Pour vous enrichir en Bourse, faites le mort

Offert par Les Affaires


Édition du 10 Septembre 2016

Pour vous enrichir en Bourse, faites le mort

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Édition du 10 Septembre 2016

[Photo : Shutterstock]

Si l'on en croit une légende qui circule sur Internet, une étude réalisée par le géant des fonds communs Fidelity Investments conclut que les investisseurs ayant obtenu les meilleurs rendements sur une période de 10 ans (de 2003 à 2013) étaient «morts ou inactifs».

Cette prétendue recherche a suscité l'attention des médias il y a deux ans lorsque le célèbre investisseur James O'Shaughnessy, gestionnaire d'O'Shaughnessy Asset Management, l'a évoquée au cours d'une émission sur Bloomberg Radio. Business Insider et de nombreux sites spécialisés ont «repris» l'étude, qui a depuis fait boule de neige. Or, il s'avère que Fidelity n'a jamais mené une telle enquête.

Même si cette histoire a été fabriquée de toutes pièces, les conclusions avancées n'en demeurent pas moins vraies. De nombreuses autres études montrent que les investisseurs les plus passifs réalisent en général de meilleurs rendements à long terme que ceux qui sont hyperactifs.

Une des raisons fondamentales qui expliquent cette surperformance est le fait que les investisseurs individuels négocient souvent au pire moment. Ils vendent leurs titres lorsque le marché baisse et achète lorsque la Bourse se trouve à un sommet. Ou ils vendent leurs titres gagnants et conservent leurs titres perdants dans l'espoir d'éviter de subir un revers.

L'étude publiée annuellement par la firme Dalbar depuis 1984 le montre avec éloquence. Sur une période de 20 ans terminée en 2015, le rendement annualisé de l'indice S&P 500 a été de 8,19 %. Quel rendement annuel a obtenu l'investisseur moyen avec ses fonds communs au cours de cette période ? 4,67 %. Un écart énorme de 3,52 % par année.

On pourrait croire que l'investisseur individuel fait meilleure figure lors des périodes haussières. Il n'en est rien. De 2011 à 2015, il a obtenu un rendement annuel moyen de 6,92 %, par rapport à 12,57 % pour le S&P 500.

Le comportement irrationnel des investisseurs fait encore des ravages, en dépit de tous les efforts en matière d'éducation qui ont été faits au cours des dernières décennies. Ce que le célèbre investisseur Benjamin Graham a écrit en 1949 reste d'actualité : le petit investisseur est son pire ennemi.

Il n'y a pas que la propension à agir au pire moment qui mine la performance de l'investisseur individuel. Les frais de négociation grugent également les rendements. Plus on négocie, plus on taxe la performance de son portefeuille. L'étude du professeur américain Terrance Odean, publiée en 2000, l'a clairement illustré : le rendement est étroitement lié aux frais de transaction. M. Odean a constaté que les clients des firmes de courtage réduit (ou, communément, courtage à escompte) qui négociaient le plus affichaient les pires résultats, tandis que ceux qui négociaient peu obtenaient un rendement net similaire à celui du marché dans son ensemble.

Rencontrer son conseiller une fois l'an, un piège ?

Cela m'amène à faire le lien avec les consultations que mène l'Autorité des marchés financiers (AMF) auprès de différents intervenants à propos de la relation qu'ils entretiennent avec leurs clients. L'objectif principal de ces consultations est d'améliorer la relation entre les clients et leurs conseillers et courtiers.

Les gestionnaires de portefeuilles, les conseillers et les courtiers ne sont présentement pas tenus de réaliser une mise à jour périodique du dossier de leurs clients.

Les Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM) songent toutefois à les obliger à faire le point avec chacun de leur client au moins tous les 12 mois, voire plus, s'il y a turbulences dans les catégories de placement où l'investisseur se trouve.

Une telle mesure agirait-elle dans le meilleur intérêt des investisseurs ? Oui, si on juge que la situation des clients peut évoluer grandement dans une année en raison d'un divorce, d'un changement d'emploi ou d'un revers de fortune.

Rappelons-nous toutefois que la principale cause de la sous-performance des investisseurs individuels est d'ordre psychologique.

Lorsque leur conseiller les joindra, de nombreux investisseurs auront le réflexe de lui demander d'accroître leur participation dans les catégories de placement qui ont connu une bonne performance à court terme. Ils exigeront de mettre le paquet dans les actions canadiennes parce qu'elles ont brillé dans la dernière année, même si le contraire leur est recommandé.

À l'inverse, le moindre soubresaut en Bourse en incitera plus d'un à demander à son conseiller de vendre ses placements. L'investisseur agira sous le coup de l'émotion, parce que les manchettes sont négatives.

Imaginons le gestionnaire de portefeuille qui communique avec son client dans le cadre du suivi annuel imposé, au début de 2016. Nous sommes au coeur d'un des pires débuts de l'histoire boursière. Pris de panique, le client somme son conseiller de liquider la majeure partie de ses titres. Le conseiller aura beau lui suggérer le contraire, il obtempérera ou proposera à son client de transférer ses fonds dans une autre catégorie de placements pour éviter de le perdre.

Il n'est pas garanti que les autorités en valeurs mobilières iront de l'avant avec une telle obligation. Elles doivent cependant bien peser le pour et le contre avant d'imposer un autre règlement.

L'investisseur individuel met plus de chances de son côté de s'enrichir à long terme en limitant les interventions dans un portefeuille composé d'entreprises ou de fonds gérés par d'excellents gestionnaires. Loin de moi l'idée de vous recommander de faire le mort complètement. Mais vous aurez plus de succès en fermant les yeux sur les inévitables fluctuations que connaîtra votre portefeuille au cours de certaines périodes et en laissant le temps et la qualité faire leur oeuvre. Et chaque fois que l'envie de négocier vous prendra, demandez-vous si l'avantage espéré de cette transaction en surpasse le coût.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin