Les banques placent leurs pions à l'international

Publié le 09/04/2010 à 15:00

Les banques placent leurs pions à l'international

Publié le 09/04/2010 à 15:00

Par Marie-Claude Morin

Photo : Bloomberg

Elles sont à coup sûr dans votre portefeuille. Elles ont pignon sur rue près de votre bureau, de votre maison. Mais où sont les banques canadiennes à l'extérieur de nos frontières ? Profiteront-elles des déboires des banques étrangères pour réaliser des transactions d'envergure prochainement ?

C'est ce que nous avons demandé à des dirigeants des grandes banques canadiennes ainsi qu'à cinq gestionnaires de portefeuille. Voici leur verdict : Patience, prudence et petits pas.

Plusieurs atouts

Ce n'est pas pour rien qu'il y a des rumeurs d'acquisitions à l'étranger : de nombreux facteurs jouent en faveur des banques canadiennes. Citées comme des modèles en termes de capitalisation depuis la crise financière, elles jouissent d'une réputation solide, d'un taux de change avantageux et de cours boursiers favorables. Des atouts non négligeables, quand on sait que les occasions se concentreront probablement aux États-Unis (donc libellées en dollar américain), et que le Bureau du surintendant des institutions financières encourage les banques à préserver leur capital et à ne pas l'allouer à des acquisitions, ce qui favorise l'échange d'actions comme mode de paiement.

Qu'y gagneraient les banques d'ici ? Un meilleur rayonnement dans leurs marchés et des économies d'échelle, ce qui augmenterait la rentabilité de leurs activités à l'étranger. Sans compter que le potentiel de croissance est plus élevé aux États-Unis et dans les pays émergents qu'au Canada.

Prudence et petits pas

Tant les dirigeants des banques que les experts s'attendent à ce que les institutions bancaires canadiennes utilisent prudemment leur capital et limitent le nombre et la taille de leurs acquisitions d'ici la signature de l'accord de Bâle III, prévue d'ici la fin de l'année.

Piloté par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire, cet accord exigera que les banques du monde aient des réserves de capital plus importantes et de meilleure qualité. Les négociations portent sur des propositions multiples et impliquent une trentaine de pays, ce qui fait traîner les discussions en longueur.

Pour le moment, les banques canadiennes ignorent si leur capitalisation est réellement suffisante. De plus, l'incertitude complique l'évaluation des cibles d'acquisition potentielles. " Les banques attendront les nouvelles règles avant de bouger, croit Martin Hubbes, gestionnaire aux Fonds AGF. En espérant que ces règles soient connues avant que le système financier américain ne se rétablisse. "

Une fois les exigences de Bâle III connues, les institutions financières canadiennes auront les coudées plus franches. Elles demeureront toutefois prudentes et se contenteront de petites bouchées, estiment les experts. C'est que l'expansion hors Canada n'est pas sans risques, surtout aux États-Unis, le principal marché de convoitise de nos banques. Actifs

difficiles à évaluer dans le contexte actuel, marché très concurrentiel, réglementation complexe, culture différente : les banques canadiennes ne veulent surtout pas plomber leurs bons résultats en faisant preuve de témérité. La CIBC, par exemple, a été échaudée par son incursion aux États-Unis et les pertes essuyées pendant la crise (1,5 milliard de dollars à son premier trimestre de 2008).

Tous les gestionnaires saluent l'attitude circonspecte des banques. " Nous ne verrons pas d'acquisitions assez importantes pour transformer les banques canadiennes dans un proche avenir ", estime Bruce Kent, gestionnaire de portefeuilles chez RBC Dominion valeurs mobilières.

Pas d'incursion dans de nouveaux marchés en vue

Vraisemblablement, la Banque Royale, la Banque TD et BMO Banque de Montréal concentreront leurs efforts sur le marché américain, où elles sont déjà présentes, alors que la Scotia poursuivra son développement dans les marchés émergents.

" Il vaut mieux prendre racine dans un marché puis y croître, ce qui dégage des économies d'échelle ", affirme François Landry, premier vice-président et chef des placements au Fonds des professionnels.

