Coronavirus: petit guide de survie pour les entrepreneurs

Publié le 07/03/2020 à 08:38

Coronavirus: petit guide de survie pour les entrepreneurs

Publié le 07/03/2020 à 08:38

Le président de Flexpipe Julien Depelteau, l'entrepreneure chinoise Elena Uang ainsi que le directeur des opérations de Flexpipe, Benjamin Ricard. (Source photo: Flexpipe)

ANALYSE ÉCONOMIQUE – On va se dire les vraies affaires. À moins d’un revirement spectaculaire, les cas de coronavirus se multiplieront au Canada, chamboulant la vie de plusieurs entreprises. Est-ce la fin du monde? Non. Est-ce que ça va faire mal? Oui. Peut-on limiter les dégâts? Certainement, Flexpipe, une PME de Farnham qui a un fournisseur stratégique en Chine, démontre qu’on peut continuer à brasser des affaires malgré tout.

Établie en Montérégie, cette entreprise manufacturière de 45 employés assemble des produits modulables pour la manutention de matériaux destinés aux chaînes de montage nord-américaines dans l’automobile et l’aéronautique. Elle vend aussi des pièces de produits modulables.

La PME réalise 40% de ses revenus au Canada et 60% aux États-Unis.

L’apparition du Covid-19 en Chine a fait très mal à Flexpipe, car son principal fournisseur de composants exploite son usine en Chine, à Tianjin, une ville côtière de plus de 10 millions d’habitants située au sud-est de la capitale Pékin.

«On est concentrés en Chine. Environ 80% de nos composants sont importés de ce fournisseur chinois», raconte le président de la PME, Julien Depelteau, qui rend souvent visite à ce fournisseur dont les dirigeants sont d’ailleurs devenus des amis au fil des ans.

Flexpipe achète le reste de ses composants en Corée du Sud (10%) et au Canada (10%).

Or, pendant un mois, l’usine de son fournisseur chinois a complètement fermé en raison de l’épidémie de conoravirus en Chine -actuellement, elle fonctionne seulement à 50% de ses capacités, car des employés sont en quarantaine.

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Il va sans dire que la PME de Farnham a senti l‘onde de choc.

«Pour l’absorber, on a misé sur nos inventaires de composants que nous avions au Québec. On les a d’ailleurs presque tous utilisés. Mais on a quand même dû mettre à pied 4 employés en raison du ralentissement de notre production», dit Julien Depelteau.

La PME a évité d’autres mises à pied en demandant à deux employés de prendre leurs vacances à l’avance et en confiant des tâches importantes, mais non essentielles à d’autres employés, telles que la numérisation des états financiers et la bonification de la base de données.

Un travailleur a même pris un congé paternité à l’avance.

«Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, il fallait à tout prix garder nos employés et les occuper à faire autre chose», insiste l’entrepreneur, en indiquant que les quatre employés mis à pied ont déjà réintégré leur poste.

Bref, la vie revient tranquillement à la normale chez Flexpipe, et la production devrait reprendre sa cadence normale d’ici deux semaines, estime Julien Depelteau.

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La stratégie de la PME

Comment Flexpipe a-t-elle limité les dégâts?

Elle a d’abord demandé rapidement à son fournisseur sud-coréen de lui produire davantage de composants afin de compenser en partie la fermeture de l’usine de son fournisseur chinois.

Par contre, le fournisseur sud-coréen n’a pas pu augmenter du jour au lendemain sa production afin d’approvisionner davantage Flexpipe. «Il nous a aidés, mais nos coûts ont augmenté, car les composantes sont différentes d’un fournisseur à l’autre», explique Julien Depelteau.

L'usine du fournisseur de Flexpipe en Corée du Sud (Source photo: Flexpipe)

À ce jour, le coronavirus a fait perdre 200 000$ à la PME, sur un chiffre d’affaires qui se situe dans une fourchette oscillant de 8 à 12 millions de dollars.

