La Grèce sous tutelle et la fin de la zone euro?

Publié le 17/07/2015 à 13:23

La Grèce sous tutelle et la fin de la zone euro?

Publié le 17/07/2015 à 13:23

(Photo: Bloomberg)

Dans le coin droit, un Capharnaüm de gouvernements, une macédoine d’Institutions (avec un «I» majuscule), un Babel de programmes, une Allemagne sûre d’elle, dominante, inflexible et, en coulisse, une Commission de fonctionnaires, autoritaire et autocratique.

Dans le coin gauche, un homme seul, chef de gouvernement d’un petit pays présumé coupable d’irresponsabilité financière chronique ainsi que d’une «insupportable insolence» politique.

La partie était perdue d’avance et cela depuis 2012 à tout le moins. En effet l’opération de sauvetage d’alors avait pour but premier d’éliminer, ce qui était le réel pouvoir de négociation de la Grèce, le risque qu’un défaut de la Grèce provoque une crise dans tout le système financier et bancaire européen, comme ce fut le cas en 2008 avec la faillite de Lehman.

Bien sûr, c’est connu, le parlement grecque devra en deux jours relever la TVA, couper les pensions des retraités, instituer des mesures «semi-automatiques» de réduction des dépenses en cas de déviations des cibles «ambitieuses» (le terme est dans l’entente) de surplus budgétaire primaire (revenus moins dépenses, sans inclure les coûts du service de la dette).

On exige que la Grèce place en fiducie des actifs à privatiser d’une valeur de quelque 50 milliards d’euros. Ce fonds sera géré par les autorités grecques mais sous la supervision des «institutions» européennes pertinentes. (Seule « victoire » de Tsipras car on souhaitait localiser ce fonds au Luxembourg.)

Ainsi lancé sur la voie de l’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays, les dirigeants européens se mêlent de tout et imposent à la Grèce de fournir un échéancier précis pour :

  • Adopter des mesures de réforme de ses marchés, incluant à propos du commerce le dimanche, de la propriété des pharmacies, du marché du lait et des boulangeries, de l’accès aux professions;
  • Libéraliser le marché de l’énergie en privatisant la société de transmission d’énergie électrique;
  • Moderniser les lois du travail et de la négociation collective pour les ajuster aux directives de l’Union européenne, incluant en ce qui concerne les mises à pied collectives.
  • Etc.

Que reste-t-il de souverain à cette Grèce? Comment une démocratie peut-elle accepter une telle mise en tutelle? On dira que la Grèce n’avait pas le choix, qu’elle paie pour son incurie fiscale au cours des dernières années.
Un peu simple, un tantinet court comme analyse.

Retournons un peu en arrière, disons à 2007 (toutes les données proviennent de Eurostat et de la Commission européenne) :

  • Le ratio dette à PIB de la Grèce est alors  de 103,1%, un ratio élevé, pas dramatique mais vulnérable (le ratio moyen des pays de l’OCDE est alors de 74%); le déficit budgétaire de la Grèce est de quelque 15,5 milliards d’euros.
  • En 2007, son PIB croit (en valeur nominale) de 6,9% et (en termes réels) de 3,5% pour atteindre 233 milliards d’euros (en valeur nominale). En fait la Grèce connait depuis 2000 un taux de croissance du PIB qui est supérieure à la moyenne des pays de la zone euro. Cette bonne performance est propulsée par la forte demande intérieure pour des biens de consommation, souvent importés et financé par des banques avenantes, ainsi que par de généreuses rémunérations dans tout le secteur public. Cette politique résulte en des déficits budgétaires chroniques et un relèvement de la dette publique, bien que le ratio dette/PIB reste à peu près constant autour de 100%.
  • Depuis l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001, le  coût de financement de la dette grecque est anormalement faible pour un pays dont le ratio dette/PIB oscille autour de 100%. Les deux figures suivantes juxtaposent le rendement attendu par les investisseurs pour la dette échéant dans dix ans pour l’Allemagne et la Grèce de 2001 à 2008. On y constate que la Grèce pouvait se financer en payant une petite prime de quelque 0,30% par comparaison à ce qu’il en coûtait à l’Allemagne pour financer sa dette. Ce contexte de taux d’intérêt mène et mènera toujours à un endettement élevé, comme c’est le cas aux États-Unis, au Canada et ailleurs.

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  • Puis, l’entrée de la Grèce dans la zone euro en 2001 a mené à une détérioration de sa balance commerciale (la différence entre les exportations et les importations de biens et services), comme le montre la figure suivante. Ce déficit de la balance commerciale atteint 15% du PIB grec en 2008 et ne se résorbe qu’avec la crise financière alors que la population grecque ne peut plus acheter de biens de consommation, que le chômage monte en flèche et que l’économie s’écroule, son PIB chutant de 26% entre 2008 et 2014.

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Pour l’Allemagne, la zone euro produit l’effet contraire ainsi qu’on peut le constater à la figure suivante. D’une balance commerciale légèrement négative en 2001, celle-ci devient, au fil des ans, fortement positive.

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  • Ces données démontrent que la Grèce sans sa propre monnaie est privée de deux mécanismes précurseurs de graves problèmes fiscaux, de deux signaux d’alarme:
  1. La Grèce hors de la zone euro verrait le taux de financement de sa dette publique augmenter selon le niveau des déficits et de la dette totale du pays; un gouvernement subit alors les effets délétères des intérêts plus lourds sur son déficit,  ce qui risque d’augmenter encore ses coûts de financement, dans un cercle vicieux qu’il faut stopper avant qu’il ne soit trop tard. Rien de cela ne se produit; en janvier 2008, la Grèce peut encore emprunter à un taux d’intérêt presqu’identique à celui de l’Allemagne.
  2. L’important déficit de son compte courant (exportations moins importations) pour un pays ayant sa propre monnaie aurait mené à une dévaluation relative et graduelle du taux de change; ainsi, les importations deviennent plus chères, l’inflation augmente, les réserves de la banque centrale chutent et ainsi de suite. Ce signal avant-coureur,  un mécanisme quasi-automatique d’ajustement, est absent pour tous les pays membres de l’euro, puisque la valeur de l’euro est ancrée plus ou moins à la balance commerciale de toute la zone; l’énorme surplus commercial de l’Allemagne compense pour les déficits des balances commerciales des autres pays, ce qui maintient un euro fort (mais sensiblement moins fort que ne le serait le mark allemand).

Puis survient en 2008 la crise financière avec ses conséquences désastreuses sur les économies de bon nombre de pays, bien qu’innocents de toute responsabilité pour cette conflagration qui prend source dans le système financier américain.
Malheureusement, pris par surprise par ces évènements, le gouvernement grec de l’époque accepte les propositions de Goldman Sachs pour maquiller sa performance budgétaire en 2008 et 2009. Le nouveau gouvernement doit en 2010 redresser les statistiques de déficit et d’endettement pour en corriger les entourloupettes.

Les chiffres réels (corrigés) montrent qu’en 2009, le PIB de la Grèce a chuté modestement de 4,7% (la même année, le PIB du Canada chute de 3,7%) mais les rentrées fiscales ont diminué de façon importante alors que les dépenses publiques en pourcentage d’un PIB amoindri augmentent fortement portant le déficit de la Grèce à 36 milliards d’euros (versus 15,5 milliards en 2007). Sa dette atteint 301 milliards d’euros, soit 129.7% du PIB en 2009.

Le programme de 2010

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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