Le Québec : sièges sociaux et prises de contrôle

Publié le 24/02/2014 à 13:40

Le Québec : sièges sociaux et prises de contrôle

Publié le 24/02/2014 à 13:40

Le rapport du mal-nommé Groupe de travail sur la protection des entreprises québécoises a été rendu public sous forme d’annexe au budget présenté jeudi le 20 février par le ministre des Finances. Son mandat comportait deux volets :

• Recommander des mesures qui pourraient favoriser le maintien et le développement des sièges sociaux au Québec;

• Recommander des mesures qui pourraient permettre aux entreprises du Québec de mieux se protéger contre des prises de contrôle non souhaitées.

En fait, le Groupe de travail devait surtout résoudre deux dilemmes :

1. Le rapport du Groupe de travail fait derechef le constat que l’attrait et la rétention de sièges sociaux s’appuient sur des considérations fiscales, politiques et sociales; la stabilité politique, un climat social harmonieux, une bonne qualité de vie, le coût de la vie jouent un rôle important dans ces décisions. Comment traiter de ces sujets sans déborder du cadre du mandat établi pour le Groupe de travail?

2. L’enjeu des prises de contrôle «hostiles» est canadien et non seulement québécois. Si les propositions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) étaient endossées par les autres commissions des valeurs mobilières du Canada (et surtout par la commission ontarienne), le Canada jouirait alors d’un régime en matière de prise de contrôle non souhaitée qui serait semblable à l’État du Delaware aux États-Unis (où plus de 60% des grandes entreprises américaines ont leur siège juridique). Ce résultat nous conviendrait parfaitement puisque les conseils d’administration retrouveraient alors leur autorité pour évaluer si, oui ou non, une offre d’achat pour leur société est conforme à l’intérêt à long terme de la société, tenant compte des intérêts des parties prenantes concernées.

Or, le dilemme est le suivant : que le Gouvernement du Québec devrait-il faire si les propositions de l’AMF sont rejetées et que le régime actuel est maintenu, lequel dépouille les conseils d’administration de toute autorité et ne fournit aucune protection contre les prises de contrôle « hostiles »?

Sièges sociaux

Le Groupe de travail, présidé par Claude Séguin, a accompli un travail sérieux et particulièrement utile en ce qui concerne le rôle et l’importance des sièges sociaux pour l’économie du Québec (578 sièges sociaux, environ 70 000 emplois directs et indirects, quelque 5 milliards $ de contribution au PIB québécois).

À juste titre, le Groupe de travail s’inquiète de l’amenuisement des avantages relatif du Québec par comparaison à d’autres lieux, ce qui « accentue l’effet négatif de faiblesses réelles ou perçues.» Le message est discret et feutré mais néanmoins clair!

Le Groupe de travail propose quelques mesures qu’il juge susceptibles de rendre le Québec plus attrayant pour d’éventuels sièges sociaux (ou conserver ceux qui sont déjà là). Bien que conceptuellement plausibles, certaines des mesures suggérées risquent fort de rester sans suite politique. Ainsi, la suggestion de diminuer les impôts que doivent payer les hauts dirigeants d’entreprises lors de l’exercice de leurs options d’achat d’actions, même si ce n’est que pour rendre la fiscalité québécoise comparable à la fiscalité des autres provinces canadiennes, ne s’inscrit pas dans le Zeitgeist du moment.

Par contre, les recommandations du Groupe de travail portant sur la transmission de la propriété des entreprises d’une génération à la suivante ou à des dirigeants québécois appuyés par des fonds d’investissement méritent d’être mises en place dans les meilleurs délais.

Évidemment, une façon de protéger les sièges sociaux du Québec consiste à empêcher l’acquisition d’entreprises québécoises par des entreprises « étrangères » contre la volonté des dirigeants et administrateurs de la société. C’est par ce biais que les deux volets du mandat donné au Groupe de travail prennent un certain sens.

Prises de contrôle non souhaitées

Ce Groupe de travail a été créé dans la suite de l’affaire RONA. La velléité de la société américaine Lowe’s d’acquérir RONA survenant à la veille d’une campagne électorale au Québec avait suscité un vif émoi et un consensus politique qu’il fallait se donner les moyens de bloquer de telles manœuvres « hostiles ».

