Ce phénomène qui menace certains de vos placements

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Février 2017

Ce phénomène qui menace certains de vos placements

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Février 2017

123rf

«Plus de 40% des entreprises actuelles n'existeront plus dans 10 ans.» Cette affirmation-choc lancée l'automne dernier par le président du conseil de Cisco Systems, John Chambers, a suscité une grande interrogation chez l'investisseur à long terme que je suis: l'accélération de la destruction créatrice signale-t-elle la mort de ma stratégie de placement?

La rapidité avec laquelle les changements technologiques surviennent laisse peu d'entreprises à l'abri d'une rupture de leur modèle d'affaires. La destruction créatrice, un concept popularisé par l'économiste Joseph Schumpeter selon lequel des secteurs d'activités entiers sont remplacés par de nouveaux, existe depuis toujours, mais elle se manifeste aujourd'hui à vitesse grand V.

L'effet Amazon

Il n'y a pas meilleur exemple qu'Amazon (AMZN, 808,62 $US) pour illustrer l'effet de raz-de-marée qu'a la technologie sur un secteur. Les résultats du quatrième trimestre dévoilés au début février par l'entreprise de Seattle ont accentué le contraste saisissant entre la performance du chef de file de la vente en ligne et les commerçants traditionnels. Amazon a haussé ses revenus de 24 % à 43,7 G$ US, si on exclut l'effet des devises. N'est-ce pas renversant de voir une entreprise de cette taille afficher une croissance aussi élevée? Le meilleur est peut-être encore à venir. La société dirigée par Jeff Bezos prévoit embaucher 100 000 travailleurs aux États-Unis, bâtit son propre service de livraison et cible sans cesse de nouveaux marchés.

À l'inverse, les détaillants traditionnels comme Kohl's (KSS, 40,40 $US) et Macy's (M, 32,66 $US)) agonisent et lancent de vastes plans de restructuration. Cette dernière prévoit éliminer 100 magasins et 10 000 emplois dans les prochaines années, en raison de la faiblesse de ses ventes et de la vive concurrence venant du Web.

Une autre chaîne autrefois dominante, Sears (SHLD, 6,88 $US), est en mode survie tant au Canada qu'aux États-Unis. Même la très solide Wal-Mart (WMT, 66,47 $US) a toutes les misères du monde à concurrencer Amazon.

Peu de secteurs évitent le rouleau compresseur Amazon. Les distributeurs de pièces automobile étaient jusqu'à tout récemment considérés par les investisseurs comme les rares Gaulois capables de résister à l'empire de la vente en ligne. Difficile en effet de se faire conseiller la bonne pièce lorsqu'on achète sur le Web. Ils sont toutefois tombés de leur piédestal à la fin de janvier quand le New York Post a révélé qu'Amazon allait lancer une offensive dans ce créneau. Autozone (AZO, 724,86 $US), Advances Auto parts (AAP, 161,64 $US) et O'Reilly Automative (ORLY, 259,72 $US), qui figurent parmi les grands gagnants de la Bourse américaine ces cinq dernières années, ont reculé de 4 % à 8 % depuis.

Le secteur du détail n'est pas le seul à subir l'assaut technologique. Les entreprises médiatiques, autrefois appréciées pour leur rentabilité élevée et leur capacité à générer d'abondantes liquidités, ont pour la plupart vu leur valeur anéantie par la migration de la publicité vers les Facebook (FB, 130,37 $US), Google(GOOG, 816,43 $US) et Snapchat de ce monde.

Une espérance de vie en chute libre

De nombreux autres secteurs sont menacés par les bouleversements rapides. L'espérance de vie des entreprises, elle, est en chute libre. Selon une analyse réalisée par le cabinet Innosight en 2015, la durée des entreprises au sein de l'indice S&P 500 est passée de 33 ans en moyenne en 1965, à 20 ans en 1990. Elle ne sera plus que de 14 ans en 2026, prévoit la firme.

Comme le montre le tableau ci-contre, le top 12 des principales entreprises de l'indice américain a considérablement changé depuis 2000. Seules trois entreprises qui y figuraient à l'époque en font toujours partie. Le patron de Cisco sait de quoi il parle lorsqu'il traite de changement, puisque son entreprise ne fait même plus partie du top 20. Au rythme auquel s'effectue le roulement au sein du S&P 500, près de la moitié des membres de l'indice seront remplacés d'ici 10 ans. Innosight va même jusqu'à dire que les dix prochaines années seront «les plus turbulentes de l'histoire moderne».

Si les changements technologiques jouent un rôle majeur dans ce roulement rapide, les fusions et acquisitions et l'essor des start-ups généreusement valorisées, comme Uber, Snapchat et Airbnb, contribuent également à ébranler les modèles traditionnels.

La création destructrice accélérée qui a lieu notamment aux États-Unis nourrit un terreau fertile tant pour l'économie que pour les investisseurs : elle témoigne du dynamisme des entreprises américaines et favorise la productivité, moteur de l'amélioration de notre niveau de vie.

Ce que l'investisseur doit faire

L'ascension de jeunes pousses offre de nouvelles occasions de placement aux investisseurs. Un montant de 10 000 $US dans Amazon à ses débuts en Bourse en 1997 vaut 4 M$ US vingt ans plus tard. Google et Facebook sont devenues des titres gagnants en quelques années seulement.

Cela dit, le rythme actuel des changements et le déferlement de start-ups dans tous les domaines - même le quasi inattaquable secteur bancaire pourrait vivre son moment Uber avec le blockchain - , va bouleverser l'ordre établi des entreprises dominantes.

Non, la destruction créatrice accélérée ne met pas en péril l'investissement à long terme. Mais elle force l'investisseur à se poser davantage de questions sur ses titres. Alimentation Couche-Tard (ATD.B, 60,19$) est par exemple un des principaux consolidateurs des stations-service du monde. Son modèle tiendra-t-il encore la route dans 10 ans si les voitures électriques s'approprient une importante part du marché automobile?

Pour s'enrichir dans un univers de destruction créatrice accélérée, l'investisseur doit aussi privilégier les entreprises dont les dirigeants ont une vision à long terme bien ancrée et qui sont les champions de l'innovation de leur secteur.

La nature économique se chargeant d'éliminer les maillons les plus faibles, les entreprises les plus solides vont acheter leurs concurrents en difficulté ou profiter de leur disparition. L'investisseur à long terme doit ainsi éviter de parier sur le redressement des perdants.

Pour paraphraser Charles Darwin, ce ne sont pas les sociétés les plus fortes qui vont survivre, mais celles qui savent le mieux s'adapter au changement.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin