Pourquoi notre secteur agroalimentaire peine à percer en Europe

Publié le 31/12/2021 à 18:00

Pourquoi notre secteur agroalimentaire peine à percer en Europe

Publié le 31/12/2021 à 18:00

«En effet, il n’y a pas eu de gains très importants pour notre industrie», dit Martin Lavoie, PDG du Groupe Export agroalimentaire Québec-Canada. (Photo: 123RF)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Après plus de quatre ans de libre-échange avec l’Union européenne, le secteur agroalimentaire du Québec n’a toujours pas récolté les fruits de «l’ouverture» du plus grand marché de la planète aux produits québécois et canadiens, déplorent plusieurs sources.

Entré en vigueur en septembre 2017, l’Accord économique et commercial global (AECG) est la principale entente de libre-échange du Canada, et ce, devant l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (qui a a remplacé l’Accord de libre-échange nord-américain, en 2020) et l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP).

Or, malgré l’élimination des tarifs douaniers et de la réduction de barrières non tarifaires, les entreprises agroalimentaires québécoises peinent à percer le lucratif marché européen, selon le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation, André Lamontagne.

«On ne tire pas profit des opportunités», déclarait-il dans un entretien à Les Affaires cet automne, en expliquant que c’était les échos qu’il avait sur le terrain.

Martin Lavoie, PDG du Groupe Export agroalimentaire Québec-Canada, la plus importante association d’exportateurs de produits agroalimentaires au pays, confirme que les résultats escomptés il y a quatre ans ne sont pas vraiment au rendez-vous.

 

Peu de gains très importants en Europe

«En effet, il n’y a pas eu de gains très importants pour notre industrie. En revanche, il y a plus d’importations en provenance de l’Union européenne», dit-il.

Martin Lavoie donne l’exemple des boissons (incluant le vin), des viandes et des fromages européens, qui sont en croissance sur le marché québécois depuis l’entrée en vigueur du libre-échange avec l’UE en 2017.

Côté québécois, les céréales sont en progression sur le marché européen, ainsi que des produits nichés comme le sirop d’érable ou la canneberge. En revanche, le porc (un produit québécois vedette aux États-Unis et en Asie) n’arrive pas vraiment à faire sa place.

Par exemple, après une progression en 2018, les exportations de viandes porcines du Québec vers l'UE ont chuté en 2019, et elles ont poursuivi leur dégringolade en 2020.

En 2017, elles s‘élevaient à 60,1 milliards de dollars. En 2020 (qui inclut le début de la pandémie de COVID-19), nos expéditions s’établissaient à 18 G$, selon Statistique Canada.

 

Après une progression en 2018, les exportations de viandes porcines du Québec ont chuté en 2019, et elles ont poursuivi leur dégringolade en 2020. (Photo: 123RF)

Effet de la pandémie oblige, les échanges globaux (incluant tous les produits) du Québec avec l’UE sont également en recul depuis quatre ans. De 2017 à 2020, les exportations québécoises ont reculé de 4,9% à 9,7 G$. Sur la même période, les exportations européennes au Québec ont reculé 2,5% à 22,1 G$.

En revanche, si on analyse les neuf premiers mois de 2021, les exportations québécoises ont fait un bond de 14%, mais il y a un effet rattrapage –celles de l’Europe sur le marché québécois ont progressé quant à elles de 12,6%.

Comment expliquer la difficulté de l’ensemble des produits agroalimentaires à faire leur place sur le marché européen?

Martin Lavoie y voit plusieurs causes fondamentales.

 

Les enjeux de nos entreprises en Europe

L’offre locale est déjà très développée et diversifiée, avec une tradition très forte des Européens d’acheter des produits locaux.

Les règles sanitaires et phytosanitaires sont plus strictes en Europe, et l’Union européenne ne reconnaît pas toujours la réglementation canadienne dans ce domaine.

Le Québec est collé sur le marché américain, où les règles pour faire du commerce sont plus simples, sans parler d’une demande très forte pour les produits québécois, incluant le porc –c’est la même la même chose en Asie, où la demande est forte pour le porc québécois.

La difficulté des entreprises agroalimentaires québécoises à tirer leur épingle du jeu sur le marché européen tient aussi à leur manque d’intégration aux réseaux de distribution sur le vieux continent, explique une source experte en matière de commerce extérieur, qui préfère garder l’anonymat.

À titre de comparaison, les entreprises du Québec sont bien intégrées depuis très longtemps aux réseaux de distribution aux États-Unis, sans parler de la présence de joueurs clés du Québec sur le marché américain, comme Saputo et Agropur, dans la production de produits laitiers.

Les coûts de production plus élevés au Québec qu’en Europe peuvent aussi expliquer la raison pour laquelle nos entreprises agroalimentaires ont peut-être plus de difficultés à saisir les occasions d’affaires sur le marché européen, selon notre source experte.

 

Les producteurs européens sont subventionnés

Par exemple, dans l’Union européenne, les agriculteurs sont subventionnés, alors que ce n’est pas le cas au Québec et Canada.

Pour ce qui est de la gestion de l’offre (lait, œuf, volaille), les producteurs québécois et canadiens ne sont pas subventionnés. En revanche, ce système garantit une stabilité des prix aux producteurs et un certain plancher de revenus.

L’entrée en vigueur de l’AECG a représenté une étape importante dans l’ouverture de nouveaux marchés pour l’ensemble de nos entreprises, mais pas nécessairement pour le secteur agroalimentaire.

Certes, il y aura toujours une demande importante en Europe pour des produits nichés comme le sirop d’érable, la canneberge ou les céréales.

Toutefois, y vendre des produits moins nichés comme du fromage ou du jambon représentera toujours un défi.

Bien entendu, il y aura toujours des entreprises comme duBreton, un producteur de porc biologique qui a fait une percée en Europe, qui tireront leur épingle du jeu sur le marché européen.

Mais ce sera plus souvent qu’autrement l’exception qui confirme la règle.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.