Le titre de Canopy Growth ne semble pas si cher


Édition du 10 Novembre 2018

Le titre de Canopy Growth ne semble pas si cher


Édition du 10 Novembre 2018

[Photo: 123RF]

À première vue, le titre semble très cher à près de 50 $ (48,60 $). Le marché accorde une valeur de plus de 12 milliards de dollars à Canopy Growth, leader des sociétés de cannabis au Canada, et ce, même si elle devrait afficher des pertes pour au moins encore deux ans. On ne peut pas calculer de ratio cours/bénéfice puisqu'il n'y a pas encore de bénéfice. Et les ratios cours/ventes ou encore cours/valeur comptable sont à des niveaux stratosphériques. Malgré une récente retraite, le marché du pot est-il toujours sur un buzz ?

Bienvenue dans l'univers où s'affrontent «investisseurs de valeur» et «investisseurs de croissance».

Pour une entreprise en forte croissance, la valeur n'est pas tant dans ce qui a été investi dans le passé. Elle est plutôt dans ce que seront les bénéfices à long terme.

Rappelez-vous, il n'y a pas si longtemps, lorsque Facebook, Google, Amazon et même Apple avaient des valeurs boursières astronomiques par rapport à leurs bénéfices. Plus d'un disait que c'était «bien trop cher» par rapport aux bénéfices. Aujourd'hui, le cours en Bourse de ces titres est encore plus élevé. Simplement parce que les bénéfices ont connu une croissance phénoménale au fil des années.

L'affirmation en fera peut-être sourciller, mais l'investisseur de croissance, tout comme l'investisseur de valeur, cherche à acheter des titres «sous-évalués». La différence entre les deux types est uniquement dans la manière de repérer ce qui est sous-évalué.

Pour l'investisseur de croissance, les ratios cours/bénéfices ou cours/valeur comptable d'aujourd'hui n'ont pas vraiment d'importance puisque la valeur de l'entreprise réside dans les bénéfices futurs qui se matérialiseront avec la croissance.

Qu'en est-il pour Canopy Growth ?

Il est vrai que même pour un investisseur de croissance, il est actuellement très difficile de justifier les valorisations des principaux acteurs de l'industrie canadienne, notamment Canopy. Vrai si on se limite uniquement au potentiel récréatif et au marché canadien.

Mais voici quelques éléments à considérer. Le cannabis ne se limitera pas au marché récréatif. Il est déjà bien connu que d'autres utilisations verront le jour, notamment pour le traitement des troubles du sommeil, le traitement contre la douleur, les nausées, etc. Ces utilisations ont un potentiel de bénéfices et de valorisation à long terme bien plus grand que le marché récréatif du cannabis séché.

La réticence des médecins à prescrire limite actuellement beaucoup la croissance du cannabis médical. Une situation très compréhensible compte tenu du peu de recherches cliniques à ce jour. Avec la légalisation et les milliards injectés dans l'industrie, ces recherches vont se multiplier.

Les médecins seront par la suite plus enclins à prescrire le cannabis médical, ayant obtenu des résultats cliniques prouvant son efficacité. Si les traitements à base de cannabis deviennent largement reconnus, il est possible que les compagnies d'assurance acceptent alors de rembourser les patients qui consommeront ces produits.

Cette seule perspective permet de prévoir une croissance fulgurante de l'industrie.

Autre considération importante : l'industrie sera mondiale. Au fil des ans, le cannabis médical a été légalisé dans plus de 20 pays, dont plusieurs pays riches comme la Suisse, l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie. Les États-Unis, même sous la réticente administration Trump, avancent. Plus de 9 États américains ont légalisé le cannabis, et plus de 30 (représentant plus de 60 % de la population américaine) ont légalisé le cannabis médical. Beaucoup de monde avec beaucoup d'argent. Cela permet de prévoir beaucoup de potentiel de bénéfices.

Troisième facteur important favorisant la croissance de Canopy Growth : la concurrence limitée. Plusieurs pays ayant un potentiel de marché important ont légalisé le cannabis médical, mais pas sa culture. Ces pays forcent donc leurs consommateurs à acheter des produits importés. Cela fait en sorte que des entreprises leader comme Canopy Growth peuvent tenter de conquérir ces marchés sans craindre de concurrence locale sur la production. Et, comme on l'a vu, ces pays ne sont pas les plus petits ni les moins riches. L'Angleterre, l'Italie, la Suisse et l'Allemagne ont toutes légalisé le cannabis médical, mais interdisent toujours sa culture.

Ayons en outre à l'esprit que le cannabis médical permet de viser une marge bénéficiaire bien plus élevée que le secteur récréatif. Canopy Growth pourrait ainsi tirer profit d'être parmi les premiers à s'implanter dans ces pays où l'industrie est naissante et en forte croissance, avec des marges bénéficiaires élevées.

Alors, combien devrait valoir Canopy ?

Les pertes prévues pour 2018 et 2019 ne sont pas si importantes puisque les prévisions indiquent qu'à plus long terme, la croissance permettra de générer un profit (BAII) de plus de 1 G$ d'ici cinq ans et de 4 G$ d'ici dix ans. Compte tenu de ce qui précède, ces prévisions ne semblent pas irréalistes. Si elles se réalisent, par actualisation, la valeur de l'action de Canopy Growth devrait présentement (en 2018) être supérieure à 70 $. Le prix actuel qui est sous la barre des 50 $ ne semble donc pas cher.

Deux mises en garde pour terminer, cependant. Même si Canopy Growth est l'entreprise avec la plus forte valorisation de l'industrie (plus de 12 G$), il faut se garder de conclure que les autres entreprises sont de meilleures aubaines. Dans une industrie qui vit des changements aussi profonds, il y aura aussi des perdants en raison de la concurrence et de l'agressivité commerciale du leader de l'industrie.

Un autre défi important est de bien comprendre les risques, notamment les risques d'erreurs dans les prévisions de bénéfices futurs. Ce risque d'erreur de prévision est beaucoup plus élevé pour les entreprises de croissance comme Canopy Growth que pour les entreprises de valeur comme une grande banque canadienne ou Bell Canada.

Canopy Growth semble vraiment sous-évaluée à 50 $, mais cette conclusion repose sur un potentiel de croissance qui reste difficile de prévoir.

CHRONIQUEUR INVITÉ
Biographie
Richard Guay est professeur titulaire en finance à l’ESG UQAM et ancien président de la Caisse de dépôt et placement du Québec.