Mais pourquoi donc les prix des aliments augmentent-ils?

Publié le 22/10/2021 à 11:15

Mais pourquoi donc les prix des aliments augmentent-ils?

Publié le 22/10/2021 à 11:15

(Photo: Alexandr Podvalny pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Nous venons d’apprendre que, pour un neuvième mois consécutif, l’indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 0,2% en septembre pour un taux annuel d'augmentation de 4,4% au Canada et de 5,1% au Québec, soit les hausses les plus élevées depuis presque 20 ans. Toutefois, le coût des aliments a connu une hausse de 3,9%, grâce à la baisse des fruits et légumes de saison.

Plusieurs éléments successifs avaient déjà, avant le début «officiel» de la pandémie, fragilisé la chaîne d’approvisionnement des denrées de consommation. J’inclus toutes les denrées de consommation, car c'est l'ensemble des acteurs qui ont été et continuent d’être touchés.

Rappelons que, dès le mois d’août 2019, le conflit au port de Montréal, la grève du Canadien National en novembre, le blocus ferroviaire en appui à la nation Wet'suwet'en s'opposant au projet de gazoduc Coastal GasLink en Colombie-Britannique ont laissé planer pendant plusieurs mois un climat d’incertitude sur la régularité des approvisionnements.

Alors que le pays pensait avoir réglé ces différends sont apparus les premiers cas de COVID-19, avec les conséquences économiques et sociales que l’on sait.

Ces éléments perturbateurs avaient fragilisé la stabilité des prix des aliments avant même l'apparition de la pandémie.

En 2021, une météo nord-américaine fortement défavorable, la diminution des stocks mondiaux, la hausse des coûts de la chaîne d'approvisionnement (due entre autres à la disponibilité des conteneurs), la perturbation du transport maritime ainsi qu’une sévère pénurie de main-d'œuvre à l’échelle planétaire ont accentué la pression à la hausse sur le coût des intrants.

Mentionnons que la plupart de ces impacts ont été influencés par des facteurs humains.

Par exemple, les conteneurs acheminant nos exportations vers le marché chinois y sont restés bloqués par un manque de personnel dû au confinement et aux mesures sanitaires. De plus, l’incident du canal de Suez a retardé de plusieurs mois le transport maritime international, ce canal essentiel ayant été fermé à la circulation dans les deux directions pendant plus d'un mois.

La pénurie de main-d'œuvre, dont nous entendrons parler pendant encore dix ans selon la Banque de développement du Canada, a un impact direct sur le coût des aliments — et autres denrées — pour les consommateurs.

S’il y a moins de travailleurs, les délais de production des aliments sont beaucoup plus longs. Délais plus longs signifient moins de production sur une même période provoquant un débalancement entre l’offre disponible et la demande des consommateurs.

 

Baisses des superficies de culture des grains

Plus près de nous, une baisse des superficies de culture des grains au Canada a été confirmée, apportant de facto une baisse des quantités totales produites.

Pas besoin d’aller plus loin pour comprendre que les coûts de ces céréales et grains sont montés en flèche, ceux-ci étant destinés principalement à nourrir le bétail pour la consommation humaine. L’augmentation moyenne de près de 10%, pour les six premiers mois de 2021, du prix de la viande est directement imputable à cette raison.

Autre exemple de débalancement, au Canada, la production de céréales est concentrée dans les Prairies. Lors de la grève du CN en novembre 2019 et des blocus ferroviaires au début de l’année 2020, l’Est du Canada est entré rapidement en déficit de produits de base pour la fabrication des aliments.

Financement agricole Canada (FAC) a confirmé qu’il y a eu une baisse de la production du blé dans l’Ouest canadien de l’ordre de… 40%.

C’est énorme!

Et parmi les causes invoquées, les statistiques publiées le 14 septembre dernier attribuaient cette baisse uniquement à la grande chaleur et à la sécheresse de 2021. Cette baisse de production a des impacts sur le prix du maïs, du blé, du canola et autres grains.

Par exemple, on parle d’une augmentation de 100% du prix de l’huile de canola, une denrée importante dans la fabrication de plusieurs aliments.

La hausse de la demande alimentaire ne se concentre pas uniquement sur le marché du Québec, ni même nord-américain. Les grandes économies mondiales accaparent la majeure partie de cette hausse et les principaux pays exportateurs vers la Chine, pour ne nommer que celle-ci, sont situés en Amérique du Nord.

