Votre chaîne d'approvisionnement peut-elle résister aux virus?

Publié le 22/02/2020 à 08:01

Votre chaîne d'approvisionnement peut-elle résister aux virus?

Publié le 22/02/2020 à 08:01

Des partisans de l'équipe de soccer de Nice, en France. (Photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE - Ebola, SRAS, A(H1N1), MERS… Les nouveaux virus sont de plus en plus fréquents en raison du changement climatique, de la déforestation et des contacts plus rapprochés entre les humains et des espèces exotiques. Maintenant, c’est le Covid-19, mais il y en aura d’autres, affirment les spécialistes en santé publique. Votre chaîne d’approvisionnement est-elle immunisée contre les virus perturbateurs?

L’enjeu est de taille pour la plupart des entrepreneurs du Québec. Car à l'exception d'une minorité de PME, les entreprises ont généralement une chaîne d’approvisionnement qui comprend un ou des fournisseurs à l’étranger, souvent en Chine, un pays qui abrite d’innombrables fabricants de pièces, de composants ou de sous-ensembles pour l'industrie manufacturière.

Quand il n'y a pas de crise, la gestion des opérations est relativement simple, même si le fait d’avoir un ou des fournisseurs à l’autre bout du monde nécessite une planification rigoureuse des commandes, notamment pour les produits saisonniers.

Par contre, la gestion des opérations peut devenir compliquée et coûteuse quand un virus comme le Covid-19 ébranle la Chine en raison des mises en quarantaine, des ralentissements de la production et des fermetures d’usines.

Si vous avez un fournisseur stratégique en Chine, les retards peuvent s’accumuler dans votre chaîne d’approvisionnement, vos coûts de production peuvent exploser et, pis encore, vous pouvez même perdre des clients insatisfaits qui doutent maintenant de votre fiabilité.

Pour l’heure, la crise du Covid-19 inquiète toujours l’Organisation mondiale de la santé (OMS), notamment en raison des premiers cas de contagion en Italie de personnes qui ne sont pas allées en Chine.

De plus, en Chine, les nouveaux cas sont repartis à la hausse ce vendredi, après avoir diminué pendant quatre jours consécutifs. Malgré tout, l’OMS affirme que «nous sommes encore dans une phase où il est possible de contenir l’épidémie», rapporte le quotidien français Le Monde.

Le cas échéant, la pire erreur à faire pour une entreprise serait de baisser la garde et de ne pas réfléchir à la manière de diminuer les risques potentiels de perturbation dans sa chaîne d’approvisionnement.

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Comment une entreprise peut-elle réduire ses risques?

J’ai posé la question à trois spécialistes en logistique et en stratégie d’affaires : Jean-Pierre Parrot, un homme d’affaires qui importe de la Chine et voyage souvent dans ce pays, Jacques Roy, professeur en gestion logistique et en transport à HEC Montréal, et Yan Cimon, professeur en stratégie à la Faculté d’administration de l’Université Laval.

Stratégie #1 – Ne misez jamais sur un seul fournisseur

Une chaîne d’approvisionnement, c’est comme un portefeuille en Bourse : il ne faut jamais miser sur un seul titre, car le risque est trop concentré. Si votre unique fournisseur stratégique est par exemple situé en Chine, il faut alors en trouver un second dans un autre pays asiatique comme le Vietnam, le Cambodge ou la Malaisie.

«Ça peut être un nouveau fournisseur, mais aussi votre fournisseur chinois qui a une autre usine à l’extérieur du pays», souligne Jean-Pierre Parrot, en précisant que plusieurs entreprises chinoises ont délocalisé une partie de leur production en Asie du Sud-Est en raison de l’augmentation des coûts de la main-d’œuvre en Chine.

Dans le meilleur des mondes, une entreprise devrait aussi tenter d’avoir des fournisseurs sur au moins deux continents, selon Jean-Pierre Parrot. Par exemple, pour les produits saisonniers (BBQ, articles de terrasses, etc.), on retrouve des fournisseurs en Asie, au Mexique et en Europe orientale.

(Photo : Getty images)

Stratégie #2 – Cartographiez votre chaîne d’approvisionnement

Les entrepreneurs sont débordés en raison des opérations quotidiennes.

Peu d’entre eux ont donc le temps de prendre du recul pour analyser leur chaîne d’approvisionnement afin d’identifier ses maillons forts et ses maillons faibles.

Malgré tout, ils devraient prendre ce temps, insiste Yan Cimon. Car cartographier sa chaîne d’approvisionnement permet de mieux anticiper le risque de rupture ou de perturbation. 

Il donne l’exemple du violent tsunami qui a frappé le Japon en mars 2011, et qui a perturbé la chaîne d’approvisionnement mondiale de plusieurs industries, à commencer par l’industrie automobile.

«Il y a eu une pénurie mondiale de pièces à cause de ce cataclysme. Si on avait cartographié la chaîne, on aurait vu le risque de concentration au Japon pour certains fournisseurs», affirme Yan Cimon.

Advenant un risque de concentration géographique, une PME peut soit faire affaire avec un second fournisseur dans un autre pays ou en identifier un avec qui elle conclut à l’avance une entente de service en cas de défaillance de son principal fournisseur.

Stratégie #3 – Rapatriez de la production au Canada si vous le pouvez

Comme le Canada a un système de santé efficace, une entreprise peut aussi réduire le risque que sa chaîne d’approvisionnement soit perturbée par un nouveau virus en rapatriant de la production au Canada ou en Amérique du Nord, souligne Jacques Roy.

De deux choses l’une : soit elle fabrique à nouveau elle-même au Canada des pièces qu’elle avait auparavant délocalisées en Asie pour réduire ses coûts, soit elle trouve un nouveau fournisseur établi au Canada ou aux États-Unis.

Dans les deux cas, le coût de production de cette société sera plus élevé, mais elle peut compenser ou atténuer cette hausse en augmentant sa productivité. «Investir dans les technologies d’automatisation peut permettre de rapatrier de la production», affirme Jacques Roy. 

Attention au business as usual

La crise provoquée par l’apparition du Covid-19 en Chine chambarde la chaîne d’approvisionnement de plusieurs entreprises au Canada et au Québec.

Si l’épidémie est contenue dans les prochaines semaines, les entreprises devront toutefois résister à l’envie de revenir à leurs vieilles habitudes, sans évaluer vraiment la résilience de leur chaîne d’approvisionnement.

En fait, le business as usual est carrément devenu dangereux.

La mondialisation des marchés et l’accroissement du trafic aérien permettent aux nouveaux virus de se propager plus rapidement dans le monde. Les entrepreneurs doivent en prendre acte.

De plus, les virus peuvent être plus dangereux comme le SRAS, qui était moins contagieux que le Covid-19, mais cinq fois plus mortel. Selon une étude menée par le Centre chinois de contrôle et de préventions des maladies, le Covid-19 a un taux de létalité de 2,3% comparativement à 9,6% pour le SRAS.

Enfin, on l'oublie souvent, les nouveaux virus peuvent apparaître partout dans le monde.

Certes, le Covid-19 et le SRAS sont originaires de la Chine. En revanche, le virus Ebola est apparu en Afrique, le MERS au Moyen-Orient et le virus influenza A(H1N1) d’origine porcine au Mexique.

C'est pourquoi les entreprises ont tout intérêt à se préparer en conséquence.

Après tout, comme dit l'adage, mieux vaut prévenir que guérir.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.