2016 en Bourse : des spécialistes se prononcent


Édition du 12 Décembre 2015

2016 en Bourse : des spécialistes se prononcent


Édition du 12 Décembre 2015

Comparativement au feu d'artifice qui a suivi la crise de 2008-2009, l'année boursière nord-américaine qui s'achève a été plutôt terne. À moins d'un revirement, l'indice principal de Toronto pourrait finir en territoire négatif, plombé par l'effondrement des prix du pétrole, des métaux de base et par une économie canadienne chancelante. Les États-Unis ont mieux performé, mais le S&P 500 commence à montrer des signes d'essoufflement, à l'aube d'un resserrement de la politique monétaire. Ailleurs, l'Europe se redresse après la crise de la dette souveraine. Mais de l'autre côté de la planète, la Chine peine à passer d'une économie d'exportation à une économie de consommation. Que nous réserve donc 2016 ? Nous avons demandé à quelques spécialistes de jouer les augures.

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Luc Vallée, Stratège en chef, Valeurs mobilières Banque Laurentienne

Cibles des principaux indices à la fin de 2016 :

S&P 500 américain : 2 300 points

S&P/TSX canadien : 15 500 points

Répartition :

Plus : financières, consommation et technologies de l'information au Canada ; même chose aux États-Unis, plus les pharmaceutiques

Moins : métaux et pétrole, pays émergents producteurs de ressources

Après une année 2015 relativement difficile à cause de la chute des prix du pétrole et des métaux, le Canada devrait renouer avec une croissance modérée de son économie l'an prochain. Selon Luc Vallée, elle devrait se situer à environ 2 % par rapport à 1,2 % cette année. «Ce taux de 2 % est souvent considéré comme faible, mais c'est le nouveau 3 % auquel on devra s'habituer, en raison de la baisse de la demande pour les matières premières et du vieillissement de la population.»

Le redressement l'an prochain sera notamment attribuable à la faiblesse du dollar canadien, qui devrait se maintenir autour des 75 cents américains, un montant qui aide les entreprises exportatrices. De plus, pense le stratège de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, il n'est pas impossible que le prix de l'or noir se remette à grimper modestement dans la seconde moitié de l'année, ce qui améliorerait la profitabilité de nombreuses pétrolières canadiennes qui ont sabré leurs dépenses et mis en veilleuse des projets de développement.

Du côté américain, M. Vallée s'attend à ce que l'élan des dernières années se maintienne, avec une hausse du PIB de 2,6 % apparentée à celle de 2,5 % cette année. N'eut été de la vigueur du billet vert américain, la croissance aurait atteint les 3 %, selon lui. D'ailleurs, il croit que la force du billet vert incitera la Réserve fédérale (Fed) à modérer les augmentations de taux d'intérêt. Il prévoit que la Fed ne haussera son taux directeur qu'à deux reprises en 2016, pour le porter à près de 0,75 % à 1 % à la fin de l'année. La Banque du Canada ne devrait pas bouger, attendant que l'économie du pays montre de réels signes d'amélioration.

Quel impact ces prévisions auront-elles sur les marchés boursiers ? M. Vallée anticipe une bonne performance aux États-Unis. Au Canada, la progression du principal indice de la Bourse de Toronto pourrait être intéressante, étant donné qu'on a déjà intégré une grande partie des dégâts du côté du pétrole et des métaux, ainsi que la déroute de la pharmaceutique Valeant.

Au sud de la frontière, il estime que les titres financiers, de consommation courante ainsi que les sociétés industrielles recèlent un bon potentiel. Il ajoute que les pharmaceutiques, qui ont subi une correction au cours de 2015, constituent aussi de bons choix. Au Canada, il «ne voit pas de lumière au bout du tunnel» pour les prix des métaux. Les minières sont à éviter, tout comme les pétrolières, à moins qu'on assiste à un rebond des prix. «Comme le ménage est déjà fait, si le prix du pétrole remonte et que le huard reste autour des 75 cents américains, les pétrolières pourraient bien faire.» Ici, il privilégie aussi les banques, les compagnies d'assurance et les fiducies immobilières qui distribuent toutes d'intéressants dividendes.

Enfin, du côté des pays émergents, il reste sur ses gardes au sujet de la Chine, négatif à l'égard de pays producteurs de ressources, dont la Russie et le Brésil. Il trouve cependant intéressant un pays comme l'Inde, en croissance rapide, qui profite de la baisse du prix du pétrole.

Michel Doucet, Vice-président et gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins 

Jean-René Ouellet, Gestionnaire de portefeuille, Valeurs mobilières Desjardins

Cibles des principaux indices à la fin de 2016 :

S&P 500 américain : 2 100 points

S&P/TSX canadien : 13 760 points

Répartition :

Plus : Europe et Japon, actions de banques, assurances, télécoms au Canada, équipementiers technos américains

Moins : minières, pétrolières, pays émergents, obligations de pacotille

Michel Doucet ne se montre pas enthousiaste à l'égard de l'économie en 2016. «La croissance sera correcte, sans beaucoup d'entrain ni excès de performance», prévoit-il. Au Canada, le produit intérieur brut avancerait de seulement 1,5 % à 2 %, en raison du vieillissement de la population et d'une faible productivité. Les États-Unis maintiendront leur élan, avec une hausse du PIB de 2,2 % à 2,8 %, tandis que des pays émergents connaîtront une meilleure année et aideront à accélérer la croissance mondiale au-delà des 3 %.

