L'inflation: où en sommes-nous? Première partie

Publié le 04/03/2022 à 14:09

L'inflation: où en sommes-nous? Première partie

Publié le 04/03/2022 à 14:09

Par Yves Rabeau

« The Future is not what it used to be. » — Yogi Berra                          

Première partie: les composantes de l’inflation

Traditionnellement on estimait qu’il y avait deux principales sources d’inflation, soit celle d’une demande trop forte par rapport à la capacité de produire ou celle provenant d’une hausse des coûts résultant d’une productivité insuffisante pour couvrir les coûts des intrants et ceux de la main-d’œuvre.

Les attentes inflationnistes réfèrent aux agents économiques qui, dans la conduite de leurs affaires, prévoient des hausses de prix qui viennent ancrer davantage le phénomène.

L’inflation en cours provient à la fois de pressions surtout internationales sur les coûts et d’une demande en progression au sortir d’une pandémie exceptionnelle. Ce n’est pas facile à gérer pour les autorités monétaires et budgétaires. Examinons ici les grands enjeux de ce phénomène.

 

L’offre de produits demeure difficile

Les ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, les goulots d’étranglement dans les ports et les difficultés dans le transport se traduisent par une insuffisance de l’offre d’importants intrants et produits finis et ne semblent pas vouloir se résorber rapidement. Par exemple, le temps de livraison des biens provenant de la Chine aux États-Unis qui était de l’ordre de 30 jours en 2019 est maintenant de plus de 100 jours. La reprise assez marquée de la demande se heurte directement et probablement davantage de façon indirecte, comme dans le cas de semi-conducteurs, à une rareté des produits et alimente ainsi l’inflation.

De plus, la rareté de la main-d’œuvre, alors que se manifeste une reprise des activités dans la plupart des secteurs d’activité, risque de provoquer une hausse des salaires qui, sans compensation de gains de productivité, viendrait alimenter aussi l’inflation. Les Banques centrales doivent continuer à afficher leur cible d’inflation afin de ne pas perdre leur crédibilité surtout si des attentes inflationnistes commencent à émerger dans divers secteurs de l’économie.

 

Le climat et l’inflation

Il y a toutefois des particularités dans l’explication de l’inflation courante qui risquent de perdurer et annoncent un futur difficile à prévoir. Les spécialistes du climat le clament depuis plusieurs années, le réchauffement climatique va entraîner des coûts économiques considérables.

Tout ça demeurait assez théorique. Sauf que, depuis quelques années, on commence à voir comment ces coûts auront un impact sur l’inflation et donc sur les budgets de tous les secteurs économiques. Ces bouleversements climatiques observés un peu partout dans les économies occidentales et ailleurs dans le monde ont engendré des coûts importants.

Plus près de nous, la chaleur et la sécheresse sur l’Ouest canadien ont fait diminuer de façon appréciable le rendement des cultures de céréales et autres produits agricoles.

La baisse de l’offre de ces produits a un impact direct sur le coût du panier à provisions, mais aussi un effet indirect sur les prix, car ces denrées sont des intrants dans la production de plusieurs aliments. Le taux d’inflation des produits alimentaires est variable selon la composition du panier à provisions et peut atteindre 20 % pour certains types de viande.

Les inondations, les feux de forêt, où l’on retrouve de nombreuses habitations, et autres cataclysmes, créent des pressions inflationnistes sur des industries reliées aux infrastructures et l’habitation. La fréquence de ces événements fait aussi augmenter les coûts des assurances. Ces phénomènes s’ajoutent aux composantes aléatoires de l’inflation.

 

3. Les prix de l’énergie

D’autre part, les prix des hydrocarbures, alors que l’activité économique reprend dans les pays de l’OCDE, sont en forte hausse. Si on remonte au prix d’avant la pandémie, le pétrole a augmenté de 45 % et celui du gaz a pratiquement doublé. La demande inélastique de ces produits fait en sorte que les consommateurs sont touchés rapidement.

Dans l’ensemble, la hausse des prix provient en partie de la décision du cartel de l’OPEC et de la Russie de ne pas augmenter leur offre sur le marché alors que l’économie mondiale est en progression dans le but de faire augmenter les prix du carburant pour compenser les pertes subies pendant la pandémie. Par ailleurs, on ne peut plus compter sur les grandes pétrolières pour développer leur offre face à l’augmentation des prix.

En 2014, par exemple, Shell, face à un prix de 100,00 $ le baril de pétrole investissait près de 30 milliards $ pour accroître son offre de carburant. Rien de tel en 2021-22. Notamment, l’engagement des pays industrialisés à baisser la consommation d’énergie fossile et l’annonce des grandes sociétés d’automobile de passer à l’électricité pointent dans le sens d’une baisse progressive de la demande de carburant.

De plus, l’engagement de grandes sociétés financières de soit éliminer les pétrolières de leur portefeuille ou soit d’exiger de celles-ci une conversion vers des énergies vertes va rendre plus difficile le financement de projets d’accroissement de l’offre d’énergie fossile. Il ne devrait pas cependant y avoir un repli significatif des prix du pétrole et du gaz à court terme.

Une réduction soutenue de l’offre de pétrole face à une demande qui demeure relativement inélastique malgré les efforts de passer aux énergies vertes pourrait faire augmenter encore plus le prix des carburants et ralentir la reprise de l’après pandémie.

Enfin, la crise entourant l’invasion russe en Ukraine risque de toucher l’offre de carburant et d’aggraver le mouvement à la hausse du prix de l’essence. 

 

La rareté de la main-d’œuvre

La rareté de la main-d’œuvre attribuable au vieillissement de la population dans plusieurs pays de l’OCDE, contribue à alimenter la croissance des salaires qui atteignait environ 4,2% à la mi-année pour l’ensemble de ces pays.

Au Canada, en décembre dernier, selon Statistique Canada, les salaires ont augmenté de 2,6%, donc à un rythme inférieur à l’inflation qui était de 4,8%. L’enquête du Conference Board sur les salaires pour les entreprises non syndiquées prévoit un taux de croissance de la rémunération de l’ordre de 2,4% pour 2022. Il n’y pas de données à ce stade-ci qui suggèrent un relèvement important des taux de salaires même si les entreprises font face à des pénuries de main-d’œuvre.

Que les salaires augmentent au moment d’une reprise de l’activité ne crée pas en général de sérieux problèmes de coût aux entreprises. L’accroissement de la productivité (production/emploi), alors qu’il y a encore une sous-utilisation de la capacité de production va compenser au moins en partie les gains salariaux.

Toutefois, surtout dans les secteurs syndiqués, quand viendra en 2022 le renouvellement des contrats de salaire, on assistera à des pressions pour faire apparaître des clauses d’indexation. Ces hausses de salaire ne sont pas liées à des gains de productivité et donc peuvent alimenter l’inflation.

On pourrait ainsi voir une réapparition des attentes inflationnistes comme dans les années 1970-1980 si les travailleurs estiment que l’inflation sera persistante plutôt que transitoire. Il faut souhaiter que les ajustements de salaire associés à l’inflation soient limités et s’appliquent à court terme seulement pour éviter une spirale semblable à celle des années 1970. Le renouvellement des contrats de travail demeure un facteur d’incertitude quant l’évolution de l’inflation [1].

 

Le marché de l’habitation et les valeurs boursières

L’inflation dans le secteur de l’habitation s’est poursuivie au cours de 2021. Selon Royal LePage, une pénurie de maisons qui persiste en dépit des mises en chantier contribue à la hausse des prix. L’association canadienne de l’immeuble estime que les prix de l’habitation au Canada en 2021 ont augmenté de 26,6 % par rapport à l’an passé [2].

On observe un scénario semblable dans les secteurs financiers alors que le TSX a connu une hausse de 25 % en 2021. Encore une fois, une partie importante de la liquidité injectée au Canada et les bas taux d’intérêt ont contribué à alimenter la progression des prix dans le secteur de l’habitation et de la finance.

 

L’inflation aux États-Unis

L’inflation continue de s’accélérer aux États-Unis alors que l’IPC est passé de 6,8 % en novembre, à 7,0 % en décembre pour atteindre 7,5 % en janvier 2022. Il faut reculer de 40 ans pour retrouver des taux d’inflation comparables. En plus des problèmes du côté de l’offre, les divers programmes de dépenses du gouvernement fédéral ont pu alimenter l’inflation.

De plus, les attentes inflationnistes se manifestent dans l’économie notamment chez les travailleurs où les salaires progressent à un taux de 5,0 %. Face à cette inflation, la Fed avait annoncé en décembre qu’elle réduisait son programme d’assouplissement monétaire et qu’il prendrait fin bientôt et qu’elle allait augmenter son taux directeur en mars 2022. La Fed a réagi un peu tardivement et les hausses du taux directeur pourraient en conséquence, être plus importantes que prévu en décembre dernier. 

Il est important de suivre de près les décisions de la Fed, car pour éviter des variations trop importantes de notre devise, la BdC devra au moins en partie arrimer sa politique à celle de la Fed. La décision annoncée de commencer à relever les taux en mars devrait permettre au Canada et aux États-Unis d’agir à l’unisson pour ralentir l’inflation.

 

Deuxième partie: les politiques pour réduire l’inflation, à lire en cliquant ici.

 

 


[1] Le gouverneur de la BdC dans ses interventions publiques a incité les entrepreneurs canadiens à investir pour accroitre leur productivité.              

[2] The Canadian Real Estate Association's House Price Index

 

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