Minéraux critiques et stratégiques: attention aux angles morts

Publié le 30/10/2020 à 19:25

Minéraux critiques et stratégiques: attention aux angles morts

Publié le 30/10/2020 à 19:25

Le premier ministre du Québec François Legault (photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE — Le gouvernement de François Legault a lancé officiellement ce jeudi sa stratégie pour valoriser les minéraux critiques et stratégiques (MCS) sur laquelle il planche depuis longtemps. Si cette stratégie est globalement bonne sur papier, le défi sera de l’exécuter tout en jonglant avec deux enjeux cruciaux: la concurrence australienne et le piège de la première transformation.

Les MCS sont essentiels dans plusieurs secteurs. Des entreprises utilisent par exemple du cobalt, du lithium, du nickel et du graphite pour fabriquer des batteries pour les ordinateurs portables et les téléphones intelligents, les voitures électriques et le stockage d'énergie.

Des industriels se servent aussi des éléments du groupe du platine pour fabriquer les disques durs d’ordinateurs, de même que des terres rares pour manufacturer des aimants permanents présents dans les moteurs électriques.

Dans son Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025 (PQVMCS), Québec identifie 22 minéraux jugés essentiels, dans lesquels on trouve d’ailleurs du lithium, du graphite et du nickel.

Le gouvernement investit 90 millions de dollars sur cinq ans (budgétés lors du dernier budget, en mars) pour mettre en œuvre ce plan, qui s’articule autour de quatre axes:

 

  • Accroître les connaissances et l’expertise sur les minéraux critiques et stratégiques
  • Mettre en place ou optimiser les filières de façon intégrée en partenariat avec les régions productrices de MCS
  • Contribuer à la transition vers une économie durable
  • Sensibiliser, accompagner et promouvoir

 

Actuellement concentré dans la première transformation (exploitation de mine), le Québec veut aussi à terme développer la deuxième (transformation de minerais en alliages ou en composant) et la troisième (fabrication d'équipements, comme des batteries pour les voitures électriques).

La stratégie de Québec mise aussi sur la transformation et le recyclage des minéraux critiques et stratégiques, et ce, afin de développer une économie circulaire.

Le sol québécois regorge de ressources minérales, déjà exploitées ou ayant le potentiel de l'être. C’est pourquoi Québec regarde avec beaucoup d’attention l’évolution de la demande mondiale dans les prochaines décennies pour les minéraux nécessaires à la transition énergétique.

À la lumière de ce graphique, on comprend pourquoi le cobalt, le lithium et le graphite sont au cœur de sa stratégie.

 

Source: Plan québécois pour la valorisation des minéraux critiques et stratégiques 2020-2025

Ne sous-estimons pas l’Australie

Cela dit, il ne suffit pas d’avoir des ressources immenses pour qu’elles soient un jour exploitées, les terres rares en sont un bon exemple.

Les sols canadiens et québécois en regorgent. Pourtant, le Canada et le Québec n’en produisent pas du tout malgré la demande mondiale en constante progression.

Pourquoi? Essentiellement en raison des prix de ces minéraux stratégiques sur les marchés, de la structure de la chaîne de valeur (concentrée en Chine) et des producteurs de terres rares qui n’hésitent pas à jouer du coude pour tenter de barrer la route aux nouveaux concurrents.

Aussi, le Québec pourrait être confronté à la même problématique avec certains des 22 minéraux critiques et stratégiques identifiés dans le plan gouvernemental. Et au chapitre de la concurrence, c'est surtout l'Australie qui pourrait poser à terme un risque pour la stratégie québécoise.

Or, le plan de 62 pages sur les MCS rendu public jeudi ne mentionne pas l’Australie.

Pas un mot.

La stratégie australienne —«Australia's Critical Minerals Strategy», publiée en mars 2019— ressemble pourtant à celle du Québec.

L'Australie ne veut pas uniquement produire et exporter des minéraux critiques et stratégiques. Elle veut aussi les transformer et développer des industries locales afin de profiter de l’explosion de la demande aux quatre coins du monde, incluant en Amérique du Nord.

De plus, le gouvernement australien a renforcé ses liens avec les États-Unis depuis que le président Donald Trump a signé, en décembre 2017, un ordre exécutif afin que le pays se dote d'une stratégie sur les minéraux critiques et stratégiques.

