D'exportateurs à investisseurs

Publié le 20/10/2009 à 07:40

D'exportateurs à investisseurs

Publié le 20/10/2009 à 07:40

Par Suzanne Dansereau

La formidable puissance économique du géant asiatique frappe l'imaginaire. Photo : Bloomberg

La Chine a célébré avec faste les 60 ans de sa révolution au début d'octobre. Devant une grande murale de Mao, le président Hu Jintao a réitéré son appui au socialisme, disant que c'était grâce à ce système que la Chine avait été "sauvée".

Mais ici, en Occident, ce système paraît incongru et c'est surtout la formidable puissance économique du géant asiatique qui frappe. Pendant que les États-Unis se relèvent péniblement de la récession et prévoient qu'ils ne seront plus la seule locomotive de la planète, les Chinois, qui disposent de la plus importante réserve de devises du monde, partent à la chasse aux actifs étrangers. Peu frappée par la récession, leur économie a besoin de ressources naturelles et de terres arables pour alimenter sa croissance.

Avant la crise, la Chine était vue comme un exportateur. Aujourd'hui, elle est un investisseur. Elle débarque en Occident non plus pour garnir les étagères des grands magasins, mais pour acheter ou investir chez quiconque lui fournira ce dont elle a besoin pour sa consommation intérieure - sa nouvelle priorité. "Ce passage d'exportateur à investisseur mondial se fait à une rapidité phénomémale", commente Louis Duhamel, spécialiste de la Chine à la firme Secor.

"Les Chinois peuvent se permettre d'acheter des entreprises plutôt que de passer par le marché pour obtenir leurs produits", explique de son côté Louis Hébert, professeur de stratégie à HEC Montréal.

Prochain arrêt, le Canada

Le Canada est dans la mire de la Chine, comme le confirme un sondage publié le 15 septembre et réalisé par la Fondation Asie-Pacifique auprès des représentants de 1 100 entreprises membres du China Council for the Promotion of International Trade.

Les Canadiens doivent s'attendre à une progression des investissements chinois sur leur territoire, selon un rapport produit dans le cadre du projet de recherche China Goes Global. Seulement 7 % des entreprises interrogées ont déjà des investissements au pays, mais les trois quarts d'entre elles prévoient les accroître au cours des prochaines années.

Leurs secteurs d'intérêt sont les suivants : ressources naturelles, énergie - verte ou polluante -, biotechnologies et agroalimentaire.

Zeging Chen, président de St-Laurent International Resource Management, une firme de consultation chinoise établie en banlieue de Montréal, confirme la tendance : "Quand je suis arrivé ici il y a deux ans, la majeure partie de mes services était destinée aux compagnies québécoises désireuses de percer le marché chinois. Aujourd'hui, la plupart de mes mandats proviennent de compagnies chinoises venant faire de la prospection au Québec." M. Zeging travaille actuellement à des projets de partenariat en énergie renouvelable et en R-D, précise-t-il.

Bien que les Chinois soient encore des néophytes en matière d'investissements étrangers, et lorgnent davantage l'Asie et l'Australie, les dossiers canadiens commencent à se multiplier (voir ci-contre). Les investisseurs chinois s'intéressent notamment aux sociétés minières québécoises, pour qui ils représentent une importante source de capitaux à un moment où elles ont du mal à financer leur projets.

"Le Québec inc. est en panne. Les Chinois ont de l'argent et de la vision, commente Jean-Pierre Thomassin, président de l'Association pout l'exploration minière. Ils pensent à long terme et ils savent où ils s'en vont."

Mais nous, y sommes-nous prêts ? Si oui, dans quelle mesure et à quelles conditions ? Bref, avons-nous une stratégie ?

Changement d'attitude à Ottawa

À Ottawa, le gouvernement de Stephen Harper vient d'opérer un important virage face à la Chine. Alors qu'il désapprouvait son régime politique il n'y a pas si longtemps, il fait maintenant les yeux doux à l'empire du Milieu.

Depuis le printemps, pas moins de quatre ministres sont allés en Chine. Quant au premier ministre, sa première visite officielle est prévue fin novembre. On espère finaliser bientôt un accord sur les investissements.

Mais selon Doug Robertson, avocat chez Heenan Blaikie et expert des affaires avec la Chine, "le Canada est plus entiché de l'idée de la Chine que de la Chine réelle".

Notre bilan avec ce pays demeure modeste, souligne-t-il. Même si l'investissement chinois au pays a triplé depuis 2005, il représente moins de 1 % des investissements étrangers. L'entente sur l'investissement traîne depuis 1994, et cela fait autant d'années qu'on aurait dû commencer à diversifier nos échanges commerciaux, concentrés à 80 % sur les États-Unis, ajoute M. Robertson.

"Vrai, les Chinois pourraient vouloir nos ressources et certaines de nos technologies [en transport d'électricité par exemple], mais pour le reste, la plupart de nos entreprises sont trop petites pour répondre à leurs besoins. Et elles ne sont pas assez visibles", dit M. Robertson.

Par contre, dit Louis Duhamel, le Canada est une cible parce qu'il est plus ouvert que les États-Unis aux investissements chinois. Selon lui, "on n'a encore rien vu".

Mais pour que des investissements chinois importants se concrétisent ici, il faudra que le gouvernement canadien "clarifie" ses critères face aux investissements étrangers, affirme de son côté Kenny Zhang, l'auteur du rapport de la Fondation Asie-Pacifique.

Au printemps dernier, la réglementation a été modifiée. On y a ajouté un critère de sécurité nationale, sans toutefois l'expliquer.

Préciser la stratégie canadienne

Loïc Tassé, chargé de cours au Département de science politique de l'Université de Montréal et expert sur la Chine, croit que le Canada n'a pas de stratégie claire face à ce pays.

"En Chine, l'État a développé un plan de compétition internationale pour ses entreprises, dit-il. Ici, au Canada, on procède au cas par cas, déplore-t-il. Mais il faut réaliser qu'avec la montée de la Chine, les règles du jeu sont en train de changer. La puissance montante est interventionniste et, qu'on le veuille ou non, ça fonctionne. Peut-être qu'on devrait l'être davantage, nous aussi."

Selon Louis Duhamel, il faut se demander si les entreprises d'ici qui signent des ententes avec la Chine, dans le but de ne pas "manquer le bateau", n'hypothèquent pas leur avenir. "À court terme, cela paraît bien de brasser des affaires avec ce dernier grand marché qui s'ouvre. Mais évalue-t-on vraiment les tenants et les aboutissants - et les impacts que cela pourrait avoir dans 20 ans ? Que donne-t-on et va-t-on le regretter plus tard ?" M. Duhamel pose la question, mais il n'a pas la réponse.

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