S'aventurer en terres rares avec cette nouvelle recrue


Édition du 27 Janvier 2018

S'aventurer en terres rares avec cette nouvelle recrue


Édition du 27 Janvier 2018

Les métaux rares sont utilisés dans une quantité croissante de produits, notamment dans des superalliages pour l'industrie aérospatiale.

J'ai beau avoir conseillé d'éviter d'investir dans une recrue fraîchement arrivée en Bourse, il m'a été impossible de résister à la tentation de connaître celle qui vient de faire ses débuts à la Bourse de Toronto, après avoir aperçu un rapport intitulé « Une entreprise pourvue d'une bastille économique présentant de solides perspectives de croissance ».

Les analystes qui amorcent le suivi d'une entreprise coiffent généralement leur premier rapport d'un titre racoleur. Comme les journalistes, ils veulent attirer l'attention des lecteurs sur leur (excellent) rapport qui a nécessité de longues heures de travail et oublient parfois la nécessité de présenter les faits de la façon la plus neutre possible. D'où l'importance de les lire avec un oeil critique.

Cela dit, Yuri Link, de Canaccord Genuity, a touché une de mes cordes sensibles en mettant de l'avant des caractéristiques fondamentales qui me sont chères : avantages concurrentiels majeurs, bonnes perspectives de croissance et excellente situation financière. Dans cette difficile quête de nouvelles idées de placement au Canada, voilà peut-être la candidate que plusieurs investisseurs à long terme attendent depuis longtemps, me suis-je dit. Ma bulle s'est rapidement dégonflée quand j'ai constaté que la société se spécialise dans le domaine des terres rares. Les titres de ressources naturelles, très peu pour moi, merci.

Un survol rapide des chiffres présentés par l'analyste et quelques qualitatifs du type « champion mondial de l'innovation et de la production » m'ont tout de même incité à me pencher plus sérieusement sur Neo Performance Materials (NEO, 17,80 $).

Neo Materials se décrit comme un chef de file mondial de la fabrication de produits fonctionnels à base de terres et de métaux rares, utilisés dans les secteurs de la haute technologie et des créneaux en forte croissance. Sa division Magnequench, qui produit des poudres magnétiques à base de terres rares destinées à des aimants utilisés dans les moteurs de véhicules, a une expertise technique inégalée et surfe en plus sur l'avantage d'être le premier acteur établi du secteur il y a 30 ans, souligne M. Link.

Les métaux rares ont des propriétés physiques et chimiques qui leur sont propres : ils sont magnétiques, catalytiques, luminescents, thermiquement stables, etc. Ils sont utilisés dans une quantité croissante de produits, notamment en raison de l'essor des automobiles électriques, des normes d'émission de gaz plus rigoureuses et de la volonté des entreprises d'améliorer leur efficacité énergétique.

L'entreprise torontoise dit figurer parmi les trois principaux producteurs mondiaux de terres rares utilisées dans les catalyseurs pour véhicules. Elle est aussi la seule entreprise étrangère à détenir un permis lui permettant de séparer des terres rares en Chine. Les principaux gisements de terres rares de la planète se trouvent dans la deuxième économie du monde, qui accapare 87 % de ce marché mondial. Neo compte en outre de prestigieux clients de longue date, dont Samsung, Panasonic et BASF.

Je vous passe la liste d'éléments chimiques du tableau périodique qui composent les métaux de terres rares que Neo produit. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'elle est bien positionnée dans des marchés spécialisés et en croissance. Véhicules électriques, appareils électroniques intelligents, lumières DEL, informatique en nuage, superalliages pour l'industrie aérospatiale... On aurait cherché à réunir tous les créneaux populaires du moment qu'on n'aurait pas fait mieux.

En fait, le prospectus de 400 pages publié dans le cadre de son premier appel public à l'épargne me rappelle à certains égards des passages de celui d'Orbite Technologies, l'entreprise montréalaise aux procédés d'extraction de l'alumine et d'oxydes de métaux rares « révolutionnaires ». La comparaison s'arrête toutefois là, puisque Neo réalise des revenus et des bénéfices depuis de nombreuses années.

Pour la période de douze mois terminée le 30 septembre dernier, elle a affiché des revenus de 425,7 millions de dollars et un bénéfice net de 29,8 M$ US. Comme ses activités nécessitent peu de capitaux, Neo dégage d'abondantes liquidités libres. Celles-ci devraient atteindre 1,24 $ US par action au cours de l'exercice 2018, note M. Link.

Qui plus est, elle possède un bilan reluisant, doté de 88 M$ US d'encaisse nette qui peuvent être utilisés pour bonifier son dividende annuel de 0,38 $ US par action (rendement de 2,1 %), racheter des actions ou réaliser des acquisitions pour élargir son portefeuille de produits.

Des dirigeants expérimentés

Neo n'est pas tout à fait une recrue en Bourse. Elle y revient après avoir été détachée de Molycorp, qui l'avait acquise en 2012 pour 1,3 milliard de dollars. Frappée par la levée des restrictions sur les exportations de métaux de terres rares en Chine et par un coûteux projet de développement en Californie, Molycorp a été contrainte de se protéger de ses créanciers, dont le fonds d'investissement privé Oaktree. Ce fonds a envoyé en Bourse une partie de la participation qu'il a ainsi reçue de Neo dans le cadre de la restructuration de Molycorp.

Neo vole de nouveau de ses propres ailes. La majorité de l'équipe qui la dirigeait avant qu'elle ne passe aux mains de Molycorp est encore en poste. Ses dirigeants cumulent plus de 200 ans d'expérience dans le secteur. On n'insiste jamais assez sur l'importance de la qualité des dirigeants lorsqu'on analyse un placement potentiel. C'est encore plus crucial dans un domaine complexe comme celui dans lequel se trouve Neo.

L'autre élément fondamental à considérer est l'évaluation du titre. L'analyste de Canaccord estime qu'il est raisonnablement valorisé, à 7,2 fois le bénéfice d'exploitation prévu en 2018, comparativement à 9,1 fois en moyenne pour les sociétés similaires. M. Link est convaincu que les investisseurs lui accorderont dans la prochaine année une valorisation plus généreuse pour refléter ses nombreux avantages concurrentiels, ses perspectives de croissance et son solide bilan.

Des bémols

Toutes réunies, donc, les conditions pour faire de Neo une idée de placement intéressante ? Pas tout à fait. La société fait face à des poursuites portant sur la violation de brevets. Une cour de justice allemande a déterminé, en mars 2016, qu'elle avait enfreint les droits relatifs à des brevets de Rhodia Chimie. Neo a porté en appel les trois poursuites pour violation de brevets et attend un jugement définitif. Ses dirigeants soutiennent qu'il est difficile d'estimer les possibles conséquences financières d'une poursuite particulière. Ce nuage devrait inciter les investisseurs à la prudence.

Il y a d'autres raisons de demeurer sur ses gardes. L'actionnaire qui a envoyé Neo en Bourse conserve 68,5 % des actions en circulation et peut décider de diminuer sa participation à tout moment. C'est sans compter la nature cyclique des activités de Neo. Même si elle se dit en mesure de refiler la facture à ses clients, elle reste dépendante des prix des matières premières. Ce qui me refroidit le plus, c'est toutefois la difficulté d'évaluer avec précision le risque de dépendance au marché chinois.

À première vue, cette nouvelle recrue de la Bourse de Toronto paraît séduisante, compte tenu de ses nombreux atouts. Mieux vaut toutefois creuser davantage son potentiel et surtout les risques auxquels elle est exposée avant de vous aventurer en terres rares.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin