Le pari du contenu

Publié le 30/11/2010 à 00:00, mis à jour le 16/03/2012 à 10:45

Le pari du contenu

Publié le 30/11/2010 à 00:00, mis à jour le 16/03/2012 à 10:45

Par Dominique Beauchamp

Voici ce que nous écrivions le 30 novembre 2010 (Archives Les Affaires).

La concurrence était déjà vive dans le secteur du sans-fil. Mais les annonces coup sur coup du lancement du service sans fil de Quebecor et de l'achat du réseau de télévision CTV par BCE ont fait monter la lutte d'un cran au Québec.

" Une nouvelle partie d'échecs s'amorce ", dit Christian Desîlets, professeur en publicité sociale au Département d'information et de communication de l'Université Laval.

Cette fois-ci, l'affrontement se déroulera sur le terrain du contenu vidéo. Jusqu'à maintenant, les sociétés de télécommunications tentaient de se démarquer au moyen des appareils offerts, des forfaits et de la fiabilité de leurs réseaux. Or, sur ces plans, leurs services tendent à se ressembler de plus en plus. Les sociétés de télécommunications doivent donc miser sur autre chose.

Pierre-Karl Péladeau et George Cope, les deux hommes forts derrière Quebecor (qui possède 55 % de Vidéotron) et BCE, croient qu'offrir des émissions de télé et des contenus exclusifs sera un atout majeur pour attirer et fidéliser les clients à leur service sans fil. C'est le pari du contenu.

Il s'agit d'un enjeu majeur, comme le montre la demande faite le 21 septembre par Telus au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) d'interdire à sa rivale Shaw Communications d'offrir du contenu télévisuel exclusif. Si le CRTC approuve l'achat de Canwest Media par Shaw et celui de CTV par BCE, Telus deviendra le seul fournisseur sans fil d'importance à ne pas posséder un réseau de télévision.

Le contrôle du contenu pourrait faire la différence lorsque, dans quelques années, les fournisseurs sans fil ne pourront plus compter sur l'augmentation naturelle du nombre d'abonnés, car tout le monde aura alors son téléphone intelligent, explique Jeff Fan, analyste chez Scotia Capitaux.

" Au fond, chaque rival envahit le territoire de l'autre pour assurer sa viabilité et croître ", souligne M. Desîlets.

Selon lui, l'offensive de Bell et de Vidéotron s'apparente à la vieille stratégie des pharmacies face aux épiciers pour attirer des consommateurs chez eux. Les pharmacies ont proposé davantage de marchandises générales et de produits alimentaires afin d'accroître leurs ventes. On peut même comparer l'offre de contenu vidéo par les fournisseurs sans fil aux produits alimentaires vendus sous le prix coûtant par les pharmaciens, explique M. Desîlets.

En ce sens, " la propriété des droits de contenu vidéo qu'on veut diffuser sur deux ou trois types d'appareils [télévision, téléphone, ordinateur portable] a une valeur à la fois économique et stratégique, bien qu'il soit difficile encore d'en mesurer l'impact financier ", croit Kaan Yigit, président de Solutions Research Group.

Les téléphones intelligents, un marché clé

Au bout du compte, l'objectif de BCE et de Vidéotron est d'augmenter le nombre d'heures d'utilisation des téléphones intelligents, parce qu'ils leurs procurent les revenus moyens les plus élevés par abonné.

Ce marché prometteur croît rapidement. La proportion de Canadiens munis d'un téléphone intelligent passera de 31 % à la fin de 2010 à 60 % en 2014, prévoit The Convergence Consulting Group. Et déjà, 30 % des Canadiens disent avoir visionné une émission de télé sur leur cellulaire, soit deux fois plus qu'il y a deux ans, souligne M. Yigit.

Le contenu fait partie de l'arsenal de BCE pour regagner le terrain perdu. Des trois grands fournisseurs sans fil (BCE, Rogers et Telus), BCE est celui qui compte le moins d'utilisateurs de téléphones intelligents. De plus, BCE affiche des marges et des revenus moyens par abonné inférieurs à ses rivaux, indique M. Yigit.

