Les meilleurs dirigeants optimisent l’allocation de leur capital
Philippe Leblanc|Publié le 27 novembre 2020Il n’est pas surprenant que Berkshire Hathaway, société dirigée par Warren Buffett, ait fait partie des huit sociétés sélectionnées par M. Thorndike dans son livre. (Photo: Getty Images)
BLOGUE INVITÉ. Le livre The Outsiders, écrit par William N. Thorndike et publié en 2012, présente huit présidents de société qui ont su créer énormément de richesse pour leurs actionnaires pendant des périodes de plusieurs années. Dans la plupart des cas, ces présidents ont connu du succès en attendant patiemment que se présentent des occasions d’acquisition ou de rachat d’actions à des prix très attrayants pour leurs actionnaires. De fait, ils ont su à la fois être très patients et prêts à agir, n’hésitant pas à investir une partie substantielle du capital de leur entreprise dans de telles occasions.
À mon avis, la grande force des huit dirigeants mis en évidence dans The Outsiders est leur capacité à bien allouer le capital de leur entreprise en l’investissant de manière opportune dans les options les plus attrayantes pour leur entreprise. En ce sens, ils ont démontré leur capacité à aller à contre-courant de ce qui semblait être l’opinion générale.
En supposant qu’une entreprise a du capital excédentaire à investir, un dirigeant d’entreprise a généralement plusieurs options d’investissement : investir de manière organique dans son entreprise afin de la faire croître, rembourser sa dette, verser des dividendes à ses actionnaires ou racheter ses propres actions. Chaque option devrait être évaluée en fonction du potentiel de rendement futur ainsi que des risques afférents, tout en tenant compte d’autres contraintes possibles. Par exemple, une société dont le titre fait l’objet de relativement peu de volumes de transactions en Bourse pourrait décider que des rachats d’actions ne sont pas à son avantage.
Il n’est pas surprenant que Berkshire Hathaway, société dirigée par Warren Buffett, ait fait partie des huit sociétés sélectionnées par M. Thorndike dans son livre. Peu d’entreprises ont réussi à créer autant de valeur pour leurs actionnaires que Berkshire Hathaway et M. Buffett a maintes fois démontré sa capacité exceptionnelle à investir le capital de la société de manière très efficace.
Je porte donc votre attention sur le fait que Berkshire Hathaway a racheté plus d’actions dans les derniers mois que jamais au cours de son histoire. En effet, à son plus récent trimestre clos le 30 septembre dernier, l’entreprise a racheté pour 9,0 G$ US (toutes les données de ce texte sont en dollars américains) de ses propres actions, ce qui constitue selon nous le plus haut niveau de rachats par la société dans un seul trimestre. Au cours des neuf premiers mois de 2020, les rachats ont totalisé 15,7G$. Ces rachats sont substantiels, même pour une entreprise dont la capitalisation boursière atteint près de 535G$.
On peut à mon avis tirer deux conclusions de ces rachats substantiels.
D’une part, MM. Buffett et Munger estiment que l’évaluation du titre de Berkshire est une occasion d’investissement intéressante. Dans le rapport annuel 2019 de la société, M. Buffett a écrit que «Berkshire rachètera ses actions seulement si a) Charlie [Munger] et moi croyons qu’elles s’échangent à un prix inférieur à leur valeur intrinsèque et b) la société, une fois ses rachats terminés, aura toujours amplement d’encaisse disponible.» Dans le même rapport, il a aussi écrit : «Si l’escompte entre le cours et la valeur (telle que nous l’estimons) s’accroît, nous deviendrons plus agressifs dans le rachat d’actions.» Il semblerait que les conditions ont été réunies au plus récent trimestre pour racheter plus agressivement.
D’autre part, je crois qu’on peut conclure que les dirigeants de Berkshire voient peu d’autres occasions d’investissement attrayantes. Il faut rappeler que, contrairement à la plupart des sociétés cotées en Bourse, Berkshire Hathaway lorgne à la fois les investissements dans des sociétés boursières existantes et l’achat complet de sociétés privées. Bien sûr, une des contraintes qui limitent ses possibilités d’investissement est la taille des investissements potentiels – elle n’a d’autre choix que de considérer des investissements d’au moins quelques milliards de dollars.
Les meilleurs « allocateurs » de capital ne considèrent pas seulement le potentiel de rendement des diverses options qui se présentent à eux, ils tiennent également compte du niveau de risque de chacune de ces options. Or, j’estime que des rachats d’actions, en présumant qu’on les fasse à un prix attrayant, est généralement l’option la moins risquée pour une entreprise. Car, contrairement aux acquisitions, les rachats d’actions n’amènent pas de mauvaises surprises.
Philippe Le Blanc, CFA, MBA
Chef des placements, COTE 100