Que penser d'un investissement dans le pétrole ?


Édition du 22 Avril 2017

Que penser d'un investissement dans le pétrole ?


Édition du 22 Avril 2017

Par Tahar Mansour

Expert invité : Tahar ­Mansour est économiste, ­Ph.D., et chargé de cours à l’Université du ­Québec à ­Trois-Rivières. Cet article reflète ses opinions personnelles et ne constitue pas un conseil financier. Le lecteur doit consulter son propre conseiller.

Lorsqu'on parle de pétrole, on parle de demande de pétrole, de croissance économique, de crises économiques, d'offre de pétrole, de politique, de guerres, de réserves stratégiques de pétrole, de spéculation, de manipulations de prix, et j'en passe. En voici des exemples :

1- La demande mondiale de pétrole augmente, mais le prix du baril chute au NYMEX. La raison : l'offre augmente en raison de la reprise de l'extraction de pétrole de schiste. (2016-2017)

2- Le prix du baril de pétrole rebondit à la suite de la cessation des activités d'un port libyen à cause des hostilités entre belligérants dans la région. (2017)

3- Le Nigéria triche quant à son quota de production de pétrole. L'Arabie Saoudite rétorque publiquement qu'il faut tricher ensemble et ouvre les valves. Résultat : le prix du baril s'effondre. (1984-1985)

4- La Russie (pays non-membre de l'OPEP) s'entend avec l'OPEP pour diminuer sa production de 400 000 barils/jour afin de soutenir le prix du brut. (2016)

5- Malgré la crise financière, le pétrole est encore à 150 $ US le baril. (2008)

Ce n'est pas tout. Ce n'est qu'une infime partie de ce qui peut se passer.

Avouez qu'il y a de quoi en perdre son latin. Il faut avoir la tête et les yeux partout dans le monde (24 h sur 24 h) pour comprendre quelque chose au prix du brut.

Faut-il investir une partie de son portefeuille dans le pétrole ? Ça dépend de chacun, mais je serais porté à dire que oui.

Le pourquoi est présenté ci-dessous, mais d'abord un mot sur la façon de faire.

L'approche risquée et difficile

Achetez des contrats à terme sur le pétrole.

Un contrat à terme est une entente contraignante entre deux parties (acheteur et vendeur). Ce contrat est à terme dans la mesure où il stipule que les deux parties s'engagent à négocier dans un avenir prédéterminé (à terme) une quantité donnée d'un bien, à un prix fixé aujourd'hui. Ce contrat est contraignant dans la mesure où il exige la livraison. Par exemple, le prix du brut que vous voyez à la télévision ou dans les journaux est le prix pour livraison dans un mois, contrairement au prix SPOT (au comptant) qu'on ne voit que rarement. Ainsi, si vous pensez que le prix du brut va augmenter, disons à 60 $ US, vous n'avez qu'à acheter un contrat à terme sur ce produit pour livraison dans 3 mois. Si vous avez raison et que le prix monte à 55 $ US (il est à environ 50 $ US aujourd'hui), vous n'aurez qu'à vendre votre contrat et réaliserez un profit de 5 $ US multiplié par la quantité standard sous-jacente. Si vous vous trompez et que le prix baisse, vous n'aurez qu'à vendre votre contrat et accepter la perte.

Le danger avec les contrats à terme, c'est que le temps joue contre vous. Les contrats standards ne durent guère plus que 2 ans. Si jamais vous oubliez votre contrat et que l'échéance arrive, vous devez (c'est une obligation) soit livrer le produit, soit accepter la livraison. Ce n'est pas un cadeau, ni financièrement, ni physiquement. Le temps devient votre ennemi.

Ces contrats ne coûtent pratiquement rien à négocier, mais exigent une marge substantielle (et par conséquent, une mise de fonds dans votre compte chez le courtier). D'autre part, votre courtier doit avoir les permis nécessaires pour négocier des contrats à terme (ce qui n'est pas évident).

Une solution plus simple et moins risquée

L'autre solution est d'acheter des actions d'une pétrolière solide. Il y en a quelques-unes dans le monde. Mon choix s'est arrêté sur British Petroleum (BP, 34,99 $ US). Malgré l'accident de Deep Water Horizon au large de la Louisiane, en 2010, quelque 40 G$ US plus tard, BP reste une entreprise solide. L'action se négocie à 1,15 fois la valeur aux livres, 1,72 fois les ventes par action. La valeur de l'entreprise n'est pendant ce temps que de 0,79 fois les revenus (180 G$ US). Par contre, le rendement de l'avoir des actionnaires est faible (0,18 %), et le rendement du dividende est plutôt mince (1,18 %). Ces deux derniers chiffres, ainsi que le cours de l'action (environ 35 $ US), reflètent d'une part la faiblesse du prix du pétrole et d'autre part, l'accident de 2010 et ses conséquences judiciaires. En dépit de ces obstacles, BP affiche un coussin financier de quelque 23,5 G$ US et un fonds de roulement de 10,6 G$ US. C'est une entreprise parfaitement intégrée verticalement et diversifiée géographiquement (présente dans 52 pays) pour minimiser le risque politique. Avec une reprise de la demande mondiale de pétrole (surtout en provenance des économies émergentes) et un assainissement du climat mondial, cette entreprise relèvera régulièrement son dividende et améliorera ses résultats. Comparée à un concurrent aussi coriace que Exxon Mobile (XOM, 81,69 $ US), qui a eu son lot de malchances, en particulier avec l'accident de l'Exxon Valdez, BP semble aussi solide, résiliente et surtout moins chère.

Un petit hic, mais voici pourquoi il est petit

Évidemment, certains se demanderont s'il n'y a pas un risque pour les prix pétroliers à long terme en raison de l'augmentation de l'offre en provenance des schistes. Si l'offre augmente chaque fois que les prix grimpent, ceux-ci risquent de ne pas monter très fortement.

Vraiment, ce n'est pas évident. Mais on peut apporter quelques éléments de réponse. Dans un article publié le 12 mai 2015 dans le magazine Investopedia, Andrew Beattie nous cite quelques chiffres intéressants : en Arabie Saoudite, au Moyen-Orient en général, et en Afrique du Nord, le coût de production d'un baril de pétrole est en deçà de 10 $ US. Le pétrole de la mer du Nord et d'Hibernia ainsi que celui des sables bitumineux flirtent avec les 70 $ US. Quant au pétrole de schiste, son coût le moins élevé a été observé au Texas, à 40 $ US. Ailleurs, ce coût se situe entre 50 et 70 $ US. Il peut aussi aller jusqu'à 90 $ US le baril. On notera qu'une bonne partie de l'offre supplémentaire à venir semble devoir être à un coût supérieur aux prix actuels.

Considérons maintenant que les puits de pétrole de schiste ont des réserves peu importantes et que leur exploitation est une question de court terme et non stratégique. Le fin mot de l'histoire est que le pétrole de schiste peut perturber l'offre de brut à court terme, mais certainement pas à long terme. La plupart des experts en pétrole s'entendent en fait pour dire qu'à l'horizon 2022-23 (ce qui n'est pas loin), l'offre de pétrole ne sera pas suffisante puisque les grands producteurs ont délaissé temporairement les grands projets porteurs. Y aurait-il un danger en vue pour les membres de l'OPEP, la Russie, le Kazakhstan et d'autres grands producteurs ? La réponse est définitivement NON à plus ou moins long terme.

À la une

Budget fédéral 2024: l'art de se tirer dans le pied

EXPERT INVITÉ. Le gouvernement de Justin Trudeau «s’autopeluredebananise» avec son «budget mémorable».

Gain en capital: pas une surprise

EXPERT INVITÉ. «Combien d’impôt ça va vous coûter de plus?»

L'industrie technologique mécontente des mesures sur les gains en capital

Mis à jour à 17:22 | La Presse Canadienne

L'industrie technologique est mécontente des mesures sur les gains en capital.