Quelque 17 % des abonnés de Bell Mobilité possèdent un téléphone intelligent, par rapport à 29 % pour Rogers et 20 % pour Telus, souligne M. Fan.

De nouvelles sources de revenus

Pour se démarquer, BCE et Quebecor misent sur un nouveau filon : la rediffusion Web et sans fil de contenus sportifs et de bulletins d'informations, car ce service est déréglementé depuis 2008. Les propriétaires de ces contenus peuvent donc facturer les prix qu'ils veulent pour les diffuser, sans avoir à les soumettre au CRTC, explique Peter MacDonald, de GMP Valeurs mobilières.

Par exemple, BCE, qui a acquis les droits exclusifs de diffusion des matchs de la Ligue nationale de football (NFL) pour ses appareils mobiles, pourra proposer aux mordus de ce sport la meilleure offre de contenu, dit M. Yigit.

BCE promet aussi des contenus exclusifs de la Ligue nationale de hockey (LNH), de TSN et de RDS, autres que les matchs de hockey du Canadien. BCE offre déjà l'accès sans fil aux canaux spécialisés HBO et Business News Network (BNN), notamment.

Du côté de Vidéotron, le service Illico mobile présentera aussi les matchs du Canadien de Montréal, diffusés à RDS et TSN, grâce à des droits que lui a vendus CTV. Les abonnés de la télé numérique Illico n'auront pas à payer pour obtenir l'application de visionnement des matchs, mais devront cependant acheter des forfaits de temps (5 heures pour 5 $, 15 heures pour 10 $ et 50 heures pour 15 $).

Il s'agit de micro-marchés qui constituent de nouvelles sources de revenus pour les fournisseurs sans fil, croit Johanne Lemay, coprésidente, de Lemay-Yates Associés.

Le visionnement de matchs de football et de hockey saura peut-être attirer certains mordus vers un fournisseur sans-fil plutôt que vers un autre, estime Mme Lemay. Il n'en reste pas moins qu'à court terme, les consommateurs magasineront avant tout leurs appareils en fonction des prix des forfaits et de l'usage qu'ils entendent en faire, de l'accès aux appareils les plus en vogue et des zones de couverture, ajoute-t-elle.

Une guerre froide

Si la bataille entre les sociétés de télécommunications et de câble se déplace sur le terrain du contenu, ce n'est toutefois pas une première. En effet, c'est la deuxième fois en 10 ans que BCE achète CTV. (En 2000, BCE avait acheté le télédiffuseur au coût de 2,3 milliards de dollars. L'entreprise avait ensuite réduit sa participation à 15 % en vendant ses actions à la famille Thomson, à Torstar et à Teachers').

En remettant la main sur CTV, BCE s'est dotée d'un pouvoir accru pour négocier l'achat ou l'échange de contenus avec ses rivaux, qui ont aussi acquis des producteurs de contenus télévisuels. On peut imaginer que BCE puisse offrir de la programmation de hockey à Rogers Communications en échange de parties des Blue Jays.

Ainsi, la bataille des contenus se jouera davantage en coulisse, croit Jonathan Allen, de RBC Marchés des Capitaux, qui parle de " guerre froide " pour décrire cette nouvelle étape dans l'industrie du sans-fil.

Le contenu francophone, talon d'Achille de BCE

La bataille pour séduire les clients ne fait que commencer, selon les experts, car BCE devra trouver les moyens d'accroître le contenu francophone pour mieux faire face à Vidéotron au Québec.

" Il n'y a pas de doute qu'au Québec, le contenu de CTV n'est pas un avantage pour Bell Mobilité ", affirme Mme Lemay.

La plupart des observateurs croient que Vidéotron a d'excellentes chances de ravir des parts de marché à Bell, Rogers et Telus au Québec au cours des prochaines années. Selon Brahm Eiley, associé chez Convergence Consulting Group, Vidéotron occupera 19 % du marché du sans-fil au Québec en 2014. Des forfaits alléchants offerts à ses abonnés du câble et son contenu télévisuel francophone sont deux atouts dans son jeu.

D'ailleurs, Vidéotron est déjà victime de son succès. Son appareil sans fil le plus en demande, le Google Nexus One, est déjà en rupture de stock.

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