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Philippe Leblanc

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Expert(e) invité(e)

La saga Luckin Coffee me rappelle celle de Sino-Forest

Philippe Leblanc|Publié le 17 avril 2020

La saga Luckin Coffee me rappelle celle de Sino-Forest

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. En juillet 2011, j’ai écrit ce qui suit dans la Lettre financière COTE 100:

«Sino-Forest, la plus importante société dans le secteur des pâtes et papiers au Canada, a fait les manchettes après qu’un analyste de Hong-Kong ait publié un rapport alléguant que la société a commis plusieurs irrégularités comptables, notamment en surévaluant la valeur de ses terres à bois de même qu’en réalisant des transactions entre ses filiales pour mousser ses ventes. L’avenir nous dira si l’analyste avait raison de s’inquiéter, mais les actionnaires n’ont pas attendu le rapport indépendant commandé par le conseil d’administration de la société, car le titre a chuté de plus 80% par rapport à son sommet des 52 dernières semaines atteint en février dernier… Même si aucun investisseur n’est à l’abri des fraudes, ces derniers événements nous rappellent trop bien que la Chine est loin des standards nord-américains en matière de conformité, de vérification et de transparence.»

Au cours des dernières semaines, j’ai suivi les développements d’une société chinoise qui m’a curieusement rappelé le cas de Sino-Forest. En effet, vous aurez peut-être entendu parler de la société chinoise Luckin Coffee («LK»), un concurrent chinois de Starbucks, dont le titre s’est récemment effondré en Bourse. Un peu à l’instar de Sino-Forest en 2011, le titre de Luckin s’est effondré de plus de 75%, le 2 avril dernier.

Apparemment, certains dirigeants de la société, dont son président (COO), auraient gonflé les revenus de près de 40% depuis le deuxième trimestre de l’an dernier. Il est d’ailleurs intéressant de noter que la fraude alléguée de Luckin avait au préalable été pointée du doigt par la firme spécialisée dans la vente à découvert, Muddy Waters, celle-là même qui avait mis au jour la fraude entourant Sino-Forest.

Je crois que les investisseurs qui pensent à long terme devraient tenter de profiter de la croissance future de pays émergents tels que la Chine. En même temps, je crois qu’investir directement dans ces pays est particulièrement dangereux. Je suis d’avis que le meilleur moyen de participer à la croissance économique de ces pays est d’y aller de façon indirecte: par le biais de multinationales nord-américaines qui ont des activités dans ces pays.

Si, comme moi, vous croyez qu’en Chine les cafés offrent un fort potentiel pour les nombreuses prochaines années, il est bien moins risqué de le faire par le biais de Starbucks que par Luckin, même si le potentiel de croissance de Starbucks en Chine est dilué par sa présence dans de nombreux autres pays à travers le monde. C’est le choix que nous avons fait en 2019 en acquérant des actions de Starbucks dans nos portefeuilles sous gestion.

La débâcle récente de Luckin Coffee nous rappelle qu’au moment d’investir, l’attrait d’une «belle histoire» ne peut se substituer à une analyse fondamentale et qualitative rigoureuse. En effet, parmi les risques d’investir à l’international, il faut tenir compte non seulement des risques de change et géopolitiques élevés, mais aussi de ceux liés à des standards de conformité, de vérification et de transparence bien moins élevés qu’en Amérique du Nord.

Par exemple, même si elle est inscrite à une Bourse nord-américaine, une société étrangère qui exerce ses activités dans une lointaine juridiction n’est pas nécessairement assujettie aux mêmes exigences réglementaires que les sociétés nord-américaines. Nous favorisons les sociétés qui publient un rapport annuel de forme 10K qui impose la divulgation de certains éléments clés.

Comme on dit, «a beau mentir qui vient de loin»!

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

COTE 100 possède des actions de Starbucks dans certains de ses portefeuilles sous gestion.