Le pire ennemi des titres bancaires

Offert par Les Affaires


Édition du 22 Octobre 2016

Le pire ennemi des titres bancaires

Offert par Les Affaires


Édition du 22 Octobre 2016

La sénatrice Elizabeth Warren veut mettre les banques au pas. Photo: Andrew Cline / Shutterstock.com

Ce ne sont ni les taux d'intérêt à un creux historique, ni la faiblesse de l'économie, ni la vigueur de la concurrence. Non, le pire ennemi des titres des banques, tant canadiennes qu'américaines, est désormais le politicien.

Rares sont les investisseurs qui passent de nombreuses heures à évaluer les risques liés à la réglementation et à la politique avant d'acheter un titre bancaire. Les actions des banques se trouvent par défaut dans une grande majorité de portefeuilles, en raison de la relative solidité de leurs activités et des généreux dividendes qu'elles versent. On échange à l'occasion la Banque Royale(RY, 82,61 $) contre la Banque TD(TD, 58,29 $), parce que l'évaluation de la seconde est moins élevée que celle de la première ou que ses perspectives semblent plus attrayantes à moyen terme.

On les achète sans grand questionnement, car même si elles peuvent être ébranlées par un ralentissement économique ou un choc passager comme celui du pétrole en Alberta, elles se remettent généralement vite sur pied. Le risque politique, lui ? Bof, les banques sont certes assujetties à des règles strictes, mais rien qui puisse m'empêcher de placer de l'argent dans le secteur, se disent la plupart des investisseurs.

Les snipers ne sont pas là où vous les attendiez

Les événements des dernières semaines montrent pourtant que le risque politique est non négligeable et qu'il est sous-estimé par bien des gens. Les snipers n'étaient pas situés aux endroits où les actionnaires des banques les attendaient. Des deux côtés de la frontière, ce sont les politiciens qui ont tiré à bout portant sur les banques.

Aux États-Unis, les parlementaires ont réussi à avoir la tête du pdg de Wells Fargo (WFC, 44,71 $ US), John Stumpf, après le scandale des comptes fictifs ouverts au nom de clients à leur insu. L'institution de San Francisco a déboursé 185 millions de dollars américains pour clore les poursuites de l'agence de protection des consommateurs. De plus, tous les clients qui ont payé des frais inutiles liés à l'ouverture de comptes ont été remboursés. En outre, M. Stump a renoncé à une rémunération de 41 M$ US en options d'achat d'actions. Par-dessus tout, la banque a vu sa valeur boursière fondre de 20 milliards de dollars américains en quelques semaines. Cela n'a pas été suffisant pour apaiser les politiciens. En particulier la sénatrice démocrate Elizabeth Warren, qui tire un avantage politique en dénonçant les incalculables abus des firmes de Wall Street.

Loin de moi l'idée d'affirmer que John Stumpf est blanc comme neige. Même s'il a contribué à générer 149 G$ US de bénéfices et à faire progresser la capitalisation boursière de Wells Fargo de 124 G$ US au cours de ses neuf années à la tête de l'institution, il a lamentablement géré cette crise. On peut aussi lui reprocher d'avoir réagi trop tardivement pour endiguer la vague des faux comptes. Reste qu'il paie un lourd tribut dont les principaux gagnants ne sont ni les clients de la banque ni les actionnaires, mais une poignée de personnes à Washington.

Immobilier : un atterrissage brutal

Au moment même où des parlementaires américains exigeaient le sacrifice du patron de Wells Fargo, au Canada, le ministre fédéral des Finances Bill Morneau sortait l'artillerie lourde pour refroidir un marché immobilier en surchauffe dans plusieurs régions du pays.

Comme l'a expliqué mon collègue Daniel Germain il y a quelque temps sur lesaffaires.com («Une bombe tombe sur le marché immobilier»), les acheteurs incapables de verser une mise de fonds de 20 % à l'achat d'une propriété verront le financement maximal auquel ils ont accès amputé de façon marquée. Plutôt que de pouvoir emprunter 250 000 $, l'acheteur ne pourra obtenir un prêt de plus de 200 000 $ sans la mise de fonds nécessaire.

Je passe les détails de ces nouvelles règles, mais selon Robert Hogue, économiste en chef de la Banque Royale, l'atterrissage attendu du marché immobilier canadien dans la prochaine année risque de s'accélérer et d'être plus brutal à cause de ces mesures. Celles-ci et les précédentes qui avaient été mises en place réduiront davantage le bassin d'acheteurs potentiels de maisons et entraîneront probablement une correction du prix des propriétés, estime Mike Rizvanovic, de Veritas Investment Research.

On ne peut être contre l'intention noble du gouvernement de vouloir éviter une bulle immobilière qui aurait des répercussions à long terme dommageables pour l'économie canadienne.

Or, à la réglementation croissante des dernières années qui pèse sur le secteur bancaire s'ajoutent des mesures toujours plus musclées des décideurs pour contrôler le comportement des clients des institutions financières. L'ex-ministre des Finances, feu Jim Flaherty, avait aussi adopté des mesures dans le but d'éviter les dérives immobilières et de protéger les emprunteurs d'eux-mêmes, au cours des dernières années de ses activités ministérielles.

L'évaluation en souffrira

Sept ans après la crise financière, les grandes banques nord-américaines sont plus solides. Elles sont rentables, ont considérablement rehaussé leur protection contre les mauvais prêts et ont relevé leur capital de base visant à amortir les chocs potentiels.

Mais en plus de devoir composer avec des taux d'intérêt près de zéro et une économie au ralenti, les banques doivent porter un fardeau réglementaire toujours plus lourd. Plutôt que de les rendre moins vulnérables, les nouvelles lois qui encadrent les banques depuis la crise financière risquent d'avoir un effet contraire à long terme en raison de leur surabondance, estiment certains observateurs.

Qu'il s'agisse de l'affaire Wells Fargo, de la sanction de 14 G$ US à laquelle est exposée la Deutsche Bank (DB, 13,43 $ US) aux États-Unis, des nouvelles règles hypothécaires prescrites par Ottawa ou des frais que songe à imposer Hillary Clinton aux grandes institutions américaines qui prennent trop de risques, les banques sont sans contredit sur la sellette politique. Ce nuage n'est pas à lui seul assez menaçant pour vous empêcher d'investir dans le secteur, mais vous devez garder en tête qu'il contribuera probablement à réduire l'évaluation accordée aux titres des banques.

À lire également dans ce numéro, sur le même sujet : «Le degré zéro de l'éthique, ou l'exemple de Wells Fargo», de notre chroniqueur Robert Dutton.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin