Logistique: comment mieux résister aux catastrophes naturelles

Publié le 20/11/2021 à 08:30

Logistique: comment mieux résister aux catastrophes naturelles

Publié le 20/11/2021 à 08:30

Des semi-remorques et des voitures sont abandonnées sur la route 1, alors que l'eau continue de couvrir les voies en direction est de la route, le 18 novembre, à Abbotsford, en Colombie-Britannique. (Photo: Getty Images)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. Le réveil est brutal pour les entreprises qui doutaient encore que les changements climatiques puissent avoir un impact sur leurs activités à la lumière des terribles inondations en Colombie-Britannique. Non seulement le commerce avec l’Asie ralentira durant des jours (voire des semaines), mais les chaînes logistiques seront de plus en plus vulnérables à ce type de catastrophes naturelles.

Ce vendredi, le port de Vancouver –le plus important au Canada– était encore paralysé en raison des dommages causés aux routes et aux chemins de fer dans le sud-ouest de la province. Et des dizaines de cargos attendaient encore au large de Vancouver, incapables de décharger leurs précieuses cargaisons.

De son côté, le service ferroviaire du Canadien National et du Canadien Pacifique était aussi toujours interrompu dans certaines régions, sans date précise pour un retour à la normale.

«Les opérations du CP entre Spences Bridge et Falls Creek, en Colombie-Britannique, restent suspendues à la suite de fortes pluies qui ont entraîné de multiples pannes de voies», souligne le CP dans un communiqué, qui estimait vendredi en fin de journée que le service pourait être rétabli au milieu de la semaine.

Même son de cloche du côté du CN: «Le trafic en direction du nord et de l'est de Vancouver, ainsi que le trafic en direction de Vancouver en provenance de l'est et du nord de Kamloops sont toujours touchés par la situation.»

Dans ce contexte, de nombreuses entreprises exportatrices et importatrices, du commerce de détail au secteur manufacturier, n’arrivent pas ou peinent à commercer avec l’Asie à partir de la côte ouest.

Et, malheureusement, à court terme, il y a peu de solutions miracles hormis le fret aérien, alors que les ports de Los Angeles et de Seattle (Tacoma) sont déjà saturés, affirment des spécialistes en logistique que j’ai interviewés.

Certes, la situation reviendra graduellement à la normale… Jusqu’à la prochaine crise.

Car, il y en aura malheureusement d’autres en raison des changements climatiques –c'est la science qui le dit.

Bref, les entreprises devront apprendre à évoluer dans un environnement dans lequel les chaînes logistiques peuvent être perturbées ou interrompues pendant un certain temps. Elles doivent donc s’y préparer en rendant leurs activités d'approvisionnement et de commercialisation plus résistante aux perturbations.

La bonne nouvelle, c’est qu’il y a des solutions à moyen et à long termes pour y arriver.

 

Stockez davantage en fonction du risque

Même si nous sommes à l’ère du juste-à-temps, stocker davantage en prévision d’une rupture de la chaîne logistique peut s'avérer une décision avisée. Bien entendu, cela entraîne des coûts supplémentaires et réduit la compétitivité des entreprises.

En revanche, manquer de biens finis, de pièces ou de denrées représente aussi un coût en termes de ventes non réalisées, de clients mécontents pouvant aller voir chez la concurrence, sans parler d’une atteinte durable à la réputation corporative.

«Il faut prendre une décision en fonction d’une analyse de risque», insiste Jacques Roy, spécialiste en transport à HEC Montréal.

Pierre Dolbec, président du courtier en douane Dolbec International à Québec, croit également que constituer des stocks raisonnables dans certaines circonstances peut réduire les risques logistiques.

Il note d’ailleurs qu’une partie de ses clients ont récemment adopté cette approche afin de mieux résister aux perturbations des chaînes logistiques depuis le début de la pandémie de COVID-19.

«Des entreprises qui fonctionnaient à 90% en juste-à-temps et à 10% avec des stocks affichent désormais une proportion de 80-20», dit-il. En revanche, à ses yeux, il ne faut pas revenir à l’ancien système sans juste-à-temps, car il était très coûteux et inefficace.

 

Diversifiez vos routes commerciales

Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier, dit l’adage populaire.

C’est la raison pour laquelle les exportateurs et les importateurs devraient s’appuyer sur au moins deux routes commerciales pour commercer avec l’Asie ou d’autres régions du monde, estime Christian Sivière, président de la firme-conseil en commerce international Solimpex, à Montréal.

«Imaginons une entreprise qui veut exporter 10 conteneurs en Chine. Eh bien, elle pourrait en faire transiter 5 par le port de Vancouver et 5 par le port de Montréal ou d'Halifax, et ce, en passant par la Méditerranée et le canal de Suez», dit-il.

 

Le port de Montréal permet de commercer avec des marchés en Asie via la Méditerranée et le canal de Suez. (Photo: courtoisie)

 

La route commerciale par l'Atlantique est plus longue en termes de temps (en raison du cabotage dans différents ports, notamment en Europe), mais elle est moins dispendieuse que la route du Pacifique pour les entreprises.

Dans certaines situations, le transport de marchandises ou de composants stratégiques (des semi-conducteurs, par exemple) par fret aérien peut aussi être une option intéressante, affirment Jacques Roy et Pierre Dolbec.

 

Achetez de fournisseurs situés plus près de vous

Dans la mesure du possible, les entreprises devraient avoir des fournisseurs situés dans les Amériques, car cela réduirait le risque d’une interruption dans leur chaîne d'approvisionnement en raison de la présence d’un vaste réseau routier et ferroviaire en Amérique du Nord.

Toutefois, il y a une contrainte majeure: la chaîne d’approvisionnement continentale n’offre pas la même variété de pièces, de composants et de biens finis à moindre coût comparativement à celle de pays comme la Chine, la Malaisie ou le Vietnam.

Selon Christian Sivière, c’est la raison pour laquelle la plupart des entreprises canadiennes préfèrent s’approvisionner en Asie.

Toutefois, si vous trouvez un fournisseur équivalent au Mexique, par exemple, il faudrait néanmoins évaluer cette alternative même si elle est plus dispendieuse, insiste Jacques Roy.

Comme pour la gestion des stocks, il faut faire une analyse rigoureuse du risque.

Ainsi, il faut comparer le coût supplémentaire de s’approvisionner auprès d’un fournisseur mexicain (par exemple, 100 000$ de plus par année) au coût de voir sa chaîne logistique interrompue pendant un certain temps (par exemple, durant 2 semaines, occasionnant des pertes de 2 millions de dollars).

Bref, il faut voir un peu ces coûts supplémentaires au Mexique comme une police d’assurance incendie: si votre résidence brûle un jour, vous serez soulagé d’avoir payé des primes durant des années afin d'éviter une note beaucoup plus salée.

Ces trois solutions ne sont certes pas une panacée. Toutefois, elles permettent certainement de réduire vos risques logistiques. Mais en fin de compte, tout dépend de votre tolérance au risque.

Si vous êtes à l’aise avec le statu quo, eh bien, continuez à commercer uniquement avec l’Asie via le port de Vancouver, en espérant qu’une autre catastrophe naturelle ne viendra pas encore une fois perturber cette route commerciale.

En revanche, si vous estimez que le risque est maintenant beaucoup trop élevé et croissant en raison des changements climatiques, il serait peut-être temps alors de considérer d’autres options afin de rendre votre chaîne logistique plus résistante.

Sans pour autant renoncer à utiliser le port de Vancouver.

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.