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Gabriel Fortin

L'entrefilet de JosFinance

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Expert(e) invité(e)

Myope, la Fed nous fait foncer droit dans le mur

Gabriel Fortin|Publié le 26 septembre 2022

Myope, la Fed nous fait foncer droit dans le mur

Sa détermination tardive à vaincre l’inflation risque de créer beaucoup plus de dommage à l’économie américaine que la banque centrale américaine ne veut l’avouer. (Photo: Getty Images)

BLOGUE INVITÉ. Pour une troisième fois consécutive, la Réserve fédérale américaine (Fed) a grimpé son taux directeur de 75 points de base lors de la plus récente réunion du Federal Open Market Committee (FOMC) qui s’est tenue la semaine dernière. En 6 mois, la Fed a accompli plus que ce qu’elle a fait en 3 ans lors du dernier cycle de resserrement monétaire amorcé en décembre 2015 et ce n’est pas fini.

Selon les projections économiques du FOMC, la mesure de contrôle des taux d’intérêt devrait terminer l’année entre 4,25% et 4,50% et atteindre près de 5,00% au début de l’an prochain. Le taux directeur devrait par la suite se maintenir à ce niveau durant toute l’année 2023 pour finalement être abaissé à partir de 2024. Assurément, la banque centrale américaine juge que son travail de resserrement monétaire n’est pas terminé.

Pour Jerome Powell, président de la Fed, l’inflation est toujours dangereusement élevée. Sa détermination à ramener l’inflation à la cible de 2,00% de la banque centrale n’a jamais été aussi grande. Powell sait qu’une économie florissante ne peut exister sans stabilité des prix. D’ailleurs, les données d’août publiées par le Bureau of Labor Statistics démontraient que, malgré la baisse de l’Indice des prix à la consommation (IPC) globale pour un deuxième mois consécutif, l’inflation fondamentale continuait d’accélérer.

Bien qu’il faille reconnaître l’important travail de resserrement monétaire opéré par la Fed au cours des derniers mois, celle-ci fait néanmoins preuve d’une agressivité tardive. Myope à l’égard des données en temps réel du marché qui pointent vers une décélération rapide de l’inflation, la Réserve fédérale américaine nous fait foncer droit dans un mur.

 

Une réalité dépassée

Pour établir sa politique monétaire, la Fed se base sur des indicateurs économiques qui dépeignent une réalité passée. Certes, les plus récentes données de l’inflation démontrent que celle-ci n’est toujours pas vaincue. Par contre, pour avoir une vision claire de la situation inflationniste actuelle, et non de celle d’il y a quelques semaines, il faut considérer l’information transmise en direct par le marché.

Une partie importante de la résilience de l’inflation fondamentale découle de l’accélération du prix des logements, qui accapare près du tiers de la pondération du panier de l’IPC. En jetant un coup d’œil aux données du marché publiées par Zillow, une entreprise immobilière américaine, le prix des loyers a atteint son sommet partout aux États-Unis en avril dernier. Depuis, il a amorcé une tendance baissière. Inévitablement, la mesure d’inflation officielle finira par refléter ce revirement. Autrement dit, le prix des loyers devrait atteindre un sommet aussi du côté de l’IPC au cours des prochaines semaines et, lorsque ce sera le cas, l’inflation baissera rapidement par la suite.

D’autres éléments permettent aussi d’entrevoir un rapide déclin de l’inflation à l’horizon. Un des plus évidents est la baisse des prix des marchandises. Le prix du pétrole est en baisse de 35% depuis le sommet atteint dans les jours suivants l’invasion de l’Ukraine par la Russie. En fait, le prix du brut est plus bas présentement qu’il l’était avant l’éclatement de la guerre. Le cuivre, marchandise reconnue comme étant un baromètre économique, est en baisse de 31% alors que le bois, l’acier et l’aluminium sont respectivement en baisse de 70%, 58% et 43% depuis leurs sommets atteints au cours des derniers mois.

Par ailleurs, les agents économiques ont tous revu leurs anticipations d’inflation à la baisse et celles-ci se rapprochent de plus en plus de la cible de la Fed. Le taux d’inflation implicite 5 ans est passé de 3,59% à 2,38% et celui sur 10 ans de 3,02% à 2,37%. L’inflation ayant un aspect psychologique puissant, la baisse des anticipations devrait participer à augmenter le rythme de sa décélération.

Le marché des obligations exprime aussi ses anticipations déflationnistes à travers la courbe de rendement dont l’inversion est la plus prononcée en 40 ans sur les maturités de 2 ans et 10 ans. Indicateur de récession, l’inversion de la courbe de rendement suggère que le ralentissement économique à venir devrait mettre un terme à l’inflation.

Autre facteur intéressant pointant vers une décélération de l’inflation, le fort ralentissement du rythme d’accroissement de la masse monétaire aux États-Unis. Après un pic de croissance annuelle à 26% en février 2021, le rythme d’accroissement de la masse monétaire se situe actuellement à 5%, une valeur en ligne avec l’historique des dernières années.

Tandis que les données officielles dépeignent une inflation résiliente, le marché anticipe un déclin net de celle-ci au cours des prochains mois. En resserrant agressivement sa politique monétaire tout en faisant fi de l’information transmise en direct par les marchés, la Fed reproduit l’opposé de son erreur de politique monétaire de la seconde moitié de 2021.

Alors figée dans un attentisme coupable devant une série d’indicateurs du marché pointant vers une accélération rapide de l’inflation, la Fed fait maintenant preuve d’hyperréactivité au moment où plusieurs indicateurs du marché signalent que l’inflation est en processus de décélération manifeste.

Malheureusement, en rehaussant encore plus son taux directeur tout en réduisant mensuellement son bilan financier à hauteur de 95 milliards de dollars américains, la Fed risque non seulement d’abattre l’inflation, mais de faire de même avec l’économie américaine. Sa détermination tardive à vaincre l’inflation risque de créer beaucoup plus de dommage à l’économie américaine que la banque centrale américaine ne veut l’avouer.