À la manière de Buffett


Édition du 30 Avril 2016

À la manière de Buffett


Édition du 30 Avril 2016

Le «Woodstock du capitalisme», l'assemblée de la société Berkshire Hathaway, se tient ce samedi. Quelque 40 000 actionnaires se réunissent pour la grand-messe annuelle dans un amphithéâtre d'Omaha, au Nebraska, où se trouve le siège social de la firme dirigée par Warren Buffett.

Dans le peloton de tête des individus les plus riches du monde, Buffett est considéré comme l'un des investisseurs les plus sages. Sa performance, au cours des 50 dernières années, est sans égale : en incluant les dividendes, le rendement annualisé des actions de Berkshire Hathaway (NY, BRK.A et BRK.B) est de 20,8 % depuis 1965, soit deux fois mieux que les 9,7 % de l'indice S & P 500.

Warren Buffett et son bras droit, Charlie Munger, ont appliqué une formule simple, mais efficace : acheter de gros blocs d'actions dans des sociétés peu endettées, dont les activités sont faciles à comprendre (pas de technos), qui réalisent de bons rendements sur l'avoir des actionnaires et à la tête desquelles se trouvent des dirigeants ayant fait leurs preuves. Au fil des décennies, Berkshire a acquis (et conservé) des positions importantes dans des sociétés telles qu'American Express, Coca-Cola, AT&T et Wells Fargo.

Pour l'occasion, nous avons demandé à trois gestionnaires de portefeuille, émules du style de Warren Buffett, de déterminer les critères d'investissement qui selon eux pèsent le plus lourd dans sa balance. Et de suggérer trois titres qui ne jureraient pas dans le portefeuille de Berkshire Hathaway.

Philippe Le Blanc, gestionnaire de portefeuille, Cote 100

Parmi les éléments qui guident Warren Buffett dans ses décisions d'investissement, Philippe Le Blanc estime que la facilité à comprendre les activités d'une entreprise arrive en tête de liste. «Ce sont souvent des entreprises de consommation de base ou de détail peu susceptibles de changer avec le temps», note le gestionnaire de portefeuille. Procter & Gamble, Coca-Cola ou encore Kraft Heinz figurent en bonne place dans le portefeuille de Berkshire Hathaway.

Second critère : des barrières à l'entrée de concurrents qui sont élevées. «Il faut que le modèle d'entreprise soit soutenable à long terme. M. Buffett a investi dans une société de chemin de fer, BNSF. Dans 30 ans, elle existera encore», dit M. Leblanc.

Au-delà de ces critères qualitatifs, Philippe Le Blanc affirme que trois autres facteurs sont essentiels. M. Buffett choisit des entreprises dont le rendement de l'avoir des actionnaires restera élevé à long terme. Il aime aussi les sociétés peu endettées, et lorsqu'elles le sont, ce fardeau doit être géré de manière conservatrice. Enfin, il jettera son dévolu sur des entreprises qui sont raisonnablement évaluées par le marché, dont le ratio cours/bénéfice ne sera pas trop élevé.

En fonction de ces éléments, voici ses suggestions.

CarMax (NY, KMX, 54,22 $ US)

Il s'agit ici de l'entreprise américaine la plus importante du domaine des voitures d'occasion. Elle dispose de 151 succursales dans 76 marchés aux États-Unis. Sa proposition : les prix ne sont pas négociés, ce qui, prétend-elle, répond à une demande des acheteurs.

«La vente de voitures de seconde main est un marché très fragmenté. CarMax est en train de se construire une marque de commerce à l'échelle nationale», explique Philippe Le Blanc. Son réseau atteint environ 50 % de la population des États-Unis. La société ne détient toutefois encore que 5 % d'un «marché gigantesque».

Au cours des cinq dernières années, le rendement de l'avoir des actionnaires a atteint une moyenne de 16 %. Le titre, qui a déjà frôlé les 75 $ US, se négocie maintenant à 54 $ US. «Ils font du financement. Et comme il y a eu des craintes à l'égard des prêts automobiles l'an dernier, cela explique le recul de l'action», dit le gestionnaire. Le ratio cours/bénéfice du prochain exercice est de 14,5, un niveau jugé relativement raisonnable.

