B Corp : maximiser l'impact social


Édition du 22 Septembre 2018

B Corp : maximiser l'impact social


Édition du 22 Septembre 2018

[Photo : 123RF]

J'ai toujours cru que la raison d'être d'une entreprise ne se bornait pas à maximiser la «valeur pour les actionnaires». Quand les premières sociétés par actions de l'ère moderne ont été formées aux Pays-Bas et en Angleterre, au début du XVIIe siècle, ce n'était pas dans le dessein de permettre à des actionnaires de maximiser leurs gains. Les lettres patentes de ces sociétés précisaient leur raison d'être. Celle-ci n'était pas particulièrement altruiste, mais ce n'était pas le profit. Ce dernier était certes important. L'espérance (généralement avérée) d'un rendement élevé motivait les investisseurs à se regrouper pour investir dans des projets d'envergure, qu'ils ne contrôlaient pas, présentant un risque supérieur à la moyenne. Profit et rendement étaient des moyens d'accomplir une mission, pas la mission elle-même.

Les B Corporations : créer de la valeur sociale

Je crois toujours que le profit ne constitue pas la raison d'être d'une entreprise, mais le moyen d'accomplir son objet. Je ne suis pas le seul à le penser, ne serait-ce que parce qu'il existe, dans une soixantaine de pays, plus de 2 600 entreprises certifiées «B Corporations» (B Corp) - B comme dans «Benefit» : c'est-à-dire des entreprises ayant démontré leur volonté et leur capacité d'avoir un impact positif dans toutes les dimensions de leur activité - l'enrichissement de leurs actionnaires, certes, mais aussi leurs employés, leurs fournisseurs, leurs communautés d'accueil. Bref, des entreprises qui créent de la valeur sociale tout en étant privées.

Derrière cette idée, il y a une conviction, appuyée par un bon siècle et demi d'histoire : nos problèmes collectifs ne peuvent être réglés par les seuls gouvernements et OBNL. Les entreprises à but lucratif doivent contribuer à réduire les inégalités, à protéger l'environnement, à renforcer les collectivités et à créer des emplois de qualité porteurs de sens et de dignité, et ce, au-delà de la seule conformité aux lois et aux règlements.

Une certification exigeante

La certification B Corp existe depuis 2007. Une des premières entreprises à l'avoir obtenue est Patagonia, le fabricant de vêtements et de matériel de plein air fondé par l'iconoclaste à succès Yvon Chouinard.

N'obtient pas la certification qui veut. L'entreprise candidate doit répondre à un questionnaire élaboré qui passe en revue ses politiques, pratiques et résultats dans cinq grands champs : la gouvernance, les employés, la communauté, l'environnement, l'impact des modèles d'entreprise. Suivront un ou plusieurs entretiens avec des analystes de B Lab, qui a des bureaux en Pennsylvanie, à New York et à Amsterdam ; entretiens destinés à valider et à vérifier les prétentions des candidats, ou encore à appuyer dans son cheminement l'entreprise qui, d'emblée, n'obtient pas tout à fait la note de passage.

La plupart des entreprises aujourd'hui certifiées sont à capital fermé : des entreprises de taille moyenne, dont les dirigeants sont également les propriétaires. Il ne faut pas s'en étonner. Ces dirigeants-actionnaires disposent d'un réel pouvoir discrétionnaire dans la détermination des objectifs de leur entreprise. Mais certaines entreprises cotées en Bourse, comme Natura, une multinationale de cosmétique cotée à la Bourse brésilienne, ont obtenu leur certification. D'autres, certifiées B Corp, ont terminé des premiers appels publics à l'épargne tout en conservant leur certification. Des multinationales cotées en Bourse cherchent à obtenir leur certification. Et des filiales de multinationales, comme Ben & Jerry's et Sundial Brands, du groupe Unilever, sont certifiées. Danone (60 pays, 25 milliards d'euros de ventes) travaille à obtenir sa certification, alors que six de ses filiales (R.-U., Argentine, Amérique du Nord, Canada, Indonésie, Espagne) ont déjà obtenu la certification. La valeur sociale n'est donc pas soluble dans la tyrannie des résultats financiers.

Au Canada, environ 230 entreprises sont certifiées B Corp. Plusieurs, comme la Brasserie New Deal, Prana Biovegan ou Optel, sont des entreprises relativement petites, mais on trouve aussi de vénérables institutions comme la Banque de développement du Canada et Assomption vie, la société d'assurance acadienne plus que centenaire.

Les milléniaux : satisfaire un marché en quête de sens

Pourquoi faire l'effort d'obtenir une certification ? Les dirigeants-propriétaires ont sans doute toutes sortes de motivations, de la plus noble à la plus cynique. Objectivement, cependant, toute entreprise doit se soucier d'avoir un impact social positif et de la faire savoir.

Démographiquement, économiquement, les milléniaux sont en voie de dépasser les baby-boomers. C'est dans cette génération, la plus nombreuse de l'histoire de l'humanité, que les entreprises recrutent désormais leurs clients et leurs employés. Or, de nombreuses recherches le montrent, les milléniaux ne sont plus à la recherche de produits ou d'emplois. Comme consommateurs, comme travailleurs, ils sont en quête de sens. Ils veulent avoir le sentiment que leurs achats, que leur travail «fait une différence», qu'il a un impact, même petit, sur la société. Les entreprises auront du succès si elles sont en mesure d'offrir ce sens à leurs clients et à leurs employés. Toutes choses égales d'ailleurs, les entreprises certifiées B Corp tireront leur épingle du jeu. Plus le temps passera, moins la valeur sociale sera considérée comme le fruit d'un arbitrage avec la valeur privée ; elle sera plus vue comme un levier de valeur privée.

À propos de ce blogue

Pendant plus de 20 ans, il a été président et chef de la direction de Rona. Sous sa gouverne, l'entreprise a connu une croissance soutenue et est devenue le plus important distributeur et détaillant de produits de quincaillerie, de rénovation et de jardinage au Canada. Après avoir accompagné un groupe d'entrepreneurs à l'École d'entrepreneurship de Beauce, Robert Dutton a décidé de se joindre à l'École des dirigeants de HEC Montréal à titre de professeur associé.

Robert Dutton
Sujets liés

Économie , Bourse

Blogues similaires

Encore trop tôt pour sauter dans l’arène

Édition du 14 Juin 2023 | Dominique Beauchamp

ANALYSE. Les banques canadiennes pourraient rester sur le banc des pénalités quelque temps encore.

Bourse: la Banque Royale fait trembler le marché des actions privilégiées

19/04/2024 | Denis Lalonde

BALADO. La Banque Royale envoie un signal clair qu'elle pourrait racheter toutes ses actions privilégiées.

La face cachée des titres de croissance

Édition du 07 Décembre 2019 | Richard Guay

CHRONIQUE. La croissance du bénéfice par action (BPA) est sans aucun doute l'un des critères les ...