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Actions de BlackBerry et GameStop: doit-on se lancer?

La Presse Canadienne|Publié le 27 janvier 2021

S'il est tentant de suivre la tendance poussée par les réseaux sociaux, il s'agit avant tout d'un pari boursier.

Après la montée en flèche des actions de BlackBerry et de GameStop cette semaine en raison de leur visibilité sur les médias sociaux, les investisseurs pourraient être tentés de se lancer dans l’aventure, même si ces entreprises n’ont dévoilé rien de neuf qui pourrait expliquer la hausse du cours de leurs titres.

Mais aux yeux des experts, les investisseurs ne devraient pas se laisser emporter par les tendances de l’investissement seulement dans la crainte de rater la prochaine «affaire en or».

Bien qu’il soit possible de gagner de l’argent en sélectionnant des actions de façon individuelle, les probabilités font en sorte que cela ressemble davantage à un jeu de hasard qu’à une stratégie d’investissement, observe Dave Hardisty, de la chaire de marketing et des sciences de l’étude du comportement à la Sauder School of Business de l’Université de la Colombie-Britannique.

«C’est excitant, non?» a lancé M. Hardisty. «Mais ce n’est pas brillant.»

Ça peut certainement ressembler au gros lot pour ceux qui ont choisi le cheval gagnant: les actions de BlackBerry inscrites à la Bourse de Toronto ont bondi de 47,5 % au cours des cinq dernières séances. M. Hardisty reconnaît qu’il est dans la nature humaine d’accorder une attention disproportionnée à ceux qui font mieux que nous — surtout s’ils ont l’air de s’en mettre plein les poches sur les réseaux sociaux. 

Mais en réalité, poursuit M. Hardisty, même les investisseurs professionnels peuvent avoir du mal à choisir des actions individuelles, renvoyant à une théorie que le milliardaire Warren Buffett a mise à l’épreuve de façon célèbre lorsque son fonds indiciel choisi a remporté un pari contre un gestionnaire de fonds spéculatifs.

 

Plus de temps, moins d’argent

Lisa Kramer, professeure de finance à l’Université de Toronto, n’est pas étonnée de constater que la sélection de titres est devenue un sujet populaire sur les réseaux comme Reddit et TikTok pendant la pandémie de COVID-19. Vu la faiblesse des taux d’intérêt, les investissements sûrs comme les comptes d’épargne et les obligations ne suivent pas l’inflation, a-t-elle expliqué, alors le marché boursier devient plus intéressant. Entre-temps, les applications de négociation sans commission ont gagné en popularité et les marchés boursiers nord-américains sont passés d’une forte baisse, au printemps dernier, à de nouveaux sommets records.

Certaines personnes, observe Mme Kramer, se retrouvent coincées chez elles avec plus de temps que d’argent, si elles font partie des personnes poussées au chômage par la pandémie. D’autres peuvent avoir des horaires de travail à domicile plus flexibles et plus d’argent de poche à dépenser, étant donné que les lieux de divertissement traditionnels sont fermés.

Mais, poursuit Mme Kramer, les investisseurs inexpérimentés sont les plus vulnérables aux tendances dans la sélection de titres.

«Il est tout à fait naturel de se concentrer sur ce genre de mouvements sur les marchés, et il est très naturel de ressentir le besoin de se lancer (…) C’est quelque chose que nous voyons encore et encore au fil des décennies», affirme-t-elle.

«Les gens qui ont vécu la crise financière de 2008 — ou pour remonter encore plus loin, les gens qui ont vécu le boom de l’internet en 2000 — ces gens ont déjà assisté à ce genre de rodéo. Ils savent que ce n’est pas parce qu’on voit un cours de Bourse grimper, grimper et grimper qu’il ne va pas nécessairement continuer à le faire.»

 

Surpasser les perspectives commerciales

Le problème avec les paris sur des actions individuelles est que, à mesure que les actions d’une société augmentent, elles peuvent finir par surpasser les perspectives commerciales de l’entreprise, souligne pour sa part Kristi Ashcroft, chef des produits chez Mackenzie Investments, à Toronto.

«Avec ces tendances qui peuvent être entraînées dans un peu de manie ou d’abondance de sentiment positif, les valorisations de ces actions peuvent vraiment devenir indépendantes de leurs véritables perspectives commerciales», explique-t-elle.

«On peut voir des occasions de croissance importante en matière de ventes, mais parfois, cela est déjà pleinement compris dans les cours des actions. (…) Les gestionnaires de fonds professionnels ont un processus rigoureux pour examiner les entreprises, projeter leurs perspectives commerciales, modéliser les bénéfices futurs et à venir avec des évaluations raisonnables.»

Mme Ashcroft juge que toute stratégie d’investissement qui se concentre fortement sur une action, une zone géographique ou un secteur est risquée. Avant de faire un investissement, elle suggère aux gens de réfléchir à la raison de leur épargne — une tactique qui peut leur rappeler l’importance de leurs objectifs à long terme. 

«Comme pour n’importe quoi d’autre dans la vie, il y a très peu de raccourcis», dit Mme Ashcroft. «Les gens, généralement, sur les réseaux sociaux, mettent en valeur leurs succès. Il est possible qu’ils ne soient pas aussi éloquents sur l’investissement qui n’a pas fonctionné si bien pour eux.»

 

Un montant fixe pour le «divertissement» 

M. Hardisty suggère aux gens d’inscrire quelques dates sur leur calendrier, à quelques mois d’intervalle, pour jeter un oeil sur leurs investissements, plutôt que de suivre la Bourse tous les jours, pour éviter de se laisser prendre par les hauts et les bas quotidiens.

Mme Kramer convient que s’en tenir à un plan d’investissement sensé peut sembler ennuyeux, mais vérifier quotidiennement les actions peut devenir très addictif. Les investisseurs pourraient plutôt envisager de mettre de côté une petite partie fixe de leur portefeuille d’ensemble pour des investissements «amusants» ou plus spéculatifs.

Pour le reste des sommes investies — la part dont on a besoin pour plus tard dans la vie — Mme Kramer suggère le bon vieux «acheter et conserver».

«Si des gens ne peuvent vraiment pas résister à cette impulsion de se lancer et de détenir certaines de ces actions dont ils entendent parler sur les forums en ligne, alors au moins ils doivent circonscrire leur exposition», dit Mme Kramer. «Il est préférable de mettre de côté une fraction du portefeuille total pour la considérer comme un divertissement — une somme qu’on peut se permettre de perdre.»