EXPERT INVITÉ. Rarement (jamais), une baisse des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed) était autant attendue par le consensus. La question qui se posait cependant concernait la taille de cette baisse. Fallait-il espérer une baisse de 25 points de base dovish (colombe) ou une baisse de 50 points de base hawkish (faucon)? La réponse n’était pas aussi évidente que cela. Synthèse et analyse.
Les faits
La Réserve fédérale a réduit la fourchette cible du taux des fonds fédéraux de 50 points de base à 4,75%-5%, ce qui constitue la première réduction des coûts d’emprunt depuis mars 2020. C’est une surprise, car 105 des 114 économistes interrogés anticipaient une baisse de 25 points de base…
Bien que la décision de réduire les taux ait été anticipée, les spéculations allaient bon train quant à savoir si la banque centrale opterait plutôt pour une réduction plus conservatrice de 25 points de base.
La banque centrale a également publié de nouvelles prévisions économiques.
Le Comité fédéral de l’open market (FOMC) a décidé, par 11 voix contre 1, d’abaisser le taux d’intérêt de référence.
Le gouverneur de la Fed, Miki Bowman, a exprimé son désaccord, plaidant pour une réduction plus faible de 25 points de base, ce qui constitue la première dissidence d’un gouverneur depuis 2005.
Dans sa déclaration, le comité a souligné son engagement ferme à soutenir l’emploi maximal, parallèlement à son objectif de ramener l’inflation à 2%.
Le communiqué souligne également qu’en envisageant d’autres ajustements de taux, les responsables évalueront attentivement les données entrantes, l’évolution des perspectives économiques et les risques.
En outre, la Fed a reconnu que les créations d’emplois ont ralenti et que l’inflation a progressé vers l’objectif de 2%, mais qu’elle reste quelque peu élevée.
On constate que la focalisation est maintenant clairement sur le marché de l’emploi.
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Quelles sont les prévisions économiques?
Selon les dot plots, les décideurs politiques prévoient un assouplissement de 100 points de base d’ici la fin de l’année, ce qui laisse présager deux nouvelles baisses de 25 points de base cette année.
Les nuages de points comme on dit en français ont chuté pour répondre aux attentes du marché, le point médian de 2024 étant ramené de 5,125% à 4,375%, celui de 2025 de 4,125% à 3,375% et celui de 2026 de 3,125% à 2,875%…
Neuf des 19 fonctionnaires ont prévu des réductions de 75 points de base ou moins…
Pour 2025, une réduction supplémentaire d’un point de pourcentage est attendue, suivie d’une dernière réduction de 50 points de base en 2026.
Par ailleurs, l’inflation PCE a été revue à la baisse pour 2024 à 2,3% (contre 2,6% dans les projections de juin) et pour 2025 à 2,1% (contre 2,3%).
L’inflation de base est également revue à la baisse à 2,6% pour 2024 (contre 2,8%) et à 2,2% pour 2025 (contre 2,3%).
La croissance du PIB est légèrement inférieure à 2% (contre 2,1%), mais les prévisions pour 2025 ont été maintenues à 2%.
Enfin, le taux de chômage devrait augmenter cette année (4,4% contre 4%) et l’année prochaine (4,4% contre 4,2%).
Pourquoi fallait-il baisser les taux?
Si tout le monde s’attendait à une baisse des taux de la Fed hier soir, personne ne posait réellement la question de savoir si c’était justifié… Et la réponse est oui pour 3 raisons spécifiques :
- Une stimulation économique : Une réduction plus importante des taux permettrait de soulager plus rapidement les secteurs les plus touchés par la politique monétaire restrictive, tels que le logement résidentiel et l’immobilier commercial dont on a tant parlé. Cela faciliterait le refinancement des prêts, réduisant ainsi le risque d’instabilité financière dans ce secteur. En outre, une augmentation des mises en chantier contribuerait à soutenir l’industrie manufacturière, qui connaît un ralentissement, tandis qu’une hausse des ventes de logements existants profiterait aux secteurs de la vente au détail liés au logement.
- Renforcer la confiance : la baisse des taux d’intérêt pourrait contribuer à améliorer la confiance des consommateurs et des entreprises, ce qui est primordial pour l’économie américaine
- Impact sur le marché du travail : Le retour de la confiance et la stimulation économique devraient entraîner une augmentation des offres d’emploi et des embauches. Une politique monétaire plus accommodante pourrait augmenter les offres d’emploi et contribuer à stabiliser le taux de chômage.
