Le tuyau du voisin


Édition du 05 Mars 2016

Le tuyau du voisin


Édition du 05 Mars 2016

Par Richard Guay

Le tuyau du voisin, une mauvaise source d'information en matière de placement ? Ça dépend. La dernière édition du prestigieux Journal of Finance publie une étude qui affirme que les gestionnaires de portefeuille sont plus influencés qu'on ne le croyait par d'autres gestionnaires résidant dans leur voisinage1. Et que le phénomène est payant.

Des chercheurs des universités Cornell et de l'Indiana démontrent que les gestionnaires qui ont des résidences voisines construisent fréquemment des portefeuilles similaires. L'étude porte sur plus de 2 042 gestionnaires qui gèrent plus de 412 portefeuilles en gestion active.

Les chercheurs avancent que les gestionnaires partageant le même voisinage s'entraident par des discussions informelles sur leurs portefeuilles respectifs. La conséquence est une similitude entre les portefeuilles.

Ces similitudes se manifestent par des ressemblances entre les portefeuilles, qui sont cinq fois plus importantes que pour les autres gestionnaires qui ne demeurent pas à proximité. Les ressemblances augmentent encore plus si les gestionnaires sont de la même origine ethnique ou travaillent pour la même famille de fonds communs de placement.

Nous pourrions croire que les correspondances entre les portefeuilles sont liées à des préférences ou à un style de gestion plutôt qu'au fait d'être voisins. L'étude précise que non, ce n'est pas seulement une question de style de gestion ou de préférences. Les analyses démontrent que les similarités entre les portefeuilles augmentent lorsque les gestionnaires deviennent de nouveaux voisins et s'accentuent avec les années de voisinage.

Une question de patriotisme ?

Ouvrons une parenthèse. Dans le passé, les études sur l'influence de la proximité portaient surtout sur le lieu du siège social d'une entreprise. En 2010, une étude démontrait notamment que les investisseurs ont tendance à favoriser les entreprises dont le siège social est localisé dans la région où se trouve leur domicile. En investissant dans les actions d'entreprises qui sont dans notre région, nous avons l'impression d'être mieux informés et de réduire le risque. En étant mieux informés, nous pourrons peut-être mieux nous rendre compte si l'entreprise est sous-évaluée et ainsi bonifier notre rendement tout en limitant les risques. C'est pourtant faux. Les études concluent qu'il n'y a pas de lien entre investissement régional et rendement. Les investisseurs n'affichent pas de meilleurs rendements, ni de moins bons, en investissant une plus grande portion de leur portefeuille dans des entreprises régionales2.

Pourtant, un peu partout sur la planète, les investisseurs favorisent encore les investissements dans leur pays. Pourquoi ? Les recherches permettent de conclure que ce fait est plus une question de patriotisme et de perception de risque moindre que de rendements supérieurs à long terme.

Un effet positif

Fermons la parenthèse et revenons à la dernière étude. Sa conclusion est que l'impact du voisinage sur le rendement est très positif. Les gestionnaires qui habitent dans le même secteur sont certainement en concurrence pour attirer de nouveaux clients. Toutefois, ils ont tendance à s'entraider puisque leur rendement annuel moyen est bonifié de 6 %. L'impact de ce bon voisinage est encore plus rentable s'il s'agit d'investir dans des entreprises peu connues ou d'entreprises sur lesquelles il y a peu de recherche disponible.

Pourquoi deux gestionnaires qui sont voisins et en concurrence pour attirer de nouveaux clients s'entraideraient-ils ? Les auteurs avancent trois raisons. Premièrement, le partage de l'information sur l'occasion d'acheter un titre peut accélérer la hausse du prix du titre. Du coup, cette dynamique bonifiera le rendement du gestionnaire qui détient déjà les titres en portefeuille. Deuxièmement, le coût du partage de l'information est faible. Ce partage prend ici la forme d'une discussion entre voisins. Troisièmement, aider un voisin en communiquant de l'information aujourd'hui pourrait mener ce voisin à nous rendre un autre service dans le futur.

Morale de l'histoire

L'étude interpelle aussi ceux et celles qui gèrent leur portefeuille. Une petite discussion avec votre voisin gestionnaire de portefeuille, surtout sur des titres moins connus, pourrait vous être profitable. Le bon voisinage est rentable !

Attention, un fraudeur pourrait utiliser une technique similaire. Certaines arnaques visent à vanter le potentiel d'une entreprise seulement pour en gonfler artificiellement le prix avant que l'arnaqueur ne liquide ses propres titres sur le marché, une opération qui fera chuter le prix beaucoup plus bas. Avant de suivre les conseils de votre voisin gestionnaire, assurez-vous qu'il est honnête ou que c'est un ami.

1 Pool, Stoffman et Yonker, «The People in Your Neighborhood: Social Interactions and Mutual Fund Portfolios», Journal of Finance, décembre 2015.

2 Seasholes et Zhu, «Individual Investors and Local Biais», Journal of Finance, octobre 2010. Dans cette recherche, une entreprise est considérée comme régionale si elle est située à moins de 400 km de la résidence de l'investisseur.

À la une

Dette et déficit du fédéral: on respire par le nez!

ANALYSE. Malgré des chiffres relativement élevés, le Canada affiche le meilleur bilan financier des pays du G7.

Budget fédéral 2024: «c'est peut-être un mal pour un bien»

EXPERT INVITÉ. Les nouvelles règles ne changent pas selon moi l'attrait des actions à long terme.

Multiplier la déduction pour gain en capital, c'est possible?

LE COURRIER DE SÉRAFIN. Quelle est l'avantage de cette stratégie?