Ritchie Bros. Auctioneers (Tor., RBA, 36,42 $)

Cette société de Vancouver est le plus important encanteur d'équipement lourd du monde. Fondée en 1958, l'entreprise dispose d'une quarantaine de sites d'enchères. Elle revend de l'équipement neuf et d'occasion destiné à la construction, à l'exploitation minière et pétrolière, au transport, etc. «Puisque c'est le plus gros, il se crée un effet de réseau, un peu comme pour eBay ou Amazon. Ça attire les vendeurs et les acheteurs», fait valoir M. Le Blanc.

De plus, il s'agit d'un modèle qui «n'est pas très cyclique». Par exemple, lorsque l'économie va mal, comme c'est le cas en Alberta, les affaires de Ritchie se portent bien, car de nombreuses entreprises veulent se départir de leur équipement inutilisé. Puisque la société a des clients «partout dans le monde», les acheteurs d'ailleurs en profitent.

L'entreprise a une capitalisation boursière de 2,5 G$ US, tandis que son chiffre d'affaires était de 515 M$ US l'an dernier. Le titre se négocie à un ratio cours/bénéfice un peu supérieur à 20 ; cependant, en tenant compte de l'encaisse, ce ratio recule à 18.

Berkshire Hathaway (NY, BRK.B, 146,18 $ US)

Et pourquoi pas la compagnie de Warren Buffett ? Il s'agit d'une société de gestion qui dispose d'un important portefeuille de titres réputés et qui dépend moins qu'autrefois des aléas des marchés boursiers. «Autrefois, ils avaient beaucoup d'actifs sous forme d'actions. Mais maintenant, la part des entreprises sous leur contrôle, notamment dans l'assurance, est plus importante», fait valoir Philippe Le Blanc.

À son avis, le titre de Berkshire Hathaway n'est «pas cher». Les dirigeants ont déjà indiqué qu'ils se mettraient à racheter des actions si elles se négociaient à 1,2 fois la valeur comptable. Actuellement toutefois, elles sont à 1,35 fois. «Si je prends la valeur comptable prévue à la fin de 2016, on serait à environ 1,23 fois seulement», calcule M. Le Blanc. Il croit que la société vaut beaucoup plus que cela, ce qui en fait un achat intéressant.

Il ajoute qu'avec Berkshire, «il ne faut pas s'attendre à faire 20 % par année». Mais en moyenne, ce titre devrait mieux performer que l'indice S&P 500 à long terme... comme l'a d'ailleurs démontré Warren Buffett au cours des 50 dernières années.

Alain Robitaille, gestionnaire de portefeuille, Groupe Robitaille chez Valeurs mobilières Desjardins

Warren Buffett utilise plusieurs critères, qualitatifs comme quantitatifs, pour choisir les sociétés dans lesquelles il investit. Toutefois, selon Alain Robitaille, un facteur domine : la capacité d'une entreprise de détenir un avantage concurrentiel durable. «À mon avis, c'est son principal critère. Il choisit des entreprises qui sont en mesure de dominer un marché et d'empêcher des concurrents de les menacer.»

M. Robitaille estime que la qualité de l'équipe de direction et sa performance historique sont les critères suivants. «M. Buffett a toujours dit qu'il n'est pas question pour lui de se mêler de la gestion des entreprises qu'il achète.» Enfin, il n'investit que dans des entreprises dont les activités sont faciles à comprendre et «essentielles à l'être humain». D'où son refus d'injecter des fonds dans des sociétés technos, dont l'avenir est aléatoire.

Il suggère trois sociétés qui répondent à ces critères.

Brookfield Asset Management (Tor., BAM.A, 43,31 $)

«C'est un mini-Berkshire Hathaway», résume André Robitaille. L'entreprise torontoise est en fait une société de gestion active dans plusieurs secteurs, tout comme celle de Warren Buffett. «C'est une entreprise assez diversifiée. C'est comme si on achetait un fonds commun de placement», dit le gestionnaire de portefeuille.

