Rona : les gagnants et les perdants


Édition du 13 Février 2016

Rona : les gagnants et les perdants


Édition du 13 Février 2016

Le choc a été si vif que les premières réactions à l'achat de Rona par Lowe's ont d'abord été épidermiques. «Le Québec perd un ses fleurons.» «La pression des Américains était trop forte, ça devait finir comme ça.» «C'est toujours la même histoire, on se laisse manger la laine sur le dos.» «Il faut se rendre à l'évidence, nous ne sommes pas de taille.»

Résignation ? Indignation ? Comment trancher entre ces deux sentiments qui coexistent chez bien des gens à la suite de cette annonce qui provoque à tout le moins un pincement au coeur ? Peut-être en tentant de départager les gagnants et les perdants. Il y en a de part et d'autre.

Les gagnants les plus évidents sont les actionnaires. Ils reçoivent une prime de 104 % sur leurs actions dont la valeur languissait depuis la récession : au début de février 2009, elle s'établissait à 11,78 $, soit presque au même niveau qu'à la veille de l'annonce de la transaction sept ans plus tard.

À elle seule, la Caisse de dépôt et placement du Québec, qui possède environ le sixième des actions ordinaires de Rona, pourrait empocher un bénéfice de quelque 200 millions de dollars. Ce n'est pas à dédaigner compte tenu de son mandat de fiduciaire, qui lui demande de bien gérer les avoirs de ses déposants.

Les fournisseurs québécois devraient eux aussi en sortir gagnants - tout au moins à moyen terme. Pourquoi ? Tout simplement parce que Lowe's n'a aucun intérêt à remplacer leurs produits par des équivalents américains qui seraient beaucoup plus coûteux, étant donné le taux de change. Mieux, les fournisseurs québécois pourraient même y trouver un tremplin pour bondir vers le réseau de Lowe's aux États-Unis. Des armoires de cuisine sont des armoires de cuisine, et à prix nominal égal, elles coûteraient aux Américains 35 % moins cher au prix d'aujourd'hui.

L'avantage est clair, et la direction de Lowe's doit bien en être consciente. De plus, comme il s'agit d'une entreprise privée qui peut mener sa politique commerciale comme il lui plaît, même les vieux réflexes protectionnistes des gouvernements américains ne pourraient pas freiner l'entrée de produits québécois moins coûteux pour les consommateurs.

Il y a toutefois un bémol : cet avantage est circonstanciel, puisqu'il est lié aux misères du dollar canadien. Or, le huard ne restera pas toujours au plancher. Les dirigeants de Lowe's ont beau s'engager, la main sur le coeur, à maintenir au beau fixe les relations avec les fournisseurs québécois, rien ne les empêchera d'y mettre fin lorsqu'ils n'y trouveront plus leur compte.

Finalement, les clients eux-mêmes pourraient y gagner, dans la mesure où le pouvoir d'achat du géant américain est immense. Son catalogue est rempli de produits qui ne sont pas offerts dans les magasins du groupe Rona, comme des électroménagers. La concurrence est déjà vive au Québec ; son intensification ne peut que profiter aux consommateurs.

Les perdants

Mais la liste des perdants éventuels fait réfléchir. Elle est au moins aussi substantielle que celle des gagnants.

Parmi ces perdants se trouvent les partenaires d'affaires de Rona. Les experts de Raymond Chabot Grant Thornton lui fournissent - ou devra-t-on bientôt dire lui fournissaient ? - des services comptables, comme ils le font pour nombre de sociétés phares du Québec inc. C'est là un de leurs terreaux de prédilection. Conserveront-ils ce mandat ? Même question pour la Banque Nationale, alliée de longue date de Rona. Pensez aussi aux agences de publicité, aux conseillers juridiques et à toutes les firmes qui gravitent autour d'une entreprise de cette ampleur. Sans exagérer, des centaines d'emplois sont en jeu.

Quant aux marchands de quartier liés à Rona, leur sort n'est pas décidé, mais ils risquent eux aussi de faire les frais de ce changement de propriétaire. Lowe's exploite surtout de grandes surfaces. En guise de comparaison, on sait qu'Hydro-Québec ne s'est jamais sentie à l'aise d'intégrer des minicentrales à son réseau. Elle le fait parce que Québec l'exige. Qu'est-ce que Lowe's fera des petites quincailleries dont elle hérite en achetant la famille Rona ?

On a entendu beaucoup de commentaires légitimes à ce sujet. La question touche également les résidents des quartiers concernés. Les commerces de proximité, au-delà des restaurants et des bars, sont essentiels à la vitalité d'une communauté. Si elles sont larguées par Lowe's, ces petites quincailleries devront songer à rejoindre d'autres chaînes, qui leur feront certainement les yeux doux. Ou encore, imaginer un nouveau regroupement de marchands indépendants afin d'obtenir un meilleur pouvoir d'achat, comme Rona l'a fait à ses débuts.

Au-delà de cette entaille à notre fierté collective - une autre perdante -, il y a peut-être une façon de transformer ce problème en occasion. On se lamente souvent à propos de l'infortune des entreprises nées de l'effervescence des années 1970 et 1980, la période la plus lumineuse de l'entrepreneuriat québécois. Rona fait figure d'aînée, ayant été fondée en 1939, mais elle a pris son envol à ce moment.

Et si nous nous donnions comme objectif de revivre l'élan de ces belles années ? Si nous décidions d'encourager le développement de nouveaux Rona en leur proposant un environnement d'affaires stimulant, au lieu de leur mettre toutes sortes de bâtons dans les roues ? Ce serait une autre consolation à cet événement qui, au demeurant, n'est pas réjouissant.

De mon blogue

RONA

Il faut des garanties solides

Lowe's donne des garanties sur le maintien du siège social, de la haute direction et de l'ensemble des enseignes de Rona. Pour ce qui est des employés, c'est plus flou : on entend «garder à son service la vaste majorité des employés actuels de Rona». Faudra voir. Le passé nous a montré que de belles assurances du genre ont fini par s'envoler [...] L'histoire de Rona remonte à 1939, son nom est indissociable du paysage économique québécois. C'est - c'était ? - une de nos marques les plus connues et les plus prestigieuses. Et même si des entreprises québécoises réussissent des acquisitions à l'étranger, cette fois, c'en est une grosse qui s'apprête à capituler.

Suivez René Vézina sur Twitter @vezinar

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