Les autres banques canadiennes ne prévoient pas se lancer à l'assaut des marchés internationaux. Gerald McCaughey, pdg de la Banque CIBC, réaffi rmait récemment la volonté de son institution de concentrer ses énergies sur le marché intérieur afin de passer de la cinquième à la troisième position.

Du côté de la Banque Nationale, on opte pour l'accompagnement des clients canadiens, au moyen de succursales en Floride ou de bureaux de valeurs mobilières à l'étranger.

Pour sa part, la Banque Laurentienne n'est pas présente à l'étranger et n'a pas de plans en ce sens, a indiqué une porte-parole.

Puisque chacune des banques privilégie une stratégie différente et réalise une proportion donnée de ses revenus à l'étranger, l'importance de la croissance internationale dans l'évaluation des titres varie selon les cas. ?

BANQUE DE MONTRÉAL

Harris prête à bouger dans le Midwest américain

Dans le giron de la Banque de Montréal depuis 1987, Harris reste un petit acteur aux États-Unis dans le secteur du détail et la gestion privée. L'institution saura-t-elle profiter des difficultés de ses concurrentes pour remédier à la situation ?

La direction compte à tout le moins accroître sa part de marché dans le Midwest américain, surtout dans le secteur commercial. L'entreprise a plusieurs cibles potentielles et pourrait passer à l'action lorsque les règles de Bâle III seront connues, assure Jacques Ménard, président de BMO au Québec. " Nous effectuons de la sous-traitance administrative pour plusieurs petites banques, dont certaines ont une part de marché intéressante dans certaines villes ", précise M. Ménard.

" C'est un bon moment pour réaliser des acquisitions et BMO a vraiment besoin de faire croître sa plateforme Harris ", commente Martin Hubbes, gestionnaire aux Fonds AGF. À condition de bien comprendre les risques auxquels sont exposés les actifs qu'elle achètera, ajoute-t-il.

Plus sceptique, François Landry, du Fonds des professionnels, craint que BMO ne manque de moyens financiers et d'occasions d'achat intéressantes. " Elle réalisera de petites acquisitions, mais pas assez pour générer une croissance significative. "

280 succursales de la division Harris en Illinois, en Indiana et au Wisconsin

6 729 employés aux États-Unis

25,5 % des revenus réalisés aux États-Unis, 5 % ailleurs dans le monde

BANQUE SCOTIA

Une présence accrue dans les marchés émergents

Grâce à sa bonne feuille de route, la Banque Scotia peut poursuivre ses projets de croissance dans les marchés émergents, sans susciter l'inquiétude chez ses actionnaires.

La direction de la Scotia entend continuer de croître en Amérique latine et souhaite explorer le marché asiatique. Elle a d'ailleurs acquis, au début de mars, une participation dans la Siam City Bank par l'entremise de son partenaire taïlandais Thanachart Bank.

Cette transaction correspond au modèle d'acquisition de la troisième banque canadienne : prendre une participation minoritaire, apprendre, puis accroître sa présence dans un marché. " La stratégie progressive et les marchés diversifi és de la Scotia amenuisent le risque ", juge Martin Hubbes, gestionnaire aux Fonds AGF.

Située entre la première et la cinquième place dans ses marchés, la Scotia peut exercer un certain leadership et consolider l'industrie. " Les dirigeants de la Scotia sont très disciplinés : ils savent évaluer justement les cibles potentielles et décliner les occasions moins intéressantes ", apprécie Raquel Castiel, vice-présidente et directrice de la recherche chez Investissements Standard Life.

Plus de 1 500 succursales à l'extérieur de l'Amérique du Nord

7 % des revenus réalisés aux États-Unis, 9 % au Mexique et 36 % dans les Caraïbes, en Amérique latine et en Asie

BANQUE TD

De petites bouchées après un gros achat

Maintenant qu'elle a complété l'intégration de Commerce Bancorp, ce qui représentait une grosse bouchée, la Banque TD garde l'oeil sur de plus petites cibles d'acquisition aux États-Unis. Elle prévoit aussi y ouvrir une trentaine de succursales en 2010.

" La Banque TD est la plus controversée des banques canadiennes (en raison des 8,5 G$ US payés pour Commerce en 2007), mais elle est la mieux positionnée aux États-Unis ", dit Raquel Castiel, d'Investissements Standard Life. Le titre est d'autant plus attrayant que son évaluation attribue une valeur neutre ou négative aux activités américaines. Or, la TD devrait augmenter sa rentabilité, grâce à la qualité de son équipe de direction et au redressement de l'économie, dit Mme Castiel.

Priorité aux activités quotidiennes

Même si la direction confirmait récemment avoir tenté d'acquérir certaines banques américaines, elle ne vise rien d'aussi important que Commerce Bancorp. " Les équipes doivent se recentrer sur leurs activités quotidiennes après avoir donné la priorité à l'intégration de Commerce Bancorp ", dit Bernard Dorval, chef de groupe, assurance et développement international à la Banque TD.

" Notre plan d'affaires aux États-Unis repose sur la croissance interne, mais nous sommes toujours à l'affût d'occasions ", précise M. Dorval. Au menu : ouverture d'une trentaine de succursales, acquisitions dans le marché actuel ou dans les États limitrophes, et application des pratiques de service à la clientèle de Commerce Bancorp au Canada.

Des projets ailleurs qu'aux États-Unis dans le marché au détail ? Peu probable. " Il nous faudra plusieurs générations de dirigeants avant d'exploiter pleinement le potentiel de croissance aux États-Unis ", dit M. Dorval. " Je serais très surpris que la TD aille ailleurs qu'aux États-Unis ", commente pour sa part Norman Raschkowan, responsable en chef des placements chez Mackenzie.

L'institution ouvre bien quelques bureaux en Asie, mais dans le but d'accroître la présence de Valeurs Mobilières TD.

Près de 1100 succursales dans le nord-est des États-Unis et en Floride

Participation d'environ 45 % dans TD Ameritrade, un des plus importants courtiers en ligne américains

22 % des revenus réalisés aux États-Unis, 10 % ailleurs dans le monde

BANQUE ROYALE

Acquisitions en vue dans trois secteurs clés

La plus importante banque du Canada souhaite étendre ses tentacules dans les secteurs du marché des capitaux et de la gestion de patrimoine partout dans le monde, tout en renforçant son réseau bancaire aux États-Unis et dans les Caraïbes.

Pour que la Banque Royale (RBC) réussisse son aventure dans les services au détail aux États-Unis, sa division américaine, RBC Bank, doit gagner des parts de marché et réaliser des économies d'échelle, selon les experts. Cela pourrait passer par l'acquisition d'une petite banque régionale.

" La valeur marchande des banques a diminué beaucoup, mais elle chutera encore, puisque les banques régionales sont très exposées au crédit commercial, un secteur qui risque encore de souffrir ", dit François Landry, du Fonds des professionnels.

" Nous sommes clairement intéressés à réaliser des acquisitions à long terme [toujours dans le sud-est américain], mais nous nous concentrons à court terme sur l'amélioration des activités existantes ", dit Jim Westlake, chef de groupe, services bancaires internationaux et assurances, de RBC. Plombée par les pertes sur prêts, RBC Bank ne sera pas rentable avant 2011, prévient M. Westlake. La Banque Royale avait radié 1 G$ de la valeur comptable de RBC Bank en avril 2009.

Par ailleurs, la Banque Royale souhaite augmenter son empreinte dans les Caraïbes en entrant dans les pays hispanophones. Une fois cette étape franchie, l'institution pourrait s'attaquer aux pays voisins sur le continent.

Du potentiel dans la gestion de patrimoine

La gestion de patrimoine offre le potentiel de développement le plus prometteur à l'international, disent George Lewis, chef de groupe, gestion de patrimoine, et Jim Westlake. RBC souhaite se hisser dans le top 20 mondial de ce secteur aux marges juteuses, ce qui implique de passer de 245 à 500 G$ d'actif sous gestion.

Cette croissance requerra des acquisitions, admet M. Lewis. " Des institutions risquent de se défaire de certaines divisions afin de respecter les règles de Bâle III. "

Par ailleurs, la Royale espère entrer dans le top 10 du marché des capitaux aux États-Unis, en visant des clients dont le porte feuille atteint jusqu'à 10 milliards de dollars américains, soit cinq fois plus que ses clients actuels.

 

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