À l'approche de son entrée en Bourse, l'attention qui lui était portée lui semblait être une distraction importante.
Sous la pression de plusieurs membres de son conseil d’administration, le patron de la maison mère de WeWork, Adam Neumann, a démissionné mardi, avec effet immédiat, de ses fonctions de directeur général.
Cette décision intervient quelques jours après que le groupe eut repoussé son introduction en Bourse, en raison des doutes des marchés financiers sur son modèle économique, mais aussi sur sa gouvernance et sur le comportement fantasque de son charismatique patron.
« Même si notre activité n’a jamais été aussi solide, l’attention portée sur moi ces dernières semaines est devenue une distraction importante et j’ai décidé qu’il était dans le meilleur intérêt de l’entreprise que je quitte mes fonctions de directeur général », a justifié M. Neumann dans le communiqué annonçant son départ.
Il gardera toutefois sa casquette de président du conseil d’administration de cette société, qu’il a co-fondée en 2010 avec sa femme Rebekah et son associé Miguel McKerlvey et dont il possède la majorité des droits de vote sur toutes les décisions stratégiques, a détaillé la société, confirmant ainsi des informations obtenues par l’AFP.
M. Neumann sera remplacé par Artie Minson, ancien directeur financier du groupe, et Sebastian Gunningham, qui se partageront le poste de directeur général.
« Notre activité principale reste robuste et nous prendrons des mesures fortes pour équilibrer la forte croissance de WeWork, sa rentabilité et l’expérience unique de ses membres, tout en évaluant le moment le plus opportun pour une introduction en Bourse », ont-ils affirmé dans le communiqué.
WeWork avait décidé de reporter son arrivée à Wall Street, prévue initialement cette semaine, en raison d’un accueil réservé des potentiels investisseurs, qui lui demandaient d’attendre. La valeur de l’entreprise est ainsi passée de 47 milliards de dollars lors d’un dernier tour de table en début d’année, à moins de 20 milliards lors des derniers jours. Selon des sources proches du dossier, l’opération aura lieu désormais « au plus tôt en 2020 ».
Rencontre avec Jamie Dimon
Créée en 2010 à New York, la société est devenue — avec ses cafés gratuits, ses canapés et ses cloisons vitrées — l’exemple le plus emblématique du « coworking ».
Elle s’est étendue à plus de 500 sites dispersés dans 29 pays et, avec ses 12 500 salariés, sert plus de 527 000 membres.
Mais les interrogations se sont multipliées sur sa capacité à gagner de l’argent et à faire face à un ralentissement économique mondial, l’immobilier étant souvent un des premiers secteurs touchés. En 2018, le groupe, en pleine expansion, a accusé une perte de 2 milliards de dollars pour un chiffre d’affaires de 1,82 milliard. Aurait-elle les reins assez solides en cas de récession ?
Outre la rentabilité, la mainmise de M. Neumann inquiétait les investisseurs potentiels.
WeWork a tenté de rassurer en annonçant mi-septembre une série de mesures pour réduire l’influence de M. Neumann.
La société a, par exemple, diminué de moitié les droits de vote attachés à la classe d’actions dont il dispose et assuré qu’aucun autre membre de sa famille ne fera partie du conseil d’administration.
Mais cela n’a pas suffi à apaiser les inquiétudes sur la gouvernance de l’entreprise.
Et la semaine dernière, plusieurs révélations sur le comportement de M. Neumann et sur sa consommation de drogue sont apparues.
Les représentants au conseil d’administration de la banque japonaise SoftBank, qui a injecté plus de 10 milliards de dollars dans la société, ont commencé à pousser M. Neumann vers la sortie, selon des sources proches du dossier.
Le sort du PDG a finalement été scellé ce week-end, en dépit du fait qu’il détient des droits de vote majoritaire pour bloquer toute décision stratégique.
Face à la fronde menée par Softbank, il a appelé et rencontré Jamie Dimon, le patron de la banque JPMorgan Chase qui pilotait l’entrée en Bourse et détient des parts dans la société. Cette rencontre aurait, selon des sources proches, pesé sur la décision de M. Neumann de lâcher du lest. JPMorgan a également accordé des crédits personnels à l’ancien fondateur déchu.
Qu’un fondateur quitte la direction de son entreprise ne serait pas une première, à l’instar d’Uber qui avait poussé vers la sortie en 2017 son sulfureux co-fondateur, Travis Kalanich.
M. Neumann rejoint par ailleurs Steve Jobs (Apple) et Jack Dorsey (Twitter), qui avaient dû abandonner temporairement les rênes d’entreprises qu’ils avaient fondées en raison de tensions avec leurs investisseurs.