Brookfield Asset Management existe depuis plus d'un siècle, et son actif sous gestion atteint maintenant les 225 G$ US. Elle est principalement active dans le secteur immobilier. On la trouve également dans les infrastructures, de même que dans les énergies renouvelables. De plus, elle est présente dans le placement privé.

Le grand patron, Bruce Flatt, est là depuis plusieurs années, et la direction détient environ 20 % des actions, signale M. Robitaille. Si son niveau d'endettement (60 G$) est élevé en raison de la nature de ses activités, M. Robitaille fait valoir que ce ratio est bien contrôlé. Depuis 10 ans, la croissance annualisée des revenus a été de l'ordre de 16 %. Au cours actuel, l'évaluation reste raisonnable, soit à environ 12 fois les bénéfices.

Stryker (NY, SYK, 110,77 $ US)

Cette société est spécialisée dans la fabrication d'appareils destinés aux hôpitaux et aux salles de chirurgie. C'est également «l'un des deux principaux joueurs dans la fabrication de hanches et de genoux artificiels». Selon André Robitaille, l'entreprise dispose d'importants avantages concurrentiels, grâce à ses brevets. «Il y a une barrière à l'entrée très importante. Dans une démarche de type Buffett, ça cadre très bien.» En raison du vieillissement de la population, les remplacements de hanches et de genoux ne feront qu'augmenter. Et pour ce qui est du critère «essentiel à l'humain», il est difficile de trouver mieux.

Stryker tire environ 43 % de ses revenus de près de 10 G$ US de ses produits orthopédiques. Une autre tranche de 39 % provient du matériel chirurgical (scies, appareils endoscopiques, etc.), et le reste, de produits de neurotechnologie.

M. Robitaille convient que le titre n'est «pas l'aubaine du siècle» avec un ratio cours/bénéfice à venir de 17. Mais, croit-il, la qualité de l'entreprise justifie une prime par rapport au marché. Il a acheté des actions pour ses portefeuilles lors de la crise de 2009 et affirme que c'est le genre de société qu'il «pourrait détenir à vie si les ratios demeuraient raisonnables».

AutoNation (NY, AN, 48,70 $ US)

C'est le plus important acteur dans le domaine des concessionnaires automobiles aux États-Unis. L'entreprise compte environ 300 concessions qui offrent 34 marques de véhicules. «Quand j'ai commencé à regarder cela il y a quelques années, personne ne trouvait cela bien intéressant, dit M. Robitaille. Pourtant, l'an dernier, Berkshire Hathaway a investi dans ce secteur en faisant l'acquisition de Van Tuyl Group.»

AutoNation est présente dans une quinzaine d'États, mais concentrée dans trois des plus populeux, soit la Californie, la Floride et le Texas. La société a un bon potentiel de croissance. Il s'agit d'un marché très fragmenté. M. Robitaille estime qu'il existe néanmoins une importante barrière à l'entrée, les franchises automobiles exigeant beaucoup de capital. AutoNation étant cotée en Bourse, elle dispose de moyens financiers que d'autres n'ont pas.

Ce qui ne gâte pas la sauce, c'est qu'un des principaux actionnaires est Bill Gates, le fondateur de Microsoft et ami de Warren Buffett. La direction d'AutoNation est prudente dans ses acquisitions, qu'elle paie peu cher. Et s'il n'y a rien d'intéressant, elle rachète de ses actions. Depuis 2005, leur nombre est passé de 262 à 111 millions, note M. Robitaille, ce qui a eu pour effet de gonfler le bénéfice par action. Au cours actuel, le titre se transige à environ 12 fois les bénéfices.

François Rochon, gestionnaire de portefeuille et président de Giverny Capital

Selon François Rochon, le premier facteur qui guide Warren Buffett dans ses choix est sa capacité de bien comprendre les activités de l'entreprise. «C'est la première chose.» Non seulement comprendre ce qu'elle fait, mais surtout, être en mesure d'évaluer sa viabilité à long terme.