La moitié pour des pertes de revenus (des ventes non réalisées en Amérique du Nord), l’autre moitié attribuable à des coûts supplémentaires pour augmenter la production du fournisseur en Corée du Sud et acheminer les pièces ici le plus vite possible.

Quant au fournisseur canadien, il n’a pas été en mesure de donner un coup de pouce à l’entreprise québécoise, car il est incapable de fabriquer les composants manufacturés en Asie.

Par ailleurs, Flexpipe a également pu limiter les dégâts un peu grâce au hasard, admet l’entrepreneur.

«On voulait ouvrir un centre de distribution à Los Angeles le 1er mars. Mais face à la crise en Chine, nous avons reporté son ouverture et transféré les inventaires dans notre centre de distribution à Atlanta afin de continuer à desservir nos clients américains.»

Les ventes de Flexpipe ont quand même diminué, mais l’entreprise n’a perdu aucun client, assure Julien Depelteau.

Bref, dans les circonstances, la PME de Farnham s’en tire relativement bien.

Pour autant, elle va revoir sa chaîne d’approvisionnement afin qu’elle soit beaucoup plus résiliente à l’avenir.

L’entreprise va d’abord diversifier sa quantité de fournisseurs, mais sans renoncer à ceux en Chine et en Corée du Sud. «On regarde pour des approvisionnements potentiels au Vietnam, en Thaïlande et en Malaisie. On a aussi été approchés par un fournisseur en Turquie et un autre Indonésie», souligne Julien Depelteau.

Toujours tester ses alternatives

Plus important encore, la PME va tester ces fournisseurs.

«C’est bien d’avoir un plan B ou C, mais il faut le tester et le garder en vie», insiste-t-il.

Par exemple, au lieu de commander des composants à la pièce auprès des nouveaux fournisseurs, il compte commander un conteneur afin de tester le cycle d’importation (commande, production, livraison) qui peut durer environ 6 semaines.

Il n’exclut pas non plus de rapatrier un jour de la production en Amérique du Nord, mais il avoue que cela représente des défis majeurs.

D’une part technique, parce qu’actuellement aucun fournisseur ne fabrique les composants de qualité que Flexpipe achète en Asie. Bien sûr, une entreprise pourrait à terme les fabriquer, mais il lui faudrait plusieurs clients, pas seulement Flexpipe.

D’autre part, parce le coût de production serait plus élevé qu’en Chine ou en Corée du Sud, mais avec des délais de livraison plus courts et des frais de transport moins élevés.

Chose certaine, Flexpipe est mieux outillée que bien des entreprises manufacturières québécoises et canadiennes pour faire face aux cas de coronavirus qui se multiplieront sans doute au Canada dans les prochaines semaines.

Julien Depelteau a tiré plusieurs leçons ces dernières semaines.

En temps de crise, il faut plus que jamais pouvoir compter sur plusieurs fournisseurs, avoir des stocks en quantité raisonnable, et tout faire pour ne pas perdre de clients pendant la tempête, même si cela signifie de voir fondre une partie de ses revenus.

Ah oui, il faut aussi avoir un peu de chance.

Mais surtout, il faut garder son calme et évaluer toutes les options sur la table, car il y a toujours des solutions -parfois dispendieuses- si l’on se creuse vraiment les méninges et qu’on maintient une bonne relation avec ses fournisseurs et ses clients.

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Zoom sur le Québec, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Québec, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle et les politiques de développement économique. Journaliste à Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Actuellement, il fait un MBA à temps partiel à l'Université de Sherbrooke. François connaît bien le Québec. Il a grandi en Gaspésie. Il a étudié pendant 9 ans à Québec (incluant une incursion d’un an à Trois-Rivières). Il a été journaliste à Granby durant trois mois au quotidien à La Voix de l’Est. Il a vécu 5 ans sur le Plateau Mont-Royal. Et, depuis 2002, il habite sur la Rive-Sud de Montréal.