Soulignons le fait que les transactions des marchés agroalimentaires internationaux se négocient en dollar américain.

(photo: 123RF)

Les variations des taux de change ont un impact direct sur l’établissement des prix. Pour nos acheteurs, le cours des taux impacte directement la disponibilité des liquidités destinées à la conduite régulière de leurs opérations, obligeant les entreprises à, parfois, faire des provisions qui ne sont pas destinées à la consolidation de leurs ressources. D’ailleurs, même si une entreprise alimentaire achète ses intrants au Canada, le prix de référence est toujours en dollar américain.

Finalement, l’augmentation importante du prix des énergies fossiles depuis les derniers mois n'affecte pas seulement le transport, même si l’essence est 32% plus chère au litre qu’il y a un an.

Le propane et le gaz sont notamment utilisés dans la préparation de plusieurs aliments. Le pétrole entre dans la composition des différents plastiques qui demeurent les meilleurs matériaux, à l'heure actuelle, pour assurer la salubrité et la conservation maximale des aliments. Conséquemment, le prix des emballages a donc également monté en flèche.

 

Des solutions pour limiter l'impact

Ce portrait n’est guère reluisant, mais c’est notre réalité. Pourtant, des solutions existent. Certaines sont tributaires d’éléments incontrôlables: une météo favorable permettra une meilleure performance des grandes cultures. Augmenter l’efficience de ces cultures devient ainsi une voie qui permettra de stabiliser nos stocks de grains.

Puisque nous sommes dans les projections, selon FAC, à l’heure actuelle, tous les facteurs externes sont déjà inclus dans les prix à la consommation pour les prochains mois. La hausse observée tout au long de 2021 devrait donc se stabiliser.

J’aimerais terminer en rappelant que se nourrir est une nécessité et est essentiel pour tous les êtres vivants. Le secteur alimentaire québécois est touché de plein fouet par la pénurie de main-d'œuvre et plusieurs entreprises se demandent comment elles vont se sortir de cette crise.

Le manque de personnel demeure un grave problème et les commandes en attente, qui ont bondi de plus de 42% par rapport à l’année précédente, freinent la croissance des ventes.

En transformant près de 70% de la production agricole du Québec, la transformation alimentaire est un rouage fondamental dans l'accessibilité de produits alimentaires abordables pour les consommateurs québécois.

Nous estimons qu’il manque plus de 7 000 travailleurs pour répondre aux besoins actuels de l’industrie de la transformation alimentaire — en excluant les producteurs, la restauration et le détail.

Plusieurs programmes sont mis de l’avant par les gouvernements, mais ces programmes répondent à une situation ponctuelle — la pandémie — et à court terme, alors que le manque de main-d'œuvre actuel est un enjeu qui doit se planifier sur plusieurs années, sinon plusieurs décennies.

L'automatisation et la robotisation sont de bonnes alternatives, mais ne représentent pas une solution à TOUS les enjeux de main-d'œuvre du secteur alimentaire.

Le maintien à l'emploi pour les travailleurs d’expérience, la requalification, l’immigration et d’autres incitatifs au recrutement et à la rétention du personnel sont certainement des solutions à court et moyen terme si nous voulons maintenir notre compétitivité et surtout, garantir la pérennité du secteur alimentaire québécois et favoriser notre autonomie alimentaire.

À propos de ce blogue

La face cachée de votre assiette est le blogue de Sylvie Cloutier, présidente-directrice générale du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ) depuis 2010. Nommée Leader d’influence par le Réseau des Femmes d’affaires du Québec, Sylvie a récemment obtenu la certification GCB.D (ESG Global Competent Boards Designation). Sylvie Cloutier est une incontournable du secteur bioalimentaire au Québec. Elle participe activement à l’élaboration de plusieurs décisions gouvernementales et réglementaires qui touchent le secteur alimentaire québécois. Reconnue pour son dynamisme et son leadership, Sylvie assure la représentation, la promotion et la défense des intérêts de l’industrie de la transformation alimentaire du Québec. Sylvie est co-présidente du Conseil consultatif de la politique alimentaire du Canada, co-fondatrice de Aliments et boissons Canada, et siège sur plusieurs conseils d’administration dont ceux Moisson Montréal, de Banques alimentaires Canada, de Financement agricole Canada et de l'Institut canadien des politiques agroalimentaires. Elle s’implique également auprès du comité de financement de La Tablée des Chefs.

Sylvie Cloutier

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