Comme le Québec, le sol de l'Australie regorge de MCS.

L'Australie compte déjà pour 33 % de la production mondiale de lithium. Pour le cobalt, le pays arrive au deuxième rang (4,5 % de la production mondiale), mais loin derrière la République démocratique du Congo qui en produit 58,5 %, selon l'agence d'investissements et du commerce Austrade.

Cette agence —qui a plus de 80 bureaux dans le monde— est très active pour attirer des investisseurs internationaux. Austrade a notamment aidé le géant américain du lithium Albemarle à développer son projet d'usine de traitement à l'hydroxyde de lithium (LiOH) à Kemerton, en Australie occidentale.

Certes, l’Australie est un peu excentrique par rapport au marchés européen et nord-américain.

Par contre, des fabricants des batteries établis dans ce pays pourraient fort bien acheminer par bateau leurs produits à des constructeurs de voitures électriques qui ont des usines aux États-Unis.

 

Le Québec est-il condamné à la première transformation?

Aller au-delà de la première transformation sera aussi un enjeu de taille pour le Québec, même si des progrès ont été faits en ce sens par des PME québécoises.

Dans le graphite, Nouveau Monde Graphite (NMG) est en voie de réussir le pari de la deuxième, voire de la troisième transformation.

En septembre, la PME —qui détient détient un gisement de graphite sur sa propriété de Matawinie, située au nord de Joliette— a signé une entente avec Forge Nano, une multinationale américaine spécialisée en ingénierie de surface et en technologies de nanoenrobage de précision.

Cette entente avec Forge Nano —qui compte parmi ses partenaires le constructeur automobile allemand Volkswagen— est très importante, car l’enrobage du graphite est la dernière étape du procédé requise pour compléter la gamme des produits finis de NMG destinée aux secteurs des véhicules électriques et de l’énergie renouvelable.

Dans les terres rares, la minière Géoméga a posé les jalons de la deuxième transformation, avec son usine de démonstration de recyclage de ces minéraux stratégiques à Saint-Bruno-de-Montarville, sur la Rive-Sud de Montréal.

Sa technologie recycle et traite des aimants permanents à base de terres rares que l'on retrouve notamment dans les voitures électriques et les éoliennes.

La stratégie de cette PME est assez unique. Elle veut démontrer que le Québec et l'Amérique du Nord peuvent faire de la deuxième transformation de terres rares à grande échelle.

Aussi, quand la demande nord-américaine sera plus importante pour les produits issus de la deuxième transformation locale de terres rares pour les aimants permanents, Géoméga pourrait alors décider d'exploiter son propre gisement près de Lebel-sur-Quévillon, au nord de Val-d'Or.

Pour l'instant, ces deux entreprises sont toutefois l'exception qui confirme la règle.

Dans le lithium, le Québec a beaucoup de potentiel. Par contre, la filière québécoise (Galaxy Resources, Sayona Québec, Corporation Lithium Éléments Critiques, Nemaska Lithium et Lithium Amérique du Nord) éprouve des difficultés.

Aussi, la deuxième et la troisième transformation ne sont pas pour demain, du moins dans l’état actuel des choses.

 

Le scénario qui changerait tout

En fait, le Québec fait face à un risque de marché.

Puisque les constructeurs de voitures électriques sont déjà installés et s’installeront avant tout aux États-Unis dans les prochaines années, il est très probale que les joueurs de la deuxième transformation (alliages et composants) et de la troisième transformation (batteries pour les voitures électriques) s’installent près des usines de leurs principaux donneurs d’ordres.

Aux États-Unis.

Le Québec se spécialiserait alors essentiellement dans la première transformation dans la chaîne de valeur des MCS en Amérique du Nord.

À moins bien entendu que le gouvernement réussisse à convaincre un grand constructeur de voitures électriques comme Tesla de s’implanter au Québec —rêvons un peu.

Le cas échéant, la présence d’immenses ressources minérales dans un État stable et la présence d’un gros joueur comme Tesla —continuons de rêver— inciteraient sans doute les autres acteurs de la chaîne de valeur de MCS de s’installer au Québec

Bref, ce serait un «game changer».

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.