Des entreprises porteuses de sens social


Édition du 24 Mars 2018

Des entreprises porteuses de sens social


Édition du 24 Mars 2018

Les entreprises créent de la valeur beaucoup plus facilement dans des juridictions saines. [BlackRock/Facebook]

Petite commotion dans le monde de l'investissement, le 16 janvier dernier. Larry Fink, le patron de BlackRock, le plus important investisseur institutionnel au monde, a écrit une lettre aux chefs de la direction de centaines de grandes sociétés. Dans cette lettre, il explique qu'il attend des entreprises dans lesquelles BlackRock investit davantage que la performance financière.

Comme BlackRock gère surtout des fonds indiciels, donc de façon passive, des observateurs prétendent que Fink est hypocrite de prétendre influencer le comportement des entreprises dont BlackRock est actionnaire. Anticipant sans doute cette objection, Fink explique que c'est justement parce qu'il gère des fonds indiciels qu'il doit s'en préoccuper : il doit conserver leurs actions tant qu'elles sont incluses dans les indices que ses fonds reproduisent. La vente ne constitue pas une option s'il est insatisfait de la performance. BlackRock est par définition un actionnaire à long terme. Elle doit donc à ses clients et investisseurs de se préoccuper de la stratégie à long terme des entreprises dont elle détient des actions.

Pour des profits durables

Fink ne met pas en opposition la responsabilité de l'entreprise de créer de la valeur pour les actionnaires et sa responsabilité sociale. Ce qu'il met en opposition, c'est le court terme et le long terme.

De fait, explique Fink, quiconque se préoccupe du long terme doit élargir son champ de préoccupation au-delà de la performance financière. À long terme, la prospérité d'une entreprise dépend entre autres de l'acceptabilité sociale de son existence et de ses activités. C'est pourquoi, si cupide soit-il, un investisseur soucieux du long terme doit être préoccupé du rôle social de l'entreprise, tout simplement parce que la société attend des entreprises qu'elles lui apportent une contribution positive. Satisfaire cette attente est une condition essentielle à la création de valeur pérenne.

Au-delà de cette « attente » de la société, qui peut passer pour une mode, une entreprise a un intérêt objectif à investir dans les collectivités où elle opère. Les entreprises créent de la valeur beaucoup plus facilement dans des juridictions saines, et les self-made men sont tout sauf self-made : ils ont généralement, souvent inconsciemment, bénéficié de solides fondations collectives, composées d'un État de droit, de libertés individuelles, de démocratie, d'infrastructures accumulées sur plusieurs générations, et d'un minimum de solidarité sociale - toutes choses qui demandent des réinvestissements collectifs constants par le truchement de l'État, mais aussi autrement.

Bref, BlackRock entend se comporter comme un véritable propriétaire d'entreprise, responsable autant de son impact social que de sa rentabilité. Ce que Fink appelle « sense of purpose ». Sans une vision d'avenir claire, ajoute-t-il, aucune entreprise ne peut réaliser son plein potentiel. Non seulement perdra-t-elle son permis social, mais elle cédera aux pressions courts-termistes de distribuer ses profits. Elle sacrifiera ainsi les investissements requis pour assurer son développement à long terme.

C'est une philosophie qui m'est plutôt familière, que j'ai maintes fois exprimée. En toute humilité, je dois toutefois reconnaître que l'intervention de Fink, dont l'entreprise gère un portefeuille plus de 6 000 milliards de dollars, risque d'avoir beaucoup plus d'impact que toutes les miennes...

Le dialogue plutôt que les batailles de procuration

Plutôt que le recours à la brutalité et au manque de nuance des votes annuels et des courses aux procurations, Fink propose d'intensifier le dialogue et l'engagement des actionnaires - à commencer par BlackRock - avec les conseils d'administration. L'idée étant d'inciter les conseils d'administration à formuler et à communiquer leur stratégie à long terme avec plus de clarté. C'est un manque de clarté stratégique, fait-il valoir, qui explique en partie la montée de l'activisme d'actionnaires mécontents et les coûteuses courses aux procurations. Les entreprises en déficit de clarté stratégique sont beaucoup plus vulnérables, ajoute-t-il, aux campagnes activistes qui présentent un objectif clair, même si celui-ci vise un objectif étroit et à court terme - comme c'est souvent le cas, par exemple, dans le cas d'une OPA.

J'en veux pour exemple la tentative (ratée) d'OPA hostile de 146 G$ de Kraft Heinz sur Unilever en février 2017 - une tentative que le président d'Unilever a qualifiée de « confrontation claire entre un modèle soutenable à long terme au bénéfice de multiples parties prenantes [Unilever], et un modèle totalement centré sur la primauté de l'actionnaire [Kraft Heinz] ».

Cette fois-là, le modèle à long terme a triomphé. Mais ce n'est pas toujours le cas. Ce souci d'inclure dans l'analyse stratégique d'autres facteurs que la seule rentabilité financière à court terme explique que soit dans l'air du temps le pouvoir des États d'intervenir dans des situations d'acquisitions étrangères. Par exemple, à la demande de l'Allemagne, de l'Italie et de la France, l'Union européenne serait à préparer un projet de loi visant à renforcer la capacité d'intervention des États membres en cas d'acquisitions étrangères d'entreprises ou de technologies « stratégiques ».

Prenez note : de plus en plus, d'elles-mêmes ou à cause de l'intervention des gouvernements, les entreprises devront formuler et communiquer une vision claire, porteuse de sens social.

À propos de ce blogue

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage au Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

Robert Dutton
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