

Université de Sherbrooke (Secteur non bancaire, gagnant, Financière Sun Life)

-Facilité et intérêt de lecture;

-Innovation: en comparaison aux rapports publiés par les pairs et aux rapports précédents de l’entreprise.

Université McGill (Secteur des biens de consommation, gagnant, Gildan)

-Diversité : au-delà de la diversité de genre, inclut la diversité ethnique et de compétences.

Quelques messages des juges aux entreprises

Le recours à des juges provenant des universités est à la fois rafraichissant et pertinent. Rafraichissant parce que ces étudiants interpellent les organisations sur le développement durable avec une assurance et une franchise que l’expérience du monde du travail aurait probablement diluée. Je citerai cette étudiante de l’équipe de l’UQAM. «Peu d’entreprises ont inclu la valeur ajoutée qu’elles apportent dans le monde. Par exemple, comment contribuent-elles à l’atteinte des cibles de l’Accord de Paris auxquelles leur gouvernement s’est engagé?» Et cet étudiant du Goodman Institute, de l’Université Concordia, «La société ne compte pas que des investisseurs sophistiqués. On y trouve aussi des investisseurs débutants. Eux aussi devraient pouvoir comprendre les rapports de développement durable des entreprises pour inclure le DD dans leurs critères d’investissement.» Le même étudiant a souligné que «ce n’est pas aux lecteurs des rapports de déduire que les actions des entreprises en DD ont un impact concret et positif. C’est aux entreprises à exposer celui-ci à travers des énoncés simples et directs.»

CN lance un défi à ses concurrents

Le CN est la seule entreprise du secteur des transports à s’être qualifiée pour ce concours. Un premier examen a mené à la conclusion qu’aucun de ses concurrents n’a divulgué suffisamment d’information sur l’intégration des critères ESG dans sa gestion pour que son rapport soit évalué par le jury. Le CN a donc gagné d’office. «Je trouve cela troublant, a déclaré la représentante du transporteur. Je lance un défi à nos concurrents: l’an prochain, il faut que notre secteur soit mieux représenté.»

L’invitation de Gildan aux juges

Les représentants de Gildan, qui étaient assis à ma table, ont invité l’équipe de l’université McGill qui a évalué leur catégorie (produits de consommation) à passer à leurs bureaux. « Ils veulent que nous regardions ensemble la grille d’analyse, pour profiter de notre rétroaction détaillée», dit Maxime Lakat, un des membres de cette équipe. La grille comprend des notes sur chaque critère, des commentaires et des recommandations.

Et celle de la Financière Sun Life à la population

La démarche de Gildan rejoint celle de la Financière Sun Life (récipiendaire services financiers non bancaires). «Il y a un an, nous avons sondé les Canadiens pour connaître leur définition du développement durable et les actions qui comptent à leurs yeux, explique Brigitte Dagnault, vp adjointe, marketing et communications. Nous nous sommes inspirés de ces réponses pour bâtir le contenu de notre rapport de DD.»