En résumé, la baisse des taux d’intérêt était nécessaire. La question est de savoir s’il fallait effectivement baisser les taux agressivement de 50 points de base…
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Comment se passe le «soft landing»?
Vous n’êtes pas sans savoir que la Réserve fédérale américaine s’attend à un «soft landing» de l’économie américaine. Pour mémoire, l’expression «soft landing» ou atterrissage en douceur a commencé à être couramment utilisé pendant le mandat d’Alan Greenspan.
Ce dernier, en tant que président de la Fed, a permis à l’économie américaine de réussir un atterrissage en douceur au milieu des années 90. On parle de soft landing lorsque l’économie d’un pays connaît une phase de croissance ralentie (avec une inflation maîtrisée), sans entrer en récession.
En nous référant aux données hebdomadaires reprises par Apollo, voici le constat que l’on fait aujourd’hui de l’économie américaine :
- Le taux de chômage a baissé en août et, si l’on considère l’enquête auprès des établissements et l’enquête auprès des ménages, il est difficile de voir des signes forts de ralentissement de la création d’emplois.
- La croissance des salaires s’est accélérée pour atteindre 3,8% en août et la croissance des salaires reste stable, bien au-dessus des niveaux d’avant la pandémie.
- Les données quotidiennes sur les transactions par carte de débit montrent que les dépenses de consommation se sont accélérées ces dernières semaines, tirées par les dépenses d’habillement, les services de restauration et les débits de boisson, les articles de sport et les concessionnaires de véhicules à moteur et de pièces détachées.
- Les données hebdomadaires des ventes au détail ont augmenté la semaine dernière et restent solides.
- Les demandes d’allocations chômage sont en baisse depuis plusieurs semaines.
- Les taux de défaillance et les dépôts de bilan hebdomadaires sont orientés à la baisse.
- Les données hebdomadaires sur les marges bénéficiaires à terme du S&P 500 montrent que les marges bénéficiaires sont proches des niveaux les plus élevés jamais atteints.
- Le cours des actions des sociétés de recrutement est en train de rebondir, ce qui suggère que nous pourrions avoir un rebond des ouvertures de postes
Bref, il n’y a aujourd’hui aucune récession à court terme, ce qui pourrait indiquer que nous sommes effectivement en situation de soft landing…
Quelles réactions de marché à attendre?
Après la première baisse de taux depuis 2020, se pose maintenant de la question de savoir comment vont réagir les marchés ces prochains mois.
Si nous sommes tout à fait d’accord pour affirmer que toutes les situations sont différentes et qu’il est très difficile de faire une «moyenne» des réactions lors des anciennes baisses de taux aux États-Unis, on peut cependant mettre en avant 2 scénarii. Le premier scénario est une baisse de taux dans une situation de récession et le deuxième scénario est une baisse de taux dans une situation de croissance et d’inflation «maîtrisée» (le mot est peut-être un peu trop fort).
Aujourd’hui nous nous situons dans le 2e scénario.
Dans le graphique ci-dessous, vous constatez que la réaction du S&P 500 est différente dans les 2 scénarii (baisse dans le scénario 1 et hausse dans le scénario 2).
Si on se focalise maintenant seulement sur la période de non-récession (scénario 2) on constate que le S&P 500 est en hausse 12 mois après la première baisse de taux, mais surtout 24 mois après.
Enfin, en ayant une réflexion un peu plus «philosophique», on peut dire que, quel que soit l’avenir de la baisse des taux, en définitive, sur le moyen/long terme, le S&P 500 n’a qu’un sens…
Synthèse
La baisse des marchés à l’annonce d’une baisse des taux de 50 points de base peut paraître surprenante. Cependant le mouvement de la Fed laisse de nombreuses questions en suspens et notamment : La Fed craint-elle une récession imminente, ou encore la Fed tente-t-elle de rattraper son retard sur les autres banques centrales? Rappelons, si besoin est, que les baisses de taux ont historiquement un effet positif plus important sur les marchés financiers et plus rapides lorsqu’elles ne sont pas suivies d’une récession, et les baisses «douces» et progressives sont généralement plus avantageuses pour les actions que les baisses rapides.