Il s'attend à ce que la Réserve fédérale américaine augmente son taux directeur (qui représente à peine plus de 0 % actuellement) à sa réunion du 16 décembre. D'autres hausses le porteraient à 1 % ou 1,25 % à la fin de 2016. La Banque du Canada maintiendra vraisemblablement le statu quo (0,50 %), mais une baisse de 0,25 % pour soulager des ménages canadiens très endettés n'est pas à écarter. La remontée des taux américains mettra à risque le marché obligataire. Il suggère aux investisseurs de miser sur des titres de qualité (fédéral, provincial, municipal) de 3 à 5 ans et d'éviter les obligations de pacotille.

La faiblesse de la croissance mondiale continuera de peser sur le prix des matières premières. M. Doucet ne croit guère à un rebond marqué du prix du baril de pétrole, qu'il voit se promener dans une fourchette allant de 35 $ à 55 $ US. «La demande mondiale ne croît pas beaucoup, et des pays comme l'Iran recommenceront à exporter. De plus, dès que le prix se rapprochera des 50 $ US, on assistera à une reprise des forages du pétrole de schiste aux États-Unis. Les ingénieurs américains sont très inventifs pour réduire les coûts de production», soumet-il.

Rien de bon donc pour la Bourse de Toronto, qui ferait pratiquement du surplace en 2016. Selon Jean-René Ouellet, «on n'a pas encore frappé le creux des bénéfices» en ce qui concerne les producteurs de pétrole. Ils se sont maintenus en 2015 grâce aux contrats à terme conclus il y a un an, assurant des ventes à 80 $ US le baril. Mais ce n'est plus le cas maintenant. L'avenir s'annonce difficile aussi pour les minières en raison du ralentissement en Chine, leur principal acheteur.

Dans ce contexte, M. Ouellet favorise les banques, les assureurs et les télécoms au Canada, des entreprises qui versent de bons dividendes dans un contexte de faibles taux d'intérêt. Aux États-Unis, la Bourse est un peu chère, et le resserrement de la politique monétaire générera de la volatilité, croit M. Doucet. Il suggère aux investisseurs d'augmenter leur encaisse et d'attendre les corrections avant d'acheter des titres américains. Les financières et les technos, surtout les fabricants d'équipements, sont à privilégier.

Enfin, dans le reste du monde, M. Doucet favorise l'Europe et le Japon, qui sont dans une phase de redressement. Mieux vaut éviter les pays émergents, comme la Chine, le Brésil et la Russie, où le risque n'en vaut pas la chandelle.

Martin Roberge, Stratège et analyste quantitatif, Canaccord Genuity

Cibles des principaux indices à la fin de 2016 :

S&P 500 américain : 2 100 à 2 200 points

S&P/TSX canadien : 14 500 à 15 000 points

Répartition :

Plus : actions canadiennes, notamment les aurifères et les assureurs vie, les pétrolières américaines et les obligations de pays émergents

Moins : pipelines, télécommunications et consommation de base au Canada

Martin Roberge s'attend à ce que l'économie américaine maintienne son rythme de croisière des récentes années : la consommation est en hausse, le prix du pétrole est bas, la croissance de l'emploi est «correcte» et les salaires sont à la hausse. La Réserve fédérale augmentera son taux directeur. Si elle laisse entendre qu'il pourrait grimper à quatre reprises (de 1 %), le marché obligataire , qui n'entrevoit que 0,50 %, ne partage pas ce scénario. «Habituellement, ce dernier a raison», rappelle-t-il. Le billet vert est fort et «fait le travail pour la Fed» en agissant comme un frein sur l'économie, en particulier pour les entreprises qui exportent. Afin de briser ce cercle vicieux, M. Roberge pense que les attentes concernant les hausses de taux seront abaissées, ce qui aiderait le dollar canadien et les devises des pays émergents à se redresser.

Cela dit, le thème de 2016 sera la hausse des attentes inflationnistes, selon le stratège de Canaccord. L'inflation totale aux États-Unis est faible à cause du pétrole. Mais en janvier, on reviendra au moment où le baril touchait un premier creux de 45 $ US. L'analyste prévoit un retour à l'équilibre entre l'offre et la demande de pétrole en 2016, ce qui permettrait au baril de revenir vers les 55 $ à 65 $ US à la fin de l'année.

Résultat : le marché boursier canadien devrait mieux performer que l'américain en 2016. «S'il y a hausse des taux aux États-Unis et que le billet vert demeure fort, le marché boursier américain sera paresseux», prévoit-il. Mais la Bourse de Toronto devrait «surperformer».

D'abord en raison du poids des titres énergétiques, si le prix du pétrole est en ascension. En 2015, les investisseurs étrangers ont délaissé les actions canadiennes, à cause du pétrole mais aussi de la baisse du huard. Si ce dernier reprend de la vigueur, «cela pourrait les attirer», aider les titres du secteur énergétique et contribuer à un redressement de Toronto. De plus, M. Roberge s'attend à un rebond des producteurs d'or, nombreux au Canada et malmenés ces dernières années. «Historiquement, lorsque les attentes inflationnistes augmentent et qu'on craint une surchauffe, le secteur aurifère fait bien.»

Par contre, il éviterait les pipelines et les télécoms canadiens. Ceux-ci affichent une bonne performance lorsque les taux d'intérêt baissent, étant donné leurs dividendes élevés. Mais l'inverse est aussi vrai lorsque les taux et l'inflation augmentent.

S'il croit que le secteur pétrolier performera bien, il privilégie toutefois les producteurs américains. «Ici, les sociétés intégrées comme Suncor ont somme toute bien fait. Mais il y aura plus d'argent à faire avec les compagnies qui font de l'exploration aux États-Unis», pense-t-il. La valorisation de ces dernières est à un creux.

Enfin, du côté des pays émergents, Martin Roberge privilégie les titres de dette aux actions. Leurs banques centrales ont maintenu les taux trop élevés par rapport à l'inflation, et elles ont commencé à les réduire. Les taux longs reculent, ce qui rend plus attrayantes leurs obligations, alors qu'ici, c'est l'inverse. «Dans les obligations, j'achèterais les pays émergents», conclut-il.

Clément Gignac, Vice-président principal et économiste en chef, Industrielle Alliance

Cibles des principaux indices à la fin de 2016 :

S&P 500 américain : 2 200 points

S&P/TSX canadien : 15 000 points

Répartition :

Plus : actions canadiennes, banques et pétrolières pour le long terme, de même que les banques et technos américaines

Moins : obligations et pays émergents de ressources, comme la Russie et le Brésil

Alors que la croissance au Canada restera modeste, celle des États-Unis devrait maintenir son «momentum» en 2016. «Ils ne sont pas très avancés dans leur cycle économique», fait valoir Clément Gignac. Il a fallu quatre années aux Américains pour se remettre de la récession de 2008-2009. «Ils n'en seront qu'à leur troisième année d'expansion», dit-il. L'austérité budgétaire est du passé, les hausses salariales s'accélèrent, le taux de chômage diminue : les conditions sont réunies pour que la croissance du PIB soit d'environ 2,9 %. La Réserve fédérale relèverait son taux directeur à quatre reprises, en plus du premier tour de vis anticipé le 16 décembre.

Au Canada, en raison de la plus faible productivité, la croissance ne sera que de 2 %, ce qui sera tout de même mieux que le 1,2 % prévu en 2015. «La baisse du dollar canadien commencera à jouer. De plus, le nouveau gouvernement [Trudeau] a des politiques plus expansionnistes.» L'économiste n'escompte pas de hausse du taux directeur au Canada.

Ce contexte sera défavorable aux obligations. Même si la Banque du Canada ne bouge pas, la «normalisation» des taux aux États-Unis aura un impact haussier sur ceux à long terme au Canada. «Les obligations fédérales de 10 ans sont à 1,6 % au Canada et à 2,2 % aux États-Unis. C'est très rare qu'on est en dessous.» Une hausse des taux long terme au Canada fera baisser la valeur des obligations et réduira le rendement total.

M. Gignac privilégie donc les actions, surtout canadiennes. Pourquoi ? Parce qu'il prévoit un retour à l'équilibre du marché du pétrole. Des projets ont été abandonnés dans les sables bitumineux tandis qu'aux États-Unis, la production de pétrole de schiste décline depuis la chute des prix. L'offre diminue donc, alors que la demande devrait augmenter en 2016. Il pense que le brut de référence, le West Texas Intermediate, pourrait se négocier à près de 55 à 60 $ US le baril à la fin de l'an prochain. Lorsqu'elles sont envisagées sous l'angle de leur valeur comptable, les actions des pétrolières canadiennes sont revenues au creux de 2008. «Pour quelqu'un qui a un horizon de trois mois, je serais prudent ; mais si cet horizon est de deux ou trois ans, je favoriserais les pétrolières.» Il ajoute les banques canadiennes qui bénéficieront d'une amélioration de la santé financière des pétrolières. «Les deux secteurs pèsent lourd à la Bourse de Toronto», secteurs dont il voit l'indice monter vers les 15 000 points.

Aux États-Unis, à 15 ou 16 fois les bénéfices à venir, le S&P 500 n'a pas une valorisation «déraisonnable». Chez nos voisins, il privilégie les banques qui gagneraient à connaître une remontée des taux d'intérêt. Les grandes firmes technos sans dettes aussi, car elles sont immunisées contre les hausses de taux.

Enfin, il ne s'attend qu'à une progression modeste (1 %) de l'économie européenne. Du côté des pays émergents, il préfère l'Inde, dont la croissance dépassera celle de la Chine. Il conseille d'éviter les pays producteurs de ressources, comme la Russie et le Brésil.

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