Tarifs: les mesures de représailles ont porté fruit, dit Trudeau
La Presse Canadienne|Publié le 22 mai 2019Des métaux chinois se retrouvent illégalement sur les marchés, ce qui fait mal à l'industrie.
Les tarifs américains sur l’aluminium canadien ont réduit les bénéfices des entreprises mais n’ont pas ralenti la production ou nui à l’emploi dans ce secteur, a déclaré le PDG de l’Aluminerie Alouette, à Sept-Îles, où le premier ministre Justin Trudeau s’est rendu mardi afin de se féliciter d’avoir réussi à faire supprimer ces droits de douane.
En fait, Patrice L’Huillier estime que le litige commercial avec les États-Unis a poussé l’industrie à résister à un afflux de métaux chinois.
«Nous allons mourir submergés par de l’aluminium chinois», a déclaré M. L’Huillier. «Les tarifs n’étaient pas une bonne chose, mais contrôler le flux de métal et comprendre la source du métal (…) c’est une très bonne idée.»
Le PDG de l’aluminerie de Sept-Îles, sur la Côte-Nord, a rappelé que la Chine produisait plus de la moitié de tout l’aluminium dans le monde et que chaque année, ce pays ajoutait entre deux et trois millions de tonnes de capacité. Or, des métaux chinois, notamment de l’aluminium, se retrouvent illégalement sur les marchés, ce qui fait mal à l’industrie nord-américaine, a soutenu M. L’Huillier.
La Chine a produit près de 36 millions de tonnes d’aluminium l’année dernière, selon les chiffres officiels du gouvernement; le Canada en produit environ trois millions de tonnes.
Selon M. L’Huillier, les tarifs américains «ont mis beaucoup de pression dans le système». L’industrie nord-américaine a alors mis en place un processus de suivi plus formel, avec beaucoup plus d’informations sur la provenance, selon le dirigeant. Les Américains sauront maintenant que tel aluminium provient bel et bien de Sept-Îles, par exemple.
Alors que les négociations sur le nouvel Accord de libre-échange nord-américain piétinaient, au printemps dernier, l’administration du président américain Donald Trump avait imposé des tarifs de 25 pour cent sur l’acier canadien et de 10 pour cent sur l’aluminium. L’administration Trump a finalement décidé vendredi dernier de lever ces tarifs. Un accord prévoit que les États-Unis et le Canada établiront un processus de surveillance du commerce de l’acier et de l’aluminium. Ottawa s’efforce également de démontrer à Washington qu’il enraye l’arrivée au Canada de métaux chinois _ moins chers.
Trudeau jubile
Après l’imposition de ces tarifs par la Maison-Blanche, Ottawa avait imposé des tarifs douaniers sur l’acier et l’aluminium américains, mais aussi sur une vaste gamme d’autres produits _ du concombre au café en passant par le bourbon, les cartes à jouer et les tondeuses à gazon. Dans de nombreux cas, ces produits étaient cultivés, transformés ou fabriqués dans des États américains représentés par des politiciens influents _ et souvent républicains.
Justin Trudeau a estimé mardi que ces tarifs compensateurs sur les produits américains avaient joué un rôle déterminant pour forcer l’administration Trump à lever les tarifs sur l’acier et l’aluminium. «Je pense que l’une des choses que nous avons vues très clairement, que les Américains ont apprise, c’est que les Canadiens allaient demeurer fermes», a déclaré M. Trudeau mardi, à l’Aluminerie Alouette.
«Nous avons stratégiquement frappé de tarifs douaniers un nombre important de produits américains, ce qui a eu un impact sur les gouverneurs et sur les membres du Congrès, qui ont continué à parler au président et aux membres de l’administration pour la suppression de ces tarifs.»
M. L’Huillier a déclaré que son entreprise avait expédié au cours de l’année écoulée une plus grande quantité de produits en Europe, au lieu des États-Unis, ce qui a grugé les profits à cause des coûts supplémentaires liés au transport.
«Nous n’avons pas réduit les volumes de production ni supprimé d’emplois. De cette manière, il n’y a pas eu d’impact direct», a déclaré M. L’Huillier en entrevue, à l’issue de sa rencontre avec M. Trudeau. «Mais je pense que ces droits de douane auraient eu un impact indirect à long terme s’ils n’avaient pas été supprimés.»
Peu d’effets dans la population
Des résidents de Sept-Îles ont déclaré qu’ils n’avaient pas vraiment ressenti les effets des tarifs douaniers américains. «Oui, ils ont touché l’industrie, mais tout fonctionnait toujours à plein régime», a déclaré Isabelle Bond, qui travaille à la bibliothèque municipale de la ville. «Ce sont seulement les grandes entreprises qui ont perdu de l’argent.»
Mme Bond croit que les habitants de Sept-Îles ont été plus positifs au sujet de l’industrie en général au cours des 12 derniers mois, à mesure que les prix des métaux se sont améliorés.
Jean-François Fournier, propriétaire d’un restaurant de fruits de mer au bord du fleuve, a déclaré que son restaurant avait continué à faire de bons mois, puisque cette guerre des tarifs douaniers n’a pas causé de pertes d’emplois au cours des 12 derniers mois. «En fait, j’ai vu plus de touristes à cause de la force du dollar américain.»
Le Canada, les États-Unis et le Mexique ont finalement conclu un nouvel accord de libre-échange nord-américain à la fin de 2018, mais cette entente doit maintenant être ratifiée par les législatures de chaque pays. Au Canada, toutefois, le temps presse: il ne reste que quelques semaines avant l’ajournement de la session parlementaire à Ottawa pour l’été _ et les élections fédérales du mois d’octobre. Mais M. Trudeau a bon espoir d’y arriver.
«Maintenant qu’on a enlevé l’empêchement qu’étaient les tarifs, on devrait pouvoir procéder, mais on est en train de coordonner avec les Américains pour le faire de la bonne façon», a précisé M. Trudeau mardi.
«On est maintenant le seul pays du G7 à avoir des échanges commerciaux libres avec tous les autres pays du G7, s’est-il félicité. On a un accès privilégié à deux tiers de l’économie mondiale. Le Canada est bien parti pour continuer cette croissance qu’on a vue les dernières années.»
La Chine
Le premier ministre ne craint pas par ailleurs qu’une relation plus étroite avec les États-Unis de Donald Trump ne rende plus difficile la résolution des tensions avec la Chine. Les deux géants de l’économie mondiale se livrent actuellement une guerre commerciale et diplomatique. Or, Ottawa se retrouve malgré lui au beau milieu du champ de bataille, depuis que la Gendarmerie royale du Canada a arrêté la dirigeante du géant chinois Huawei, en décembre, en vertu d’un mandat d’extradition américain.
La Chine a réagi en détenant deux Canadiens _ l’ancien diplomate Michael Kovrig et l’entrepreneur Michael Spavor _ et en entravant le commerce de produits canadiens tels que le canola, le soja et le porc, pour diverses raisons techniques et administratives.
Interrogé mardi sur les informations selon lesquelles le Canada aurait dépêché une délégation parlementaire pour aider à la libération des deux hommes, M. Trudeau a indiqué qu’il parlait «aux dirigeants mondiaux, qui sont tous très préoccupés par certaines des décisions et des prises de position récentes de la Chine».
«Nous allons rester fermes face à la Chine, a-t-il dit. Nous allons rester fidèles à nos principes et nos règles, et notre système de droit (…) Nous allons mettre la sécurité des Canadiens à l’avant. Nous allons toujours rester fermes avec nos alliés par rapport à la Chine.»
M. Trudeau a déclaré que les efforts diplomatiques pour libérer les deux Canadiens étaient toujours en cours, bien qu’ils soient détenus depuis décembre et aient été officiellement arrêtés la semaine dernière pour avoir prétendument porté atteinte à la sécurité nationale chinoise.
Un groupe de députés est actuellement en visite en Chine. La délégation comprend le libéral torontois Rob Oliphant, secrétaire parlementaire de la ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland.
Le porte-parole de Mme Freeland, Adam Austen, a indiqué mardi que M. Oliphant avait «soulevé les vives préoccupations du Canada concernant la détention arbitraire de Michael Kovrig et Michael Spavor lors de ses entretiens avec des représentants du gouvernement chinois».