Pourquoi Tim Hortons n'achète pas Burger King?

Publié le 26/08/2014 à 15:27

Pourquoi Tim Hortons n'achète pas Burger King?

Publié le 26/08/2014 à 15:27

Bien que de plus petite taille que Burger King, Tim Hortons est plus rentable, mieux géré et jouit d’une valeur boursière équivalente à celle de Burger King. Alors pourquoi ce n’est pas Tim Hortons qui cherche à acheter Burger King?

Hélas, il faut rappeler quelques faits survenus au cours de 2013 chez Tim Hortons. Au début de 2013, deux fonds « activistes » (Scout Capital Management et Highfields Capital, deux «hedge funds») tournoient autour de la société Tim Hortons. Les deux fonds, détenant à ce temps 7 % et 4 % respectivement des actions de Tim Hortons, demandent à être entendus par la direction.

Bien qu’admirablement gérée et connaissant un grand succès commercial, la société Tim Hortons, disent-ils et écrivent-ils,  pourrait créer encore plus de valeur pour les actionnaires. 

Leurs recommandations consistent essentiellement en trucs d’ingénierie financière :

Ces mesures auraient pour effet, prétendent-ils, de hausser le bénéfice par actions et le rendement sur les capitaux propres ainsi que, ipso facto, de mousser le titre de Tim Hortons. Voici ce qu’écrit l’un de ces fonds, un énoncé iconique qui encapsule tout ce qui différencie le capitalisme financier du capitalisme industriel :
Traduction «Nous sommes d’avis que la croissance du bénéfice provenant des mesures [d’ingénierie financière] recommandées serait très supérieure (et comporte beaucoup moins de risque d’exécution) que de tenter de croitre en continuant d’investir dans le marché américain ». (Lettre de W. Ackman adressée au Président du conseil et CEO de Wendy’s International, le 11 juillet 2005).

De prime abord, la direction et le conseil d’administration de Tim Hortons ne sont pas impressionnés et éconduisent poliment les deux fonds activistes. Ceux-ci reviennent à la charge et, semble-t-il, arrivent à convaincre le conseil du bien-fondé de leurs recommandations. 

La société ajoute à son conseil d’administration deux membres provenant des milieux financiers (qui en comptait déjà trois); puis, le 8 août 2013, la société annonce que le conseil d’administration a donné son aval à un endettement de 900 millions de dollars, et ce, afin de procéder au rachat d’actions. Le plan cible un rachat d’une valeur d’un milliard de dollars sur une période de 12 mois. Le tableau ci-dessous rend compte de l’effet de ce plan sur certains postes du bilan, de même que sur plusieurs ratios relatifs à la dette et aux capitaux propres.

Donc, en dix-huit mois, Tim Hortons se transforme d’une société faiblement endettée (ratio d’endettement de 26,4%) en une entreprise fortement endettée (77,3 %). Les capitaux propres ont fondus, passant de $1,2 milliard à $384 millions (puisque tout rachat d’actions à une valeur boursière supérieure à la valeur comptable provoque une réduction des capitaux propres équivalente à la différence entre ces deux montants).

Le titre de Tim Hortons grimpe de 55 $ en juillet 2013 à 62 $ en fin de 2013, un gain de 13 %, juste le temps pour certains fonds de se retirer à profit; mais les marchés réalisent rapidement qu’avec cette nouvelle structure de capital et sa stratégie financière, Tim Hortons devra ralentir sa croissance aux États-Unis, ce qui fait retomber le titre à 58 $ en juillet 2014.

Donc à court terme, le marché boursier réagit comme prévu mais à plus long terme, la croissance par ingénierie financière ne pouvant se maintenir, le titre revient à sa valeur intrinsèque.

Le Tim Hortons de décembre 2012, avec un ratio d’endettement très faible, aurait pu se permettre d’envisager faire une offre pour acquérir Burger King. Le Tim Hortons de juillet 2014 n’a plus la flexibilité ni la latitude financières pour mener une telle opération. Voilà le rôle que jouent trop souvent ces fonds dit « activistes » dont on encense la performance financière sans tenir compte de leurs effets délétères.
  
S’il en avait eu la capacité financière, Tim Hortons aurait-il avantage à tenter d’acquérir Burger King? Tim Hortons jouit déjà des avantages de la fiscalité canadienne, dont on suppose qu’elle constitue la pierre d’assise de la transaction (Certains observateurs estiment que le transfert du siège juridique de Burger King au Canada aurait aussi pour motif d’amadouer Investissement Canada qui devra donner son aval à la transaction pourvu que « celle-ci apporte des bénéfices tangibles au Canada»)

Toutefois, il faut rappeler que de 1995 à 2005 Tim Hortons fit partie du groupe Wendy’s International (Wendy’s étant le concurrent direct de McDonald’s et Burger King). En 2005, des fonds activistes, dont celui de l’omniprésent Bill Ackman (Pershing Square – qui détient d’ailleurs tout près de 11% des actions de Burger King), montèrent aux créneaux pour que Wendy’s se départisse de Tim Hortons en l’inscrivant en Bourse.

Dans une lettre adressée à la direction de Wendy’s, Ackman, qui en détenait alors 9,9% des actions, écrit :

Traduction « Nous croyons que plusieurs actionnaires de Wendy’s ainsi que les analystes de Wall Street pensent comme nous qu’il n’y a pas de bénéfices à regrouper Tim Hortons dans la structure corporative de Wendy’s, étant données les synergies minimales entre les deux entités… Nous croyons qu’aussi longtemps que Tim Hortons est sous le parapluie corporatif de Wendy’s, la société se transigera à une valeur déprimée. » (Lettre de W. Ackman adressée au Président du conseil et CEO de Wendy’s International, le 11 juillet 2005.)


En d’autres mots, c’est une mauvaise idée de réunir au sein d’une même société deux entités aussi disparates que Wendy’s (ou Burger King) et Tim Hortons.
Ne soyons pas surpris si, dans quelques années, des fonds activistes exigent à nouveau la séparation de Tim Hortons de Burger King! Peut-être lorsque les bénéfices de l’inversion fiscale se seront atténués… 

Texte écrit en collaboration avec François Dauphin, directeur de projets de l'IGOPP.

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(Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que son auteur).    

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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