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Philippe Leblanc

Entre les lignes

Philippe Leblanc

Expert(e) invité(e)

Une chose est certaine : le futur est incertain

Philippe Leblanc|Publié le 20 novembre 2020

Une chose est certaine : le futur est incertain

Je vous donne un exemple parmi d’autres: le titre de Couche-Tard. (Photo: Roméo Mocafico)

BLOGUE INVITÉ. Il est impossible d’être certain à 100% qu’un titre boursier sera un succès dans le futur. Si vous croyez en cette possibilité, je vous suggère de retourner à votre planche de travail. Si jamais quelqu’un vous présentait un tel investissement, soyez très sceptique. Le monde est incertain et il est impossible de prévoir le futur avec précision.

Je vous donne un exemple parmi d’autres: le titre de Couche-Tard, dont nous sommes actionnaires depuis 2001. J’estime que le titre a pratiquement tout pour plaire aux investisseurs: une feuille de route exceptionnelle, tant du point de vue de la croissance des bénéfices que de l’appréciation du titre depuis de nombreuses années, un bilan solide, un marché attrayant qui offre des possibilités de croissance attrayantes et enfin, une évaluation raisonnable. Selon nos données internes, les bénéfices par action de la société sont passés de 0,03$ US en 2001 (avril) à 1,98$ US à son dernier exercice. Pendant ce temps, le cours du titre est passé de près de 1,00$ l’action à son cours récent de près de 45,00$. J’ajouterais aussi que les dirigeants de la société ont démontré à maintes reprises qu’ils étaient d’excellents opérateurs et des acquéreurs d’entreprises hors pair.

Mais comme c’est toujours le cas lorsqu’on envisage d’investir dans un titre boursier, il y a des risques et des défis que la société devra surmonter dans le futur. C’est vrai pour tous les titres, mais c’est particulièrement vrai pour un titre qui s’échange à des ratios d’évaluation raisonnables et sensiblement moins élevés que ceux des marchés dans leur ensemble. Or, le titre de Couche-Tard s’échange à moins de 17,3 fois les bénéfices par action prévus au prochain exercice, ce qui se compare à un ratio d’environ 21,0 pour le S&P 500.

Pourquoi un tel escompte?

Je dirais qu’il y a au moins deux raisons.

La première est la menace des véhicules électriques. Le propriétaire d’un véhicule électrique aura vraisemblablement moins de raisons de se rendre dans les dépanneurs de Couche-Tard, dont 46% des bénéfices bruts sont provenus de la vente d’essence au cours du dernier exercice. Québec vient d’annoncer qu’aucune voiture neuve à essence ne pourra être vendue aux consommateurs de la province à compter de 2035. L’État de la Californie, un marché bien plus pesant que le Québec, a fait la même annonce en septembre dernier. En Norvège, près de 10% du parc automobile du pays était constitué de voitures électriques en octobre 2018. En 2019, 55,9% des autos vendues dans ce pays étaient électriques.

La deuxième raison a récemment été évoquée dans un excellent article d’Olivier Schmouker intitulé «L’IA, une terrible menace pour Couche-Tard?». En effet, le développement et l’avènement éventuel de voitures autonomes pourrait changer sensiblement les habitudes des consommateurs. Par exemple, une auto autonome pourrait très bien faire le plein d’essence par elle-même, sans la participation de son propriétaire, ce qui réduirait certainement la demande pour les marchandises offertes en magasin.

Je pourrais ajouter d’autres considérations, telles que la taille de l’entreprise (dont les revenus se chiffrent à près de 50 G$ US et la capitalisation boursière à 38,5 G$ US) qui pourrait freiner le rythme de sa croissance future ou la concurrence grandissante pour des acquisitions de taille significative.

Le fait que les dirigeants de Couche-Tard parlent ouvertement de ces risques à son modèle d’affaires est un élément positif qui me laisse croire que la société pourrait être en mesure de s’adapter aux changements futurs.

Mon point est qu’il n’existe pas de situations évidentes sans risques connus pour le modèle d’affaires d’une entreprise. C’est aussi sans compter tous les risques qu’on ne connaît même pas et qui sont susceptibles de surgir à tout moment – ce que Donald Rumsfeld avait appelé «l’inconnu inconnu» (en anglais, «unknown unknowns»). C’est le cas de Couche-Tard et je parie que c’est le cas de n’importe quelle entreprise que vous détenez dans votre portefeuille.

C’est justement pour cette raison qu’il est selon moi si risqué de payer un ratio d’évaluation très élevé pour le titre d’une entreprise, même si ses perspectives de croissance semblent claires et assurées.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

Chef des placements, COTE 100