Puis, ce sont ses avantages par rapport à ses concurrents. «C'est comme le fossé qui entoure un château», image-t-il. En effet, ce sont la spécificité de ses produits et services ou encore sa place dominante dans un marché donné qui lui permettront de générer un bon rendement de l'avoir des actionnaires à long terme.

Enfin, «la qualité de la direction est un critère important», dit le président de Giverny, qui n'a jamais caché que son style de gestion s'inspire largement de celui de Warren Buffett.

Voyons ses propositions.

Disney (NY, DIS, 103,27 $ US)

«Voici une belle entreprise qui cadre bien avec la démarche de Buffett. D'ailleurs, il a déjà détenu de ses actions», dit François Rochon. En effet, dans les années 1960, le jeune Buffett avait acheté une participation dans Walt Disney qu'il avait revendue quelques années plus tard avec un bon profit. Puis, dans les années 1990, lors d'une transaction concernant la chaîne de télévision ABC, il avait reçu des actions de Disney qu'il avait ensuite revendues. Ces ventes sont parmi ses pires erreurs, a déjà reconnu M. Buffett.

Selon François Rochon, il n'existe guère d'équivalent à Disney. Cette société a une réputation enviable qui lui confère des avantages importants. De plus, le président Robert Iger «fait un travail phénoménal depuis 10 ans», dit le gestionnaire. Il a procédé à plusieurs acquisitions majeures, notamment celles des franchises de Marvel et Star Wars. «Ce sont des coups de circuit», dit-il. Avec un tel portefeuille de marques, l'avenir du géant est assuré. À 17 fois les bénéfices, le titre de Disney est raisonnablement évalué, selon M. Rochon. C'est un peu plus que la moyenne actuelle du marché, mais ses perspectives de croissance sont «un peu supérieures».

Mohawk Industries (NY, MH, 199,72 $ US)

Du tapis, de la céramique, des tuiles de vinyle, des planchers de bois franc : difficile de fabriquer des produits de consommation plus courants. C'est ce que fait Mohawk Industries, qui cadrerait fort bien dans un portefeuille de style Buffett. D'ailleurs, ce dernier est actionnaire d'un des concurrents de Mohawk, Shaw Industries, qui compte parmi les grands fabricants de tapis des États-Unis.

Selon François Rochon, Mohawk Industries est devenu le plus important acteur de son secteur. L'ampleur de l'entreprise, avec ses ventes annuelles dépassant les 8 G$ US, fait en sorte qu'elle réalise des économies d'échelle enviables. Le grand patron, Jeffrey S. Lorberbaum, dans l'entreprise depuis 1994, «est un des facteurs de succès», selon M. Rochon.

Depuis son sommet de l'été dernier, le titre a subi une bonne correction. Il se négocie à environ 15 fois les bénéfices, ce que M. Rochon considère comme «très raisonnable».

Stericycle (Nasdaq, SRCL, 125,44 $ US)

Voici une entreprise peu connue, dont le rôle est toutefois essentiel. Stericycle compte plusieurs divisions, mais se spécialise dans le recyclage des déchets biomédicaux. «Lorsque vous allez à l'hôpital pour une prise de sang et qu'on jette les aiguilles dans un contenant jaune, eh bien, c'est elle qui les ramasse et s'en débarrasse de manière sécuritaire», explique François Rochon.

L'entreprise a été créée en 1989 après que le gouvernement américain eut décidé de réglementer la manière dont on se départit des déchets dangereux provenant des hôpitaux. Elle est présente dans 22 pays, dont le Canada, et a 600 000 clients. Son chiffre d'affaires en 2015 devrait approcher les 3 G$ US. «C'est un chef de file», dit M. Rochon.

L'automne dernier, la société a acquis la société canadienne Shred-it, spécialisée dans la destruction de documents. Étonnant ? Pas vraiment, selon François Rochon, car il existe une certaine similitude entre les deux activités : la confidentialité des opérations. Peu après, le titre de Stericyle a subi une bonne correction. Mais depuis, il a repris une tendance ascendante.

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