La «bonne» gouvernance et la performance des entreprises

Publié le 07/03/2016 à 15:31

La «bonne» gouvernance et la performance des entreprises

Publié le 07/03/2016 à 15:31

La préoccupation, voire l’obsession, de mettre en place une « bonne » gouvernance dans les sociétés cotées en Bourse devrait, semble-t-il, mener à de meilleures performances boursières pour celles qui se sont dotées des meilleures pratiques de gouvernance. Le gigantesque effort consenti depuis au moins 2001 pour améliorer leur gouvernance a-t-il résulté en de meilleurs résultats boursiers pour les entreprises au sommet du palmarès de la gouvernance ?

Nombre d’études, surtout américaines, ont cherché à établir si un lien direct, ou tout au moins une corrélation, pouvaient être établis entre gouvernance et performance. Les résultats furent en général plutôt décevants .

Une courte minute de réflexion suffit pour conclure qu’un tel exercice était voué à l’échec. En effet, la performance économique et boursière d’une société au cours des années est tributaire de nombreux facteurs macro-économiques, conjoncturels, industriels et stratégiques ; cette performance est aussi le résultat de décisions bonnes ou mauvaises prises parfois plusieurs années auparavant. Malgré toutes les manipulations statistiques pour tenter de « contrôler » ces autres influences, l’analyse peut difficilement isoler l’effet ineffable et fugace de la « bonne » gouvernance sur les résultats, tant soit-il qu’un tel effet soit présent.

Pourtant, depuis 14 ans, le Report on Business (ROB) du Globe and Mail établit chaque année un score de gouvernance pour chacune des quelque 230 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Toronto, scores scrutés par les dirigeants d’entreprises et les gendarmes de la gouvernance.

Ce score global, avec 100 comme maximum, se répartit selon quatre aspects de la gouvernance :

1. Composition du conseil (32 points sur 100) ;

2. Actionnariat et rémunération (29/100)

3. Droit des actionnaires (28/100)

4. Divulgation (11/100)

Chacune de ces dimensions de la gouvernance est opérationnalisée par une série de variables (37 au total en 2015) associées à des pointages spécifiques. À quelques exceptions près, ces variables touchent à tous les «desiderata» d’une gouvernance fiduciaire impeccable. Au cours des années, cette démarche du ROB s’est montrée adaptive au fur et à mesure que les exigences de la « bonne » gouvernance s’allongèrent et se multiplièrent.

Sur un aspect toutefois, la démarche du ROB est restée inflexible ; toute entreprise comportant des actions à vote multiple voit son score tout de go amputé de 10 points (quelques points peuvent être récupérés si le multiple des droits de vote est faible). Or, même la Coalition canadienne pour la bonne gouvernance, naguère farouchement opposée à toute structure comportant des actions à droit de vote multiple, a depuis changé de politique, constatant que, si bien encadré, ce type d’actions pouvait jouer un rôle utile et créateur de valeur.

Quoi qu’il en soit, il nous a semblé opportun d’examiner derechef comment ces scores de gouvernance établis par le ROB étaient associés à la performance des sociétés soumises à cet examen annuel.

Sommaire des statistiques descriptives utilisées

Le Tableau 1 présente les données qui ont servi à cet exercice. On y trouve les mesures usuelles pour apprécier la performance économique ou boursière d’une société cotée en Bourse.

Comment saisir la relation entre le score de gouvernance et la performance boursière de la société ?

Nous avons mené plusieurs opérations pour déterminer si une telle relation pouvait été établie :

1. La relation entre le score global de gouvernance et la performance boursière relative au cours des 3-5 dernières années ; cette mesure n’est guère attrayante puisqu’elle suppose que la qualité de la gouvernance cette année-ci ait pu influencer la performance au cours des années passées. Le Tableau 2, faisant état des résultats obtenus, montre une corrélation généralement négative, mais non significative entre le score global de gouvernance et la performance boursière des sociétés.

Il est intéressant de noter que la seule corrélation significative est obtenue pour la taille de l’entreprise mesurée par ses actifs.

Plus l’entreprise est grande, plus son score de gouvernance tend à être élevé. Serait-ce parce que les plus grandes entreprises ont les ressources nécessaires pour satisfaire aux desiderata de la bonne gouvernance telle que mesurée par le ROB ?

2. La relation entre le score global de gouvernance et la performance boursière au cours des années subséquentes; dans la mesure où la qualité de la gouvernance influence la performance boursière, il nous apparait plus logique que cette relation se manifeste au cours des années suivantes. Ainsi, nous avons mis en relation le score de gouvernance obtenu par une société en 2010 avec sa performance boursière (ajustée pour l’indice S&P/TSX) au cours des 3-5 années suivantes ainsi qu’avec les coefficients de valorisation de l’entreprise (q de Tobin et M/B) en 2014.

Cette analyse ne peut être menée que pour les entreprises incluses dans la liste du ROB en 2010 (sur la base des informations pour l’année 2009) et qui sont demeurées dans l’indice S&P/TSX en fin d’année 2014, soit environ 121 entreprises.

Le Tableau 3 rend compte de cette analyse et montre qu’aucune corrélation n’est significative, sauf, encore une fois, pour la taille de l’entreprise mesurée par ses actifs.

3. La relation entre l’amélioration du score ROB de gouvernance des entreprises entre 2010 et 2015 et leur performance boursière; en effet, il serait plausible de supposer qu’une amélioration sensible de son score de gouvernance sur une période de cinq ans soit associée à une meilleure performance boursière de l’entreprise .

Or comme le montre le Tableau 4 derechef, les mesures de performance boursière n’ont aucune relation statistiquement significative avec l’amélioration de la gouvernance au cours de la période 2009-2014.

Nous avons, bien sûr, soumis toutes ces combinaisons de variables à des régressions multiples pour établir si l’ajout, par exemple, de l’appartenance industrielle, pourrait changer les conclusions. Rien n’y fit ; les scores de gouvernance ne montrèrent aucune association significative avec la performance boursière.

4. Peut-être que malgré l’absence de corrélations significatives pour le score global, de telles relations pourraient être établies pour l’une ou l’autre des quatre composantes du score global.

En fait, comme le montre le Tableau 5, les résultats obtenus pour chaque composante sont virtuellement identiques au résultat obtenu pour le score global (Voir Tableau 2)

Finalement, qu’en est-il des sociétés comportant des classes d’actions avec des droits de vote inégaux ?

L’analyse du ROB identifiait, en 2015, une trentaine d’entreprises sur les 230 pour lesquelles une classe d’actions comportait des droits de vote supérieurs à une autre classe d’actions. Comment cette trentaine d’entreprises a-t-elle performée pour leurs actionnaires ?

Notons d’abord qu’il nous fallut exclure la société Alimentation Couche Tard des résultats tant sa performance boursière astronomique rendait caduque toute comparaison.

Le Tableau 6 rend compte des résultats :

Quelle que soit la période (1 an, 3 ans, 5 ans), que l’on compare des moyennes ou des médianes, les sociétés comportant des classes d’action avec votes inégaux montrent des performances boursières largement supérieures aux performances des entreprises conventionnelles (bien que n’atteignant pas le seuil habituel de signification statistique).

Conclusions

La performance économique et boursière d’une entreprise est la résultante de tant de facteurs, conjoncturels, stratégiques, concurrentiels, de tant d’impondérables, de décisions prises dans un passé plus ou moins lointain qu’il serait surprenant que l‘on puisse établir une relation statistique entre la qualité de la gouvernance fiduciaire et la performance boursière.

Alors, quels sont les bénéfices de cette recherche inlassable de la bonne gouvernance ?

On peut supposer qu’un conseil alerte et compétent aura su améliorer les démarches de prise de décisions, s’opposer judicieusement aux initiatives par trop hasardeuses de la direction, lui faire éviter des écueils, débusquer les pratiques douteuses.

Évidemment, les fiascos et scandales dans le monde de la finance et des affaires au cours des derniers 20 ans peuvent induire un certain scepticisme à cet égard. Toutefois, alors qu’on conspue tous les cas notoires de déliquescence, on ne peut que rarement encenser les moments où un conseil d’administration a fait en sorte qu’une entreprise évite des évènements malencontreux, des décisions mal avisées, des choix périlleux puisque ces évènements sont rarement divulgués.

Pour qu’il en soit ainsi, il faut que les membres du conseil soient, non seulement « indépendants », mais surtout légitimes et crédibles, toutes qualités qu’un score de gouvernance aussi exhaustif soit-il ne peut capter.

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Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs. Texte Coécrit avec François Dauphin, MBA, CPA, CMA, directeur de la recherche, IGOPP

 

 

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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