Or, comme le note le rapport du Groupe de travail, les tentatives « hostiles » de prise de contrôle d’entreprises québécoises par des entreprises « étrangères » sont peu nombreuses. De 2001 à 2013, on ne compte que sept (7) tentatives de cette nature (sur un nombre total de 671 transactions d’acquisitions). Quatre d’entre elles ont échoué ou furent abandonnés; trois menèrent à une vente de l’entreprise à un acquéreur autre que celui qui avait initié la tentative « hostile ». Parmi ces trois cas, on trouve, bien sûr, Alcan et Microcell.

Par ailleurs, le rapport du Groupe de travail rapporte les données colligées par l’auteur de ces lignes montrant que des 50 plus grandes entreprises québécoises (selon leur valeur boursière), la moitié n’est pas vulnérable à une prise de contrôle non souhaitée parce qu’un actionnaire (ou des actionnaires reliés) détient le contrôle effectif de la société, ou en vertu des lois canadiennes protégeant la propriété des banques, des sociétés d’assurance, de télécommunications et de transport aérien.

Pour les 25 entreprises « vulnérables » à une tentative de prise de contrôle non souhaitée, seulement 8 sont constituées en vertu de la loi québécoise, les 17 autres étant constituées selon la loi fédérale.

Ces données mettent en perspective la gravité toute relative du problème et les enjeux que soulève toute intervention de nature législative entreprise par le seul gouvernement du Québec.

Le Groupe de travail aboutit à un ensemble de recommandations visant à donner une autorité accrue aux conseils d’administration dans ces situations d’offres d’achat non souhaitées. Voyons donc :

• Amender la loi québécoise sur les sociétés par actions pour permettre à une société d’accorder un droit de vote additionnel pour les actions détenues depuis plus de deux ans; cette mesure existe en France entre autres pays. Cette proposition est inférieure à celle défendue depuis plusieurs années par l’IGOPP qui consiste à n’accorder le droit de vote qu’après une période de détention d’une année. Cette façon de faire s’apparenterait tout naturellement au concept démocratique de citoyenneté; un nouvel arrivant dans un pays y acquiert des droits et des obligations mais le droit de vote seulement après une période de temps et l’acquisition de la citoyenneté. La mesure proposée par l’IGOPP a le grand avantage d’être plus simple à gérer et de vraiment limiter l’influence des actionnaires touristes et spéculateurs qui affluent lors de toute annonce d’offre d’achat d’une entreprise. Compte tenu que la période de détention moyenne des actions par les investisseurs institutionnels dit patients et de « longue » durée tourne autour de 1,82 an, ceux-ci ne pourraient influencer sensiblement le cours des évènements selon la proposition du Groupe de travail.

Enfin, pour que de telles mesures soient efficaces, il faudrait que la loi fédérale sur les sociétés par actions soit également amendée. Or, il me semble plus facile de convaincre le législateur fédéral d’inclure une mesure apparentée à la citoyenneté qu’une mesure qui ne correspond à aucun principe démocratique comme celle de multiplier les votes par deux après deux ans de détention.

• Inclure dans la loi québécoise sur les sociétés par action des dispositions interdisant certaines opérations aux initiateurs d’une offre publique d’achat (OPA) « hostile ».

Le Groupe de travail reprend ainsi certaines mesures que l’on retrouve dans les lois de certains États américains, comme la Pennsylvanie par exemple. Ces mesures font en sorte, soit, d’éliminer tous les bénéfices recherchés par une OPA non souhaitée, soit de rendre improbable que l’opération puisse réussir. L’effet net est d’inciter les parties à une négociation pour convertir une OPA « hostile » en OPA « amicale » appuyée par le conseil d’administration.

Il est curieux de trouver parmi ces mesures : « la révocation du mandat en cours d’un administrateur (d’une durée maximale de trois ans) ne pourra s’effectuer avant la fin de son terme ». Cette mesure, qui consiste à élire que le tiers des administrateurs chaque année pour un terme de trois ans, empêche de prendre le contrôle du conseil en une seule contestation de l’élection des administrateurs. Cette façon de faire tend à disparaitre aux États-Unis où elle est férocement combattue par la plupart des grands fonds institutionnels. De plus, comme le note le rapport du Groupe de travail, cette mesure, virtuellement absente au Canada, « irait à l’encontre des exigences de la Bourse de Toronto ».

Enfin, ces mesures dissuasives ne sont pas nécessaires, rebutent beaucoup d’observateurs et seraient certainement rejetées par le législateur fédéral. Le Québec (et le Canada) devrait chercher à se rapprocher du contexte juridique au Delaware (où plus de 60% des grandes entreprises américaines ont établi leur domicile juridique) plutôt que du contexte juridique de la Pennsylvanie. C’est justement l’objectif recherché par les propositions de l’Autorité des marchés financiers.

• Le Groupe de travail appuie les propositions de l’AMF qui mettrait le Canada au diapason du Delaware. Voici le véritable défi. Le Ministre des finances du Québec doit convaincre ses collègues des autres provinces du bien-fondé de ces propositions afin que les commissions des valeurs mobilières des autres provinces (de l’Ontario tout particulièrement) adoptent la position de l’AMF. Est-il en mesure de relever ce défi? Jouit-il de la crédibilité nécessaire pour convaincre ses homologues?

Si les autres commissions des valeurs mobilières refusent d’adopter les mesures proposées par l’AMF, alors le Gouvernement du Québec devrait-il faire cavalier seul? Le Groupe de travail est sibyllin à ce sujet, recommandant que le Ministre des finances « détermine si des changements de nature législative ou réglementaire pourraient faciliter une telle mise en œuvre de la proposition de l’Autorité».

Conclusions

En somme, le Groupe de travail souhaiterait que les propositions de l’AMF soient adoptées pour l’ensemble du Canada. Alors, le problème est réglé et on n’a pas à recourir aux autres mesures envisagées dans leur rapport. Toutefois, si les commissions des valeurs mobilières du reste du Canada refusaient de changer leurs règles s’appliquant aux offres d’achat non souhaitées, le Groupe de travail propose des mesures législatives draconiennes mais qui n’auraient d’effet que pour les 8 entreprises vulnérables constituées en vertu de la loi québécoise.

Le Groupe de travail semble croire que de telles mesures de protection pourraient inciter plus d’entreprises à se constituer juridiquement au Québec à l’avenir. Peut-être mais c’est le Delaware qui attire les grandes sociétés américaines et non la Pennsylvanie.

Le Groupe de travail entrouvre une boite de Pandore en invitant le Ministre des finances à évaluer s’il serait approprié de mandater l’AMF de mettre en place ses propositions même si les autres commissions des valeurs mobilières refusent de les adopter. Voyons la difficulté : une entreprise avec siège social au Québec, constituée selon la loi fédérale et inscrite à la Bourse de Toronto fait l’objet d’une offre d’achat « hostile » provenant d’une entreprise ontarienne. Selon les nouvelles règles de l’AMF, le conseil peut de son autorité rejeter l’offre d’achat sans consulter les actionnaires. Selon la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, le conseil n’a pas cette autorité. L’entreprise étant inscrite à la Bourse de Toronto, quel régime s’applique alors? Une telle situation mènerait tout droit à la Cour suprême et fournirait de précieuses munitions à ceux qui plaident pour une commission nationale des valeurs mobilières.

La mesure la plus efficace pour barrer la route à toute tentative d’achat non souhaitée demeure les actions à vote multiple. Il est curieux que le Groupe de travail ne fasse pas la recommandation aux entrepreneurs de se doter d’une telle structure de capital. Nos champions industriels québécois et canadiens se sont faits et ont maintenu leur indépendance grâce à ce type de structure de propriété.

Évidemment, les entrepreneurs, lorsqu’ils envisagent de recourir à l’épargne publique, se font avertir par les banquiers d’affaires que les investisseurs « n’ont pas d’appétit pour ce type de structure », que le « marché va placer un escompte sur leur titre ». Ces bobards sont démentis par trop d’exemples concrets pour qu’on leur accorde quelque crédibilité; surtout que depuis peu la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, un regroupement de tous les grands fonds institutionnels canadiens, naguère farouchement opposée aux actions à vote multiple, vient d’adopter une position favorable à ce type de structure de capital lorsque bien encadrée.

Quant aux recommandations pour favoriser le maintien et le développement des sièges sociaux au Québec, le Groupe de travail évite sagement de déborder de son mandat et de se hasarder dans les terrains minés de la « stabilité politique », de la « paix sociale » pour s’en tenir aux considérations fiscales.

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Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